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Science

  • La Carte postale du jour ...

    "Une carte du monde sur laquelle ne figure pas le pays d' Utopie ne mérite pas le moindre coup d'œil."

    - Oscar Wilde

    mercredi 7 décembre 2016.jpg

    Je me souviens de cet album, Felt Mountain, parce que la photo du Mont Cervin figure au dos de la pochette et que cela m'avait particulièrement ému, mais aussi parce que c'est l'un des disques les plus élégants, sensuels et magnifiquement conçu qu'il m'ait été donné d'entendre et aussi parce qu'il a définitivement marqué, pour moi en tout cas, le début des années 2000.

    Je me souviens bien d'avoir découvert la voix d'Alison Goldfrapp sur un maxi d'Orbital, en 1996, dans la version "vocal reprise" du titre The Box, splendidement dramatique et pour le moins envoûtant, sans parler de la performance vocale de Grant Fuldon, très émouvante aussi.

    Je me souviens aussi qu'il ne s'est pas passé un jour, puis un mois, puis, le temps passant, un an, sans que j'écoute Utopia de Goldfrapp, avec son apophtegme délicatement susurrée, "fascist baby... utopia, utopia".

     

    https://vimeo.com/61254780

     

     

    Il fut un temps où l'Europe, l'union européenne donc, était une utopie ; maintenant c'est, au mieux, un constat, au pire, une catastrophe, allez savoir. En tout cas, "utopie" est probablement le dernier mot qui vient à l'esprit quand on entend ceux d'union européenne (le premier étant peut-être "administration"?). Heureusement, David Van Reybrouck vient nous rafraichir l'esprit et raviver l'espoir d'une union utopique entre nations avec ce très beau texte, fruit d'une enquête menée pendant quelques années dans le village de Moresnet-Neutre (le nom changera à de multiples occasions), nommé ainsi en 1816 après un compromis consistant en une absence de compromis entre la Prusse et les Pays-Bas, délimitant des frontières "provisoires" et laissant un triangle dit neutre, n'appartenant ni à l'un, ni à l'autre... et 2016 marque précisément le bicentenaire de cette curiosité du droit international, curiosité située aujourd'hui aux frontières de la Belgique, de l'Allemagne et des Pays-Bas. C'est que pendant près de cent ans, les habitants de ce petit pays sans douane, ni langue officielle, ni monnaie d'ailleurs, vont vivre une véritable utopie réalisée. Des hommes et des femmes viennent s'y cacher, et la population augmente subitement en quelques décennies. Mais le rêve se termine avec les grandes guerres du début du vingtième siècle. Certains habitants se retrouvent alors dans l'armée allemande, d'autre sous le drapeau belge, parfois des frères se retrouvent face à face dans les tranchées - Le cauchemar commence, et s'achèvera bien après la seconde guerre mondiale. Pour nous exposer cela, Van Reybrouck a pu se pencher sur le destin d'Emil Rixen, né en 1903 dans ce curieux mais très attachant petit pays neutre et libre de tout nationalisme ; Emil changera, bien malgré lui, cinq fois de nationalité pour mourir en 1971 (l'année de naissance de David Van Reybrouck justement, et la mienne au passage), et c'est travers ce destin particulier que cet essai - qui se lit d'ailleurs comme un roman tant il est passionnant - nous invite à réfléchir sur la fin d'une utopie européenne et le retour de la territorialité et des frontières, symboles de la résurgence des nationalismes ; reste quand même le souvenir de cet endroit extraordinaire, maintenant conservé grâce au travail méticuleux de l'auteur belge, travail dont le seul souvenir ravive peut-être en nous des envies et des rêves d'utopie - c'est à espérer. Excellent texte.

     

    Extrait de Zinc, de David Van Reybrouck (traduit du néerlandais par Philippe Noble et publié aux éditions Actes Sud)

     

    "Des élections? jamais tenues. Des impôts? Extrêmement faibles et uniques en leur genre, calculés sur la base de la superficie du terrain, du nombre de portes, de fenêtres, de meubles et de personnel de maison que l'on possédait. De monnaie? Aucune. Officiellement, seul le franc français avait cours, mais on acceptait aussi les pièces allemandes, thaler, reichsmark, sou d'argent, ainsi que le franc belge. De langue? Aucune. L'allemand, le français et le dialecte local, le Kelmeser Platt, à mi-chemin du bas allemand et du limbourgeois, se mêlaient joyeusement. La douane? C'était bon pour les autres pays voisins. L'enseignement? Aucune obligation de scolarité. La défense? Pas de service militaire. La justice? Pas de juridiction. Au civil ou au pénal, les affaires devaient être portées devant un tribunal belge ou allemand. Le juge devait alors se remettre à feuilleter son Code Napoléon de 1804 ou son Code pénal de 1810 et prononcer des condamnations pour des délits parfois abolis en tant que tel dans son pays, et ce au nom des lois d'un pays qui, dans l'intervalle, avait lui-même cessé d'exister. Condamné pour vagabondage en 1900? Pas de chance ! Chez nous, ce n'est plus vraiment sanctionné, mais dans l'Empire français d'il y a cent ans, c'était passible de six mois de prison. La mésaventure est arrivée à un homme qui avait mendié à Moresnet-Neutre."

