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joy division

  • La dernière carte ...

    "So this is permanent, love's shattered pride.
    What once was innocence, turned on its side."

    - Ian Curtis

    mercredi 21 décembre 2017.jpg

    Après près de deux cents chroniques croisées musique et littérature, Manœuvres de diversion (en attendant la nuit) se termine - un livre prendra le relai fin 2017. À noter aussi une soirée dédiée à Ian Curtis, en mai 2017 (avec expo, musique, performance... au Cabinet, à Genève).

    Merci à toutes celles et ceux qui ont pris le temps de lire ce blog. Un dernier disque, un dernier livre... 

     

    Isolation par Starchildren (en fait les Smashing Pumpkins).

    https://www.youtube.com/watch?v=Hob3WL7QBoU

     

    Extrait du (débordien) Entertainment!, de Francisco Masci (à lire en toute quiétudes aux éditions Allia) :

    "Au moment même où  l'homme perdait son unité dans la diffraction multiple de ses fonctions conséquente à la différenciation fonctionnaliste de la société moderne, il la retrouvait sous forme de promesse que les événements n'ont depuis jamais de cessé de renouveler. Avec la naissance de la culture absolue, la vie sociale des hommes a, par conséquent, migré vers cette sphère de la fiction autonome où le sujet, qui n'a pas d'autres relations qu'avec soi-même, pris dans cette inépuisable réflexion de soi sur soi, voit réduite à néant la contrainte du temps vécu."

     

     

  • La Carte postale du jour ...

    "Je ne comprends pas qu'on laisse entrer les spectateurs des six premiers rangs avec des instruments de musique. Au vestiaire les violons, clarinettes et autres bassons !"
    - Alfred Jarry

    dimanche 27 novembre 2016.jpg

    Je me souviens d'avoir adoré la reprise qu'avait faite Siouxsie de Spiegelsaal (en anglais Hall of Mirrors) de Kraftwerk, sur son album Through the looking glass, de 1987, et d'avoir soudainement fait plus attention aux textes du groupe allemand qui avait beaucoup à dire sur la société du spectacle et de la consommation des années 70s.

    Je me souviens bien de l'influence considérable de Kraftwerk sur David Bowie, qui les invitera à tourner avec lui en 1976 - ce que Kraftwerk refusera poliment, pour lui rendre hommage un an plus tard en chantant De station en station / retour à Dusseldorf City / rencontrer Iggy Pop et David Bowie - ; sur Ian Curtis, qui diffusait parfois Trans Europa Express avant que Joy Division monte sur scène ; sur les pionniers de la Techno comme Juan Atkins, Derrick May et Kevin Saunderson ; et bien sûr Kraftwerk influença New Order qui s'inspirèrent de Europa Endlos pour leur très bon titre Your silent face (1983).

    Je me souviens aussi de cette anecdote racontée par un membre de Kraftwerk qui expliquait qu'après un concert parisien, le groupe était allé au Palace (ou aux Bains?) et que le DJ, voulant leur faire plaisir, avait passé Trans-Europa Express, vidant instantanément la piste de danse, ce qui fut un grand moment de solitude pour les musiciens allemands...

    https://www.youtube.com/watch?v=qBGNlTPgQII

     

