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Minuit

  • La Carte postale du jour ...

    "La fin est dans le commencement et cependant on continue."

    - Samuel Beckett, Fin de partie

    dimanche 3 juillet 2016.jpg

    Je me souviens d'avoir plusieurs disques de groupes fondés par des frères dans ma collection ; d'abord ceux des And Also The Trees, composés des frères Jones, Simon et Justin, puis ceux d'In The Nursery, de Sheffield, avec les sympathiques frères (jumeaux!) Nigel et Klive Humberstone, ainsi que les disques des mythiques Jesus & The Mary Chain, avec William et Jim Reid, et puis, pour terminer la liste ici (car elle serait longue encore), il y a aussi les Psychedelic Furs, fondés par les frères Tim et Richard Butler.

    Je me souviens bien, mais je n'en suis pas particulièrement fier pour autant, que c'est quand même à cause du teen-movie Pretty in pink que j'ai été attentif aux Psychedelic Furs vers la fin des années 80 ; ils se partageaient la bande originale avec des groupes que j'adorais alors (et que j'adore encore aujourd'hui) comme OMD, New Order et Echo & The Bunnymen (et sa magnifique chanson Bring on the dancing horses).

    Je me souviens aussi d'avoir redécouvert la chanson Love my way parce que ce titre était repris par Grant Lee Phillips sur son album Nineteeneighties au mitan des années 2000 - un album conçu uniquement de reprises, avec New Order, The Cure et les Smiths -, et d'avoir éprouvé un soudain regain d'intérêt pour les Psychedelic Furs et son leader charismatique Richard Butler qui me faisait l'effet (à ses débuts) d'être une créature hybride, née du croisement de Johnny Rotten et David Bowie !

    https://www.youtube.com/watch?v=LGD9i718kBU

     

    Depuis 2011 et son excellent (petit) livre Tout ce que j'appelle oubli, j'ai beaucoup de plaisir à découvrir les nouvelles publications de Laurent Mauvignier, un auteur de chez Minuit qui construit son œuvre dans le temps, et ce depuis la fin des années 90. Ce nouveau roman s'inscrit dans la lignée du précédent, Autour du monde. L'auteur s'applique à une écriture un peu moins exigeante qu'à ses débuts (Apprendre à finir, par exemple), plus légère donc mais toujours avec son style ; il propose aussi une littérature qui se voudrait peut-être plus cinématographique. Et là où Autour du monde proposait une série de personnages qui composaient une suite de vignettes dont la thématique centrale était celle du déplacement au vingt et unième siècle, Continuer se concentre sur quelques personnages seulement - une mère et son fils principalement -, mais garde le déplacement comme thème central, puisque ce roman qui débute en France se déroule ensuite au Kirghizistan, pour mon grand plaisir d'ailleurs, puisque j'adore que la littérature m'emmène dans des lieux dont j'ignore (presque) tout. Le point fort chez Mauvignier c'est d'arriver à renouer, comme dans le premier chapitre d'Autour du monde et sa description des ravages du tsunami, avec des scènes fortes, très imagées, des situations tendues, tragiques parfois, comme un passage vraiment fort avec les chevaux (mais je n'en dirais pas plus), tensions qui rendent la lecture de ce roman bien souvent passionnante (ce livre ferait un admirable film d'auteur d'ailleurs). Par contre, le point faible, c'est quand il s'agit de toucher à des thématiques sociales - et là, je regrette alors une légère superficialité, même si ces facilités permettent en quelque sorte au roman d'avancer à un rythme constant - ce point faible est donc tout relatif. Laurent Mauvignier propose avec Continuer un bon roman d'aventure dans sa forme, incorporant pour le fond des thèmes de société, actuels, et une bande sonore qui va en replonger plus d'un dans une agréable nostalgie, puisque l'auteur cite beaucoup Heroes, du regretté David Bowie (même si moi j'y aurais ajouté Love my way des Psychedelic Furs, tiens!). Continuer est l'un des grands romans de cette rentrée littéraire 2016.