  • La Carte postale du jour ...

    "À force d'écrire des choses horribles, les choses horribles finissent par arriver"
    - Marcel Carné, Drôle de drame (1937)
     

    mercredi 30 novembre 2016.jpg

     
    Je me souviens que malgré le fait que nous ne savions pas bien quoi faire avec ce disque de hiphop - nous sommes en 1991, en plein revival gothique et le disque Die Propheten de Das Ich tourne en boucle sur la platine du magasin de disques où je "travaille" -, Consolidated venaient en tout cas confirmer qu'un réel radicalisme était encore possible en musique après le rachat total du punk (dès sa disparition en 1978), prenant fait et cause pour le végétarisme (Consolidated furent les premiers vegan que j'ai connu, et en 1991... autant dire que c'était aussi nouveau et inconnu, qu'extrême et très mal vu), s'opposant aux violences policières, à la politique cannibale des états fascistes unis d'Amérique (du nord), au patriarcat (Consolidated furent aussi le premier groupe aussi engagé pour le féminisme), critiquant l'industrie culturelle (les pseudos alternos' avec) etc. - Consolidated était en avance sur leur temps, tout ce qu'ils dénonçaient est d'ailleurs arrivé depuis.
     
    Je me souviens bien qu'un soir, à l'Usine, Damien (le Baron), et ce en pleine soirée gothique, a décidé de prendre les platines avec un bon coup dans le nez, a mis un morceau de Consolidated, chassant instantanément le peu de créatures de la nuit qui restait encore, non seulement de la piste de danse, mais carrément du Kab' - fallait oser.
     
    Je me souviens aussi des morceaux de dingue qu'on trouve sur cet album mixant du funk avec un hiphop industriel assez agressif, des montages de discours pour dénoncer la langue de bois des politiques, avec des titres comme Brutal Equation, Music has no meaning, Your body belongs to the State, The sexual politics of meat ou encore le manifeste Friendly Fascism et son introduction où une voix suave nous souhaite la bienvenue dans cette fin de vingtième siècle et l'arrivée de fascisme sympathique, et le refrain : friendly fascism having so much fun, what else do you need ?
     
    https://www.youtube.com/watch?v=6WBBA_FzuwM
     
    Il serait faux de penser que toute œuvre artistique, et plus particulièrement littéraire, est annonciatrice d'événements à venir, mais l'intérêt de ces œuvres, quand elles sont en avance sur leur temps, quand elles ont su capter une étincelle du futur, c'est qu'elles nous aident à penser l'impensable... et c'est bien le sujet de ce livre qui, par le biais de nombreuses œuvres littéraires, mais aussi picturales (Ludwig Meidner) ou cinématographiques (Akira Kurosawa, Jean-Luc Godard), tente à nous faire découvrir ce qui était écrit à l'avance. Pierre Bayard est non seulement très cultivé, et généreux, puisqu'il nous en fait profiter, mais il écrit aussi de manière accessible, souvent amusante, ce qui rend son essai des plus captivant. Il nous donne ainsi pléthore de pistes pour découvrir des anticipations avérées ou dormantes (quand cela ne s'est pas encore produit), comme autant de point de rupture, de ligne de faille, d'éclat de temps : Kafka et sa Colonie pénitentiaire qui présageait les camps de concentration ; l'haïtien Frankétienne, qui écrivit une pièce de théâtre mettant en scène un tremblement de terre terrible, dont il fut peu après lui-même victime comme toute l'île malheureusement ; Houellebecq et Plateforme, ce roman se déroulant en Thaïlande et qui prédisait en quelque sorte les attentats de Bali l'année suivante ; Jules Verne, Franz Werfel, H.G.Wells, Tom Clancy et la liste est longue, vertigineuse même ! et vertigineuse à ce point que Pierre Bayard finit par conseiller à "ceux qui nous gouvernent", "de lire et de relire le célèbre auteur de science-fiction (Jules Verne), non pour admirer abstraitement et après coup sa prescience, mais pour essayer de deviner, dans l'intérêt de tous ceux dont ils ont la charge et dont ils négligent trop souvent les intérêts, de quoi notre avenir sera fait." Comme il a raison - et comme il le prouve bien avec cet essai admirable qui redonne espoir en les arts et la littérature d'ailleurs. Ah... vous vous demandez certainement pourquoi Le Titanic fera naufrage comme titre ? Un roman racontait le naufrage identique d'un immense navire appelé le Titan, quatorze ans avant le drame (et je ne parle pas de l'adaptation avec Di Caprio et l'affreuse chanson de Céline Dion, mais bien du naufrage du Titanic) !
     