    Je n'avais jamais eu vent de cette bande dessinée qui retrace l'histoire de la house music, en croisant la disco, le funk, la soul, la techno de Detroit, la french touch et même la new-wave... heureusement, les éditions Allia ont eu la bonne idée de rééditer ce bel objet réalisé à l'aube des années 2000 par deux fins connaisseurs des musiques, principalement électroniques, mais pas seulement, vous l'aurez compris. Didactique et drôle, ce guide à la narration impeccable a l'élégance de nous guider dans les clubs et de nous faire découvrir les DJs de New York à Paris (manque peut-être la Belgique et l'electronic body music, grands absents de ce recueil...), depuis les années 60 jusqu'à la fin des années 90, et tout ça avec un regard parfois critique, surtout vers la fin du livre où l'on sent que quelque chose ne va plus : tout le monde a voulu monter dans le train de l'électronique, et la machine a comme déraillé. En tout cas, David Blot et Mathias Cousin nous font profiter de leur immense culture musicale en nous donnant régulièrement des listes de chansons par thème : "disco partout", "Chicago et house music", "Detroit techno city" ou encore une liste "Manchester" incluant les Happy Mondays, bien sûr, mais aussi A Certain Ratio, The Fall et les Smiths - génial ! Et puis comme ils sont fans de New Order, on a droit à un cahier spécial sur le groupe, réalisé en 2001 et qui est vraiment bien sympathique, surtout pour l'anecdote racontée par le groupe mancunien déclarant qu'en 1986, alors que les musiciens enregistrent leur album Technique à Ibiza, ils auraient croisé Nico et discuté avec elle, juste avant qu'elle ne reparte sur son vélo et décède une heure plus tard - ils seraient donc les derniers à l'avoir vue ! Presque incroyable... Le chant de la machine est une BD qui tend vers ce que faisait le dessinateur américain Crumb dans les années 60, alors que le texte (ou plutôt "le scénario", signé David Blot) est rédigé dans un style journalistique et humoristique qui rend la lecture aussi facile qu'intéressante, que l'on soit fan de musique électronique, ou pas, passant de la disco new yorkaise au son froid de Kraftwerk pour revenir vers Daft Punk et les premières raves du début des années 90. Un grand moment musical, un livre passionnant et original.

    Extrait de Le chant de la machine, de David Blot et Mathias Cousin (publié par les éditions Allia) :

    Le chant de la machine.jpg

     

     

     

     

     

  • La Carte postale du jour ...

    "Il chemina jusqu'au quai des Augustins, se promena le long du trottoir en regardant alternativement l'eau de la Seine et les boutiques des libraires, comme si un bon génie lui conseillait de se jeter à l'eau plutôt que de se jeter dans la littérature."

    - Balzac, Illusions perdues

    mardi 15 novembre 2016.jpg

    Je me souviens qu'à la première écoute des deux uniques albums de Glorious Din, il y a de cela quelques années à peine, j'ai pensé à la fois à Joy Division mais aussi à R.E.M. (celui des années 80 donc, des premiers disques, Murmur ou Reckoning, de la merveilleuse chanson So central rain I'm sorry par exemple), ce qui, sur le moment, m'a semblé plutôt incongru, puis je me suis ensuite demandé comment diable j'avais pu passer à côté de ce groupe phare de la scène post-punk de San Francisco de la seconde moitié des années 80 !

    Je me souviens bien que le chanteur de Glorious Din, Eric Cope (dont le nom d'artiste est un hommage à Julian Cope), a poussé son obsession pour Joy Division jusqu'à nommer son deuxième enfant Ian (en 1980), son propre label Insight (du nom de la chanson de Joy Division) et produire lui-même le second album, Closely watched trains, dans l'idée de reproduire le même style de production que Martin Hannett, le fameux "cinquième musicien" de Joy Division en studio.

    Je me souviens aussi d'avoir pensé que Glorious Din, ou du moins son parolier, avait comme point commun avec les Sisters of Mercy une certaine obsession pour le train, qui revient dans plusieurs de leurs chansons, et notamment avec du retard dans le superbe Another train pulls in.

    https://www.youtube.com/watch?v=ujjd-b6g304

     

    Il y a un proverbe dans le monde du livre qui dit que si on veut se faire une petite fortune dans l'édition, il faut commencer avec une grosse fortune. Il faudrait aussi lire les essais d'Eric Vigne (Le livre et l'éditeur, Klincksieck 2008), de Jean-Yves Mollier (Une autre histoire de l'édition française, La Fabrique 2015) et de François Dosse (les hommes de l'ombre - portraits d'éditeurs, Perrin 2014), ce à quoi je rajouterais comme lecture complémentaire le Journal de stage de Bruno Migdal (pour rire un peu) ainsi que le très intime et beau Jérôme Lindon de Jean Echenoz (pour voir quelle relation particulière entretiennent, parfois, les éditeurs avec un ou plusieurs auteurs). Avec tout ça, il faudra maintenant, pour les intéressés de la chose et, surtout, les jeunes gens de dix-sept à septante-sept ans qui désirent monter une maison d'édition, lire ce petit mais ô combien intéressant livre-témoignage d'Eric Hazan : Pour aboutir à un livre. À travers un grand nombre d'interrogations allant de la construction du catalogue au rapport aux librairies tout en n'oubliant la question du livre numérique, ce livre pourrait avoir des faux airs de guide du parfait petit éditeur - de l'éditeur indépendant -, mais c'est bien mieux encore puisqu'il s'agit de situer l'éthique et la philosophie même des éditions La Fabrique ; leur rapport aux subventions, aux choix des textes, aux traductions, etc. Eric Hazan y parle de son travail, de sa passion, de ce qui l'oppose encore à ce qu'il appelle la "falsification contemporaine", à savoir l'édition commerciale, celle qu'on trouve malheureusement chez bon nombre de libraires, cette édition qui est le fruit pourri de grands groupes, des best-sellers, des listes des meilleurs ventes (en France l'Express, en Suisse l'Hebdo par exemple), des prix littéraires, tout un système auquel de nombreux petits éditeurs indépendants refusent de participer (où ne peuvent pas... la frontière est floue parfois), même si, en éditeur lucide, il n'oublie pas non plus que La Fabrique est aussi un commerce, pas comme les autres, certes, car c'est le commerce de l'esprit, des idées, mais quand on sort des livres, il faut aussi les vendre, et ça, Eric Hazan et son équipe savent le faire, à leur manière, et pour notre plus grand plaisir intellectuel.