    Extrait de Continuer, de Laurent Mauvignier (publié aux éditions de Minuit dès la fin août 2016) :

    "Et pourtant, elle sait qu'il ne faut pas renoncer, pas encore, pas maintenant ; elle ne peut pas s'y résoudre. Elle repense que ça n'a pas toujours été comme ça dans sa vie, qu'il y a eu des moments où les gens se retournaient dans la rue pour regarder cette jeune femme qui dégageait une énergie et un amour si grand qu'ils auraient tous parié que rien ne pourrait lui résister. Mais c'est tellement loin dans son esprit, dans sa vie, l'histoire d'une vie ancienne, d'une vie morte, d'une vie où elle avait cru qu'une femme comme elle pouvait être chirurgien ou écrire des romans. Et quand cette idée, ces idées-là, ce à quoi elle avait cru si fort, ce en quoi elle avait longtemps forgé l'espoir de son avenir, quand ils lui reviennent en mémoire, aujourd'hui, tous ces souvenirs, quand l'amertume de toutes ces prétentions lui reviennent à l'esprit, elle se sent rougir comme une gamine honteuse, prise la main dans le sac. Chez elle, dans la cuisine ou dans son bain, ne faisant rien, simplement en laissant refluer ces chimères pourtant enfouies si profondément qu'elles avaient complètement disparu de sa vie - Beckett, les copains de Tours, New Order et Bowie, elle rougit, disparaît dans la mousse de son bain, s'enfouit sous les draps quand elle est dans son lit ou bien détourne la tête si elle est avec quelqu'un. C'est une bouffée de honte, comme si soudain elle prenait conscience de la prétention qu'elle avait eue pendant toute sa jeunesse. Car bien sûr, ça ne sert à rien de rêver, de ne pas savoir reconnaître qu'on n'est pas capable, simplement pas capable. Bien sûr, il a raison Benoît, c'est plus dur d'assumer d'être celle qu'on est, de n'être que cette personne qu'on est. On n'est pas un autre. On n'est que ce corps, on n'est que ce désir bordé de limites, cet espoir ceinturé. Alors il faut apprendre à s'en rendre compte et à vivre à la hauteur de sa médiocrité, apprendre à s'amputer de nos rêves de grandeur, de vie au calme, à l'abri de nos rêves. Où est-ce qu'elle avait pu croire qu'une fille comme elle aurait pu écrire des livres, des romans ? Et même, un moment elle avait travaillé comme une folle à son roman, elle avait travaillé comme une folle pour devenir chirurgien, et tout le monde l'avait crue capable, tout le monde s'était trompé avec elle, oui, tout le monde lui disait qu'elle aurait fait son métier avec talent et abnégation. Tout le monde s'était trompé pour la chirurgie, et heureusement, personne n'avait su pour le roman."

  • La carte postale du jour...

    "L'érotisme est dans l'approbation de la vie jusque dans la mort."

    - Georges Bataille, La littérature et le mal

    mercredi 17 février 2016.jpg

    Je me souviens d'avoir souvent pensé qu'il n'y avait rien de mieux que le format 10pouces pour les vinyles.

    Je me souviens bien d'avoir été enchanté par ce disque car il rempli parfaitement le cahier des charges, à savoir que le beau et sobre design de la pochette fut composé par Peter Saville (New Order, OMD, etc) et que la subtile production fut réalisée en studio par Martin Hannett (Joy Division, etc) - masterpiece.

    Je me souviens aussi qu'outre de faire le lien, aussi improbable soit-il, entre le post-punk de l'année 1980 et Abba, ce disque de Pauline Murray propose, sur sa face B et en guise de cerise sur la galette, une version plus expérimentale, minimale et synthétique de Dream Sequences, version qu'il m'est possible d'écouter dix fois de suite sans m'en lasser une seconde, bien au contraire...

     

    My mind is a turmoil of messy colour
    I’m crossing the bridge of conscious and self control
    Now I’m running through a maze, a maze of bushes
    There’s a station full of people and passing strangers

    You can ride away
    You never know, you never go

    Electrical rhythms are counting out sheep
    Somebody wake me before I go to sleep

    I try to cover
    but they stare at my naked body
    It’s still snowing
    It’s a permanent scene in this dream

    You can ride away
    You never know , you never go

    https://www.youtube.com/watch?v=uk9Cp2kToEQ

     