    Extrait de Le Titanic fera naufrage, de Pierre Bayard (publié aux éditions de Minuit) :
     
    "C'est donc à une tout autre manière d'écrire l'histoire de la littérature et des arts qu'invite la prise en compte des divers anticipations dont les œuvres sont porteuses.
     Une histoire qui ne serait plus fondée sur une conception linéaire de la temporalité, mais sur une vision en vrille - attentive au jeu des causes postérieures et des conséquences antérieures -, grâce à laquelle les œuvres, situées au point de rencontre des traces du passé et des éclats du futur, pourraient compléter par leur connaissance du monde les expertises sur lesquelles s'appuient, de manière insatisfaisante, ceux qui ont en charge de notre destin."
  • La Carte postale du jour ...

    "Est-ce que nous ne sommes tous que poussière? Que c'est beau la poussière, pourtant."
    - G. K. Chesterton

    samedi 18 juin 2016.jpg

    Je me souviens qu'il faisait gris sombre ce jour-là et qu'une forte pluie balayait la plaine de Plainpalais presque vide, ce qui était assez inhabituel un jour de marché aux puces, mais, bravant la tempête, un type avait installé son petit stand pourtant à peine couvert, avec un choix de vinyles le plus souvent neufs et assez bien choisis, assez en tout cas pour que mon amie y déniche un maxi des Sex Gang Children et moi le maxi de Fad Gadget intitulé Collapsing new people ; à l'époque j'ai jalousé l'achat de cette fille, mais maintenant, quand j'y repense, je suis bien content d'avoir acheté du Fad Gadget, un groupe que j'écoute toujours avec autant de plaisir et de fascination (ce qui n'est pas le cas, mais alors vraiment pas, de Sex Gang Children).

    Je me souviens bien de ma tristesse, alors que Frank Tovey repartait en tournée avec Fad Gadget, prévoyant quelques dates en Suisse, lorsque j'appris son décès suite à une crise cardiaque, en avril 2002 - une de mes idoles des années 80 disparaissait alors que j'allais enfin avoir la chance de le voir sur scène...

    Je me souviens aussi que l'album Under the flag, d'où est tiré ce très estimable 45tours - Life on the line -, est fortement marqué par la situation de l'Angleterre de cette époque, celle de Thatcher, du chômage et de la guerre des Malouines, mais aussi parce que Frank Tovey était devenu père et se demandait quel avenir pouvait bien attendre son enfant, alors qu'avec la musique il s'approchait des sommets de l'électronique de la première moitié des années 80, avec un son efficace et pure, un fond de piano cabaret, ses séquences synthétiques... imparable !

    https://rutube.ru/video/742daaaf4b4e38b018f1244e589dfacf/

     

    Les éditions L'Arbre Vengeur ont publié Emmanuel Bove et Pierre Girard, il n'en faut pas plus pour me les rendre sympathique et tenter d'y dénicher, de temps à autre, d'autres petits joyaux littéraires. Et avec Jean-Louis Bailly, je ne suis pas déçu, bien au contraire. Il m'a fallu à peine 15 pages pour comprendre que j'avais là, entre mes mains, un livre très réussi. Il y a d'abord ce ton, clair, et puis cette phrase, simple en apparence, mais qui dénote un esprit subtil, un regard observateur, satirique parfois - c'est que Jean-Louis Bailly n'a pas son pareil pour brosser le portrait des petites vanités et ambitions des uns et des autres. Et puis il y a l'histoire, évidemment, celle de Paul-Émile Loué, prodige du piano mais d'une laideur embarrassante. Sa biographie entrecroise, chapitre après chapitre, la description minutieuse de la lente et longue déchéance de son cadavre - c'est un peu comme si un passage des Chants de Maldoror (le chant 4 strophe 4, celui qui commencent par "Je suis sale. Les poux me rongent.") croisait l'aventure dramatique de Grenouille, le protagoniste du Parfum de Patrick Süskind. Vers la poussière est ainsi un roman aussi original que trépident, dont la bande sonore, au piano exclusivement, propose du Beethoven, Liszt, Chopin, Haydn etc. Épatant!