     

    Extrait de Pour aboutir à un livre, d'Eric Hazan (publié aux éditions La Fabrique) :

    "Par quels traits peut-on distinguer une bonne librairie ?

     Avant tout par l'existence d'un point de vue. Aucun livre n'est là par hasard ou parce qu'on en a parlé dans tel média : il est présenté parce qu'il est nécessaire, il est mis en perspective. Les tables sont des ensembles construits. Dans le livre auquel vous avez fait allusion, Roland Alberto, de l'Odeur du temps à Marseille, explique que « l'objectif, c'est une librairie où chaque livre est relié aux autres par un fil fait de rencontres, de lectures, de spéculations, d'erreurs et de notes de bas de page. Le client qui entre va être pris dans cette toile : il a acheté celui-ci, il cherchera celui-là. » La fréquentation des librairies apprend à repérer une telle cohérence en regardant simplement la vitrine.

    Ces librairies-là ont-elles un rôle différent des autres, en ce qui concerne l'édition indépendante ?

    La production des petites maisons y occupe plus de place que ne le voudrait son poids en termes de chiffre d'affaires, de nombre de volumes publiés - oui, on peut dire que les bonnes librairies indépendantes favorisent l'édition indépendante."

     

  • La Carte postale du jour ...

    "L'homme qui pratique la lucidité pendant toute sa vie devient un classique du désespoir."

    - Emil Michel Cioran

    dimanche 6 novembre 2016.jpg

    Je me souviens de l'année 1996 pour différentes choses, d'abord parce que c'est l'année de la sortie du film Fargo, des frères Cohen, que j'avais beaucoup aimé, c'est aussi l'année où sort la chanson en duo de Nick Cave avec PJ Harvey, Henry Lee, merveilleuse, l'année de l'album Ende Neu des Neubauten et celle encore de la bande originale de Lost Highway avec un très beau titre de David Bowie, et puis '96 c'est aussi l'année où Bedhead sortent ce magnifique 10pouces, mélancolico-pantouflard comme j'aime.

    Je me souviens bien que Bedhead ont repris Disorder de Joy Division et Golden Brown des Stranglers, ce qui me les rend éminemment sympathiques.

    Je me souviens aussi que j'avais été touché par la chanson The dark ages, surtout quand le chanteur chante de sa voix un peu nasillarde : "The dark ages last a few hours / But that's all the time that's needed / To erase memories, create horrible dreams, ruin sleep / Destroy all possibility of elimination"

    https://www.youtube.com/watch?v=6vv6iHxhOZk

     

