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  • La carte postale du jour ...

    "Oh, the rest is silence"
    - Shakespeare, Hamlet, Acte 5 scène 2

    dimanche 15 juin 2014.jpg

    Je me souviens de cette citation - que j'appris être de Sacha Guitry tardivement - qui disait que lorsqu'on vient d'entendre un morceau de Mozart, même le silence qui lui succède est encore de lui, et d'avoir trouvé cela fantastique.
    Je me souviens d'avoir rencontré un ami dans le bus le jour où j'ai acheté ce disque, qu'il ne comprenait pas l'utilité d'un album comportant uniquement des plages silencieuses, au point d'en devenir presque nerveux, et moi d'avoir pensé à Socrates qui, peu avant sa mort, apprenant un air de flûte répondit au questionnement pressé de ses adeptes quant à l'utilité de son geste : "à savoir cet air avant de mourir".

    Je me souviens de l'utilisation du silence dans la musique de Talk Talk (Spirit of Eden), celle d'Arvo Pärt ou Dead Can Dance, mais j'ai beau chercher dans mes nombreux disques je ne trouve pas d'album comportant une plage silencieuse avec un titre, c'est bien dommage, mais ce Sounds of Silence est là pour combler ce "vide" en compilant des plages de silences tirées d'une trentaine de disques, avec un certain humour d'ailleurs, comme le prouvent les annotations de l'album entièrement vierge du projet The Nothing Record publié en 1978, représenté ici avec un silence de 44 secondes (qu'il faut jouer en 33tours) :

    "A record the whole family can enjoy together" ;
    "For everyone who hates rock and roll, folk, classical, jazz, country, electronic and blues music" ;
    "The perfect gift for your noisy neighbor or roommate" ;
    "Great for study or meditation" ;
    ...

    C'est à partir du silence des mots, ou plutôt de l'absence des livres que Krzyzanowski construit son incroyable roman intitulé Le club des tueurs de lettres. Borgésien avant Borgès (ce qui n'est pas sans rappeler l'écrivain fictionnel Hugo Vernier du court roman de Perec, qui comportait dans ses écrits, et à l'avance, ceux de Germain Nouveau, Tristan Corbière ou encore Rimbaud - à part que Krzyzanowski a lui bien existé!), le génial auteur polonais, né à Kiev et qui écrivit en russe dans les années vingt du siècle dernier, signe ici un texte complexe sur la littérature qui pourrait donner le vertige s'il n'était ponctué d'un humour pince-lèvre subtil, et qui nous ramène, après une errance dans le labyrinthe de l'écrit, vers la vie (réelle). Extraordinaire.

    "- Asseyez-vous. Vous vous demandez pourquoi il y a sept fauteuils ? Au début, il n'y en avait qu'un. Je venais ici pour converser avec le vide des rayonnages. À ces cavernes de bois noirs je demandais des idées. Patiemment, tous les soirs, je m'enfermais ici en compagnie du silence et du vide et j'attendais. Luisant d'un éclat noir, mortes et hostiles, elles refusaient de me répondre. Et moi, qui avais fini par devenir un dresseur professionnel de mots, je m'en retournais à mon écritoire. Le moment était proche où je devais honorer deux ou trois contrats littéraire et je n'avais rien à écrire. Ô, comme je les haïssais, en ce temps-là, ces gens qui éventraient avec un coupe-papier la livraison fraîchement parue d'une revue littéraire, qui encerclaient de dizaines de milliers d'yeux mon nom martyrisé et traqué ! Un fait insgnifiant me revient à l'esprit : dans la rue, par un froid sibérien, un gamin vend à la criée des lettres dorées pour marquer les bottillons de caoutchouc. Et voilà que l'idée s'impose, ses lettres et les miennes sont vouées au même sort : orner des semelles.
     Oui, j'avais le sentiment que moi-même et ma littérature étions piétinés, privés de sens, et n'eût été la maladie, la situation serait restée sans doute sans remède. Subit et pénible, un mal m'a exclu pour longtemps de toute activité littéraire ; mon inconscient a pu se reposer, gagner du temps et se recharger de sens. Lorsque, encore affaibli et à peine revenu à la réalité, j'ai poussé la porte de cette chambre obscure pour la première fois depuis bien longtemps, je me suis installé dans ce fauteuil et j'ai à nouveau inspecté l'absence de livres, eh bien, figurez-vous que, certes tout bas, ce vide a accepté, d'une voix à peine intelligible, de me parler comme autrefois, en une époque que je croyais irrémédiablement révolue. Comprenez, cela fut pour moi une telle...
     Ses doigst heurtèrent mon épaule et il les retira précipitamment.
    - Au demeurant, ni vous ni moi n'avons le loisir de nous livrer à des effusions lyriques. On va venir d'un moment à l'autre. Revenons-en aux faits. Je savais désormais que les idées exigent de l'amour et du silence. Naguère gaspilleur de fantasmes, je les ai amassés en les soustrayant aux regards curieux. Je les ai tous enfermés ici même à clef, et ma bibliothèque invisible a réapparu : fantasme contre fantasme, ouvrage contre ouvrage, exemplaire contre exemplaire, ils ont recommencé à garnir ces rayonnages. Regardez par ici, non, plus à droite, sur la planche du milieu, vous ne voyez rien, n'est-ce pas, tandis que moi... "