    Extrait de Vers la poussière, de Jean-Louis Bailly (publié aux éditions Arbre Vengeur) :

    "Pour la forme que prendra son œuvre, Buc hésite encore. Un roman, un vrai, qui conduirait le lecteur de la naissance à la fin de son héros, narrerait le choc de la vocation, les études, les succès, les concerts. Mais, prévient-il, je ne pourrais en rester là. Il faut à un roman de ce genre des rebondissements, de drames, de trahisons, une fin malheureuse - ou pour le moins ambiguë - qui laisse le lecteur la larme à l'œil. Autant dire, cher Paul-Émile, que je devrais abandonner le personnage réel pour lui inventer un destin moins uniformément heureux que celui que je vous souhaite.

     Mais à dire vrai, je ne crois pas que le roman traditionnel soit ce qui convienne le mieux dans le cas d'espèce. Je serais plus tenté par ce que j'oserai appeler l'autofiction d'un autre.

     Le sourire de Paul-Émile s'est figé, Joséphine adopte une physionomie concernée. Buc s'explique."

  • La carte postale du jour...

    "Comme l'eau, comme le gaz, comme le courant électrique viennent de loin dans nos demeures répondre à nos besoins moyennant un effort quasi nul, ainsi serons-nous alimentés d'images visuelles ou auditives, naissant et s'évanouissant au moindre geste, presque à un signe."

    - Paul Valery, La conquête de l'ubiquité (1928)

    lundi 11 avril 2016.jpg

    Je me souviens que c'est en cherchant sur YouTube un remix d'un titre de Maps par M83 que je suis tombé sur The Early Years ; quinze ou vingt ans plus tôt j'aurais fait les bacs des disquaires milanais, florentins, zurichois, genevois, lausannois, parisiens et berlinois pour trouver ce 45tours, mais aujourd'hui, misère de la simplicité rendue possible par internet, j'ai pu le commander en deux clics sur Discogs...

    Je me souviens bien d'avoir flashé sur Like a suicide puis d'avoir écouté beaucoup d'autres titres de ce groupe qui est un condensé réussi de styles musicaux, alliant Krautrock/Motorik (Can, Faust) avec du Shoegazing (Slowdive, My Bloody Valentine) et un peu d'électronique minimale parfois (Fad Gadget des début, Crash course in science).

    Je me souviens aussi que le texte de Like a suicide (qui est un peu un anti-Like a rolling stone et me laisse un petit goût de Love will tear us apart et de She's lost control dans la bouche) est très drôle, surtout la phrase récurrente :

    I'm not falling apart

    ... just into pieces.

    https://www.youtube.com/watch?v=BJQXZp6y4rs

     

    Maël Renouard vient d'écrire la suite de L'œuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique de Walter Benjamin, ce dernier dénonçant, en 1935 déjà, la déperdition de l'aura des œuvres à cause de leur reproduction en masse. Cette déperdition d'aura est maintenant démultipliée à l'infini avec internet, et cet essai - Fragments d'une mémoire infinie - se penche avec brio sur le sujet en question, à savoir : notre quotidien connecté. À la façon d'un Paul Valery, Renouard propose une multitude de fragments, parfois drôles, parfois mélancoliques, toujours très érudits, qui nous rappellent qu'il n'y a pourtant pas si longtemps, nous vivions sans internet - ce qui paraît souvent presque impensable maintenant, tant ces changements, que l'on peut nommer progrès éventuellement, ont radicalement transformé notre quotidien. On passe par les cyber-cafés qui sont apparus presque aussi rapidement qu'ils ont disparu des centre-villes, sur les facéties de faux-intellectuels qui tentent de faire passer les textes d'autrui pour les leurs en apportant quelques menus affèteries, et, d'ailleurs, l'auteur de ce livre de signaler : "Pouvait-il ignorer qu'il est devenu aussi facile de copier que d'être surpris à copier?". Google earth et Facebook ont sonné la revanche des cœurs simples, dit-il encore, car oui : tout est là, à disposition, sans avoir le besoin de fatiguer sa bibliothèque, comme dirait Umberto Eco, de prendre du temps à chercher des ouvrages compliqués et longs à lire, non : la page lumineuse de Google attend votre recherche... à tel point que, ne sachant plus ce qu'il avait fait la veille, Maël Renouard le demande à Google ! Et puis il décèle encore à quel point internet est un cimetière mélancolique lorsqu'il répertorie, plusieurs pages durant, des citations trouvées en bas de clips musicaux proposés sur YouTube, clips de musiques datant plutôt des années 70 ou 80, avec des phrases comme "This brings back so many memories" ou "es waren Zeiten". Car oui : "Il y a dans l'internet une fontaine de jouvence où l'on plonge d'abord son visage en s'enivrant, puis où l'on voit son reflet meurtri par le temps, au petit matin." - Un ouvrage pour toutes celles et ceux qui ont fait l'expérience de la gueule de bois après un excès de recherches sur le net, en préparant des vacances, ont abusé de Facebook, à la recherche d'un maximum de "like", mais pas seulement puisque ce livre nous rappelle à point nommé que des intellectuels écrivains comme Derrida ou Michel Butor avaient, en 1967 pour le premier et 1971 pour le second, déjà prophétisé (en quelque sorte) l'arrivée de cet excès d'images qu'est internet, ce qui donne, évidemment, pour certains d'entre nous, l'envie de découvrir tout plein d'autres ouvrages, de courir chez notre libraire le plus proche ou de faire un tour à la bibliothèques - Génial.