    Vers 1850, un critique dont tout le monde a oublié le nom avait professé la fin de la littérature, sa mort, sa disparition, et pourtant : elle est pourtant bien vivante, quoique malade peut-être. Les ouvrages dans une veine désenchantée traitant des possibles fins de la littérature sont légion et bien souvent très intéressants, parce qu'au fond, ils permettent quand même de questionner notre rapport à la littérature dite contemporaine, et plus encore : de cerner un peu mieux de quoi on parle. Nu dans ton bain face à l'abîme, le manifeste littéraire après la fin des manifestes et de la littérature fait partie de ce type d'ouvrages. Bien que très court, il est très original et commence par cette question : "C'était quoi la littérature ? C'était la littérature de Diderot, Rimbaud, Walser, Gogol, Hamsun, Bataille et surtout de Kafka : révolutionnaire et tragique, (...)", pour ensuite évoquer la cause du grand déclin, où plutôt les causes, parce qu'il n'y en aurait pas qu'une - cela serait trop simple. La littérature d'aujourd'hui est, pour Lars Iyer, lui-même romancier, philosophe et grand connaisseur de l'œuvre et de la pensée de Blanchot, "un produit comme les autres", qu'il qualifie alors de "remarquable, exquis, laborieux, mais toujours petit" car "aucun poème ne fomentera de révolution, ni de roman ne défiera la réalité, plus maintenant". Ce livre a, dans sa première partie, quelque chose de Notre besoin de consolation est impossible à rassasier où Stig Dagerman notait avec une certaine lucidité (et un peu d'amertume sans doute) que "Thoreau avait encore la forêt de Walden - mais où est maintenant la forêt où l'être humain puisse prouver qu'il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société ? ", tandis que Lars Iyer note de son côté dans un chapitre dédié à Enrique Vila-Matas : "c'est seulement au bord de l'abîme que nous nous souvenons de ce qui est intouchable". Le directeur des éditions Allia, Gérard Berréby, ne s'y est pas trompé en faisant traduire ce petit texte, car il est essentiel, et, malgré un certain découragement envers la littérature contemporaine, aborde celle de Kafka, Thomas Bernhard et Bolano, ce qui donne immanquablement des envies de lectures ou de relectures. À l'heure des poètes qui rentrent dans une librairie sans regarder les livres, des écrivains qui collent à la réalité pour donner sur papier un équivalent de mauvaise série télévisée (mais sans l'image, et parfois sans le son), c'est à cette heure imprécise et inquiète qu'il est bon de regarder dans l'abîme, car celui-ci est oubli et, donc, apaisement. Et nu dans son bain c'est encore mieux.

    Extrait de Nu dans ton bain face à l'abîme, de Lars Iyer (traduit par Jérôme Orsoni, publié aux éditions Allia):

    "Pour ceux d'entre nous qui sont pragmatiques, la fin de la Littérature est simplement la fin d'un modèle mélodramatique, un faux espoir qui est passé par la psychanalyse, le Marxisme, le punk et la philosophie. Mais les moins pragmatiques d'entre nous prenons conscience de ce que nous avons perdu - nous en faisons l'expérience. Sans la Littérature, nous perdons et la Tragédie et la Révolution. Or ce sont les deux dernières modalités valables de l'Espoir. Et quand la Tragédie disparaît, nous sombrons dans la morosité, une vie dont l'infinie tristesse est d'être moins que tragique. Nous avons soif de tragédie, mais où pouvons-nous la trouver lorsqu'elle a cédé la place à la farce ? La honte et le mépris sont désormais les seules réponses aux manifestes littéraires. Tous les efforts viennent désormais trop tard, toutes les tentatives sont des impostures. Nous savons ce que nous voulons dire et entendre, mais nos nouveaux instruments ne tiennent pas l'accord. Nous ne pouvons pas refaire ou faire à nouveau puisque ces deux actions se sont télescopées pour devenir équivalentes  - nous sommes comme les clowns d'un cirque qui ne tiennent pas dans leur voiture. Les mots de Pessoa résonnent à nos oreilles : "Puisque nous ne pouvons tirer de beauté de la vie, cherchons du moins à tirer de la beauté de notre impuissance même à en tirer de la vie." C'est la tâche qui nous est confiée, notre dernière, notre meilleure chance." 

     

     

     

     

  • La Carte postale du jour ...

    "Nul n'a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir en fait de l'enfer."

    - Antonin Artaud, Van Gogh, le suicidé de la société

    dimanche 30 octobre 2016.jpg

    Je me souviens de cette fille qui m'avait dit qu'une classe entière de son collège était fan de The Chameleons, excepté peut-être trois ou quatre élèves quand même ; j'avais alors pu juger à quel point ce groupe, aux alentours de 1988 en tout cas, avait un succès presque aussi grand que The Cure ou U2 - mais qui s'en souvient aujourd'hui ?