    Longtemps, je me suis levé de bonne heure. Parfois, à peine ma la lampe allumée, mes yeux s'ouvraient et cherchaient le nouveau livre d'Eric Laurrent, si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je suis éveillé. »... Ce beau début emprunté à Proust n'est là que pour signaler que l'un des auteurs les plus sous-estimés de ces quinze dernières années - au moins - a sorti un nouveau roman. Eric Laurrent avait déjà atteint des sommets dans l'autofiction avec Les Découvertes ; il nous avait aussi donné à lire un magnifique récit sur l'adoption - Berceau - il y a à peine un an et demi, et fut aussi responsable d'un très beau livre sur le décès de sa grand-mère (À la fin), pour ne citer que quelques exemples ; le voici revenu à une forme de roman plus classique, avec son penchant pour la grande phrase littéraire, harmonieuse, riche, musicale, une langue soignée à l'excès pour le plus grand plaisir du lecteur, et toujours court-circuitée par ce talent pour l'observation minutieuse des mœurs contemporaines (l'histoire se situant entre la fin des années 60 et le tout début des années 80), ce qui donne une tournure cocasse à certains chapitres. C'est qu'Eric Laurrent prend la littérature de vitesse tout en restant d'une concision rare et ce, probablement, grâce à un imaginaire fécond. S'il fallait le comparer (même si comparaison n'est pas raison, je sais), je dirais qu'il est dans la lignée directe de Jean Rouaud, de Balzac (pour ce roman en tout cas) ou même de Marcel Proust. Mais ce qui distingue particulièrement Eric Laurrent, c'est peut-être sa façon de décrire l'enfance, mais aussi l'adolescence et la découverte du corps (des corps parfois) et de la sexualité, avec un penchant pour la mélancolie post-coïtale peut-être ? Une fois la lecture terminée, on remarque cette ellipse parfaite, on reprend le premier chapitre, et on se surprend à relire Un beau début, entièrement - miracle ! c'est de la littérature, et de la grande.

    extrait de Un beau début, d'Éric Laurrent (qui sortira en mars aux éditions de Minuit) :

     

    "Il est vrai que, comme le disait Luc en plaisantant, après qu'elle lui aurait fait part de ses nouvelles ambitions, la jeune fille ne manquait pas d'« arguments », n'eût-elle que quinze ans. Même si la matière ductile qui était encore sienne continuerait à travailler un peu, son corps était désormais celui d'une femme et non plus d'une enfant. Les formes nouvelles qu'il avait prises récemment, tout au long de la dernière année, en une soudaine accélération des mouvements orogéniques qui bouleversent l'anatomie féminine durant la puberté, paraissaient d'autant plus épanouies que sa silhouette s'était étirée et amincie dans le même temps, de sorte que leur rehaut n'en saillait que davantage. Elles offraient en sus un saisissant contraste avec son visage, lequel, quoique ses traits eussent à peu près atteint leurs contours définitifs, conservait encore, en ce lent fondu enchaîné en quoi consiste la solidification de la physionomie, les inflexions un peu molles de l'adolescence. Sans en avoir pleinement conscience, Luc avait perçu tout l'intérêt qu'il y avait à fixer sur pellicule ce phénomène passager, qui fait un temps coexister sur certaines jeunes filles deux états pourtant successifs : l'innocence angélique émanant de ce visage inconfortait en effet la concupiscence aiguë qu'éveillaient ses appas, a fortiori lorsque ceux-ci étaient dénudés, qu'elle contrariait moins, cela dit, qu'elle ne l'excitait en définitive, en l'enveloppant du suave et capiteux parfum de l'interdit - et davantage encore : en faisant remonter du tréfonds de l'âme cet obscur désir de souillure, d'avilissement, de profanation, qui est chez l'homme consubstantiel à la possession physique.

     Aussi, dès la première prise de vues, et cela d'autant plus instamment que, à l'imitation de ses nouvelles héroïnes, la jeune fille inclinait spontanément à faire étalage de lubricité, Luc l'engagea-t-il à proscrire toute expression un tant soit peu aguichante, toute mine un tant soit peu salace, toute œillade un tant soit peu polissonne, et, plus encore, toute mimique par trop voluptueuse, tout geste par trop lascif ou toute posture par trop obscène, pour afficher au contraire la plus parfaite ingénuité, la candeur la plus puérile, comme si elle se fût dévêtue par pur agrément, pour se sentir à l'aise, et eût été surprise dans son intimité."