    Extrait de Fragments d'une mémoire infinie, de Maël Renouard (publié aux éditions Grasset) :

    "L'intériorité n'est plus chez elle. Le monde l'a envahie et la surpeuplée. Autrefois, je n'arrivais à me concentrer que chez moi, dans la solitude et le silence. C'est exactement ce que je dois fuir désormais, si je veux espérer employer efficacement les heures d'une journée : sinon, j'explore sur l'internet toutes les choses qui me passent par la tête, les brèves distractions mentales qui ponctuent normalement un travail soutenu prennent des proportions démesurées, le temps file entre mes doigts et je me regarde le perdre en continuant de tirer des bouffées de cet opium. C'est dans l'étendue physique - beaucoup moins foisonnante, en définitive - que je me réfugie pour retrouver la faculté de me concentrer. À la terrasse d'un café, le bruit des voitures, le manège des gens qui marchent, et même les conversations alentour, même les musiques d'ambiance qui autrefois m'irritaient, tous ces phénomènes simples, monotones, réguliers, prévisibles, son devenus pour mon attention des points de fixation beaucoup plus sûrs que la solitude d'un bureau ou d'une chambre où je sais que l'infini est à la portée de ma paresse, des mes fantaisies et de ma mauvais volonté."

     

  • La carte postale du jour...

    "Les symphonies ne seront pas vendues. Je ne m'adresserais pas à un éditeur, qui ferait sur elles de l'odieuse réclame, et qui en souillerait la première page avec son nom indifférent. Je les ferais imprimer à mes frais, in-8°, sur papier de luxe, en grands caractères elzéviriens penchés, et le tirage sera de cent exemplaires (...) Pas un exemplaire ne sera mis dans le commerce ; pas un surtout ne sera envoyé aux critiques..."

    - Pierre Louÿs, Journal intime (avril 1890)

    dimanche 11 octobre 2015.jpg

    Parfois je n'ai pas envie d'écrire ; les œuvres parlent d'elles-mêmes dit-on ; je repense à "Bobi" Bazlen, à Trieste et au Stade de Wimbledon adapté au cinéma par Mathieu Amalric où, à la fin du film, Ljuba, vieille dame et grande lectrice qui perd la vue, déclare que seul celui qui n'écrit pas peut se permettre de juger correctement l'écrit ; dans un autre film, celui d'Eugène Green, Le pont des arts, une jeune femme déclare (plus ou moins - je récite de mémoire...) qu'André Breton fut un grand écrivain ; ce à quoi son interlocuteur - un jeune étudiant - répond que s'il avait moins écrit, son œuvre n'en aurait été que meilleure.

    Less is more, écrivait le poète Robert Browning en 1855 déjà... Ainsi Song to the siren de This Mortal Coil (utilisé dans un très beau roman de Cécile Wajsbrot, Totale éclipse) et le petit essai Pour la littérature de Cécile Wajsbrot (again) se passeront de commentaires.

    Reste une pensée pour Marc Dachy qui nous a quitté mercredi dernier et qui avait utilisé, pour son dernier livre, une partie de cette phrase tirée d'une lettre datant de 1917 et adressée par Tristan Tzara à Picabia "Je m’imagine que l’idiotie est partout la même puisqu’il y a partout des journalistes."