    Je me souviens bien que dans un entretien, le chanteur Mark Burgess avait déclaré que lorsqu'ils avaient fondés les Chameleons, en 1981, près de Manchester, le but était de ne pas ressembler à toutes ces copies de Joy Division ; pari (presque) réussi puisque leur premier album post-punk et épique, Script of the bridge - produit par le même producteur que U2 à qui ils ressemblent un peu d'ailleurs (U2 période 79-81 donc) -, se détachait plutôt bien de l'ombre écrasante de Joy Division, dont le chanteur s'était suicidé un an plus tôt.

    Je me souviens aussi m'être toujours demandé "mais qu'est-ce que c'est que cette pochette moche et ratée de groupe de hard-rock progressif des années 70 ?!?" ; reste heureusement la musique, comme A Person Isn't Safe Anywhere These Days par exemple ...

    https://www.youtube.com/watch?v=MGLOeQ3Y618

     

    Frédéric Pajak fait ici honneur aux mots de Flaubert qui dit que l'auteur, dans ses livres, doit être présent partout mais visible nulle part. De tous ses Manifeste incertain, Pajak n'a en effet jamais été aussi peu présent. Certes il vitupère contre la misère de la société moderne au début du livre, sur l'absence de beauté des centre-villes "ravagé par les boutiques", mais c'est pour mieux se consacrer à la biographie de Vincent Van Gogh qu'il admire, on le sent bien, énormément. On découvre ainsi Vincent AVANT Van Gogh. Car bien sûr, tout le monde sait pour l'oreille coupée, mais peu (j'en faisais partie avant de lire ce livre) connaissent à quel point la folie de Van Gogh fut grande et dévastatrice, à quel point il fut possédé par l'art et la peinture, et ô combien cette possession fut dévoration. Et là où nous pourrions n'être plus que fasciné par la folie de l'artiste, Pajak sait nous rediriger avec soin vers la peinture, puisque il faut, comme disait Sénèque, toujours séparer les choses du bruit qu'elles font ; et en cela, Pajak est un guide formidable - sans oublier bien sûr ses dessins, ceux de Pajak donc, qui sont formidables et illustrent de manière souvent distante cette belle biographie dont on sort avec un regard neuf, comme lavé, sur Vincent Van Gogh et son art - cet artiste qui ne vendit qu'une seule toile de son vivant et mourut dans des circonstances étranges...

    Extrait du Manifeste Incertrain 5, de Frédéric Pajak (publié aux éditions Noir Sur Blanc) :

    "C'est l'automne. Les arbres jaunissent, perdent leurs feuilles. La couleur jaune remplit l'espace.

     Au détour d'une lettre à son ami le peintre belge Eugène Boch, il se montre soudainement nostalgique : "J'aime tellement ce triste pays du Borinage qui toujours me sera inoubliable."

     Vincent lit un article sur Ma religion, de Léon Tolstoï. Il y apprend que celui-ci annonce une "révolution intime et secrète des gens, d'où renaitra une religion nouvelle ou plutôt quelque chose de tout neuf, qui n'aura pas de nom, mais qui aura le même effet de consoler, de rendre la vie possible, qu'autrefois avait la religion chrétienne." Vincent prédit que bientôt "on finira par en avoir assez du cynisme, du scepticisme, de la blague, et on voudra vivre plus musicalement."

     Il est d'humeur de plus en plus inégale. Ses états d'exaltation font place à une manie de la persécution. S'en inquiète-t-il ? Il balaie vite ses craintes, déclare que ses sentiments "donnent plutôt dans les préoccupations d'éternité et de vie éternelle."

     Il lui tarde d'accueillir Gauguin dans la Maison jaune. Celui-ci doit arriver très bientôt. Corps et âme, Vincent se prépare à accomplir son projet d'"Atelier du Midi" ; il se dit même prêt à "plaire au public" afin d'apporter quelques sous à la communauté. Son utopie se présente comme une ascèse : un toit, un lit, de quoi manger et "soutenir le siège de l'insuccès" - qui durera toute l'existence. Il s'agit de vivre au prix le plus bas et de produire des œuvres de qualité, "en vendant peu ou pas". L'important est de préparer le salut pour les peintres du futur : "Nous devons surtout chercher le remède en dedans de nous, dans la bonne volonté et la patience. En nous contentant de n'être que des médiocrités. Peut-être ainsi faisant, préparons-nous une nouvelle voie."