Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • La carte postale du jour...

    "Il y a un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l’oubli. Evoquons une situation on ne peut plus banale : un homme marche dans la rue. Soudain, il veut se rappeler quelque chose, mais le souvenir lui échappe. A ce moment, machinalement, il ralentit son pas. Par contre, quelqu’un essaie d’oublier un incident pénible qu’il vient de vivre accélère à son insu l’allure de sa marche comme s’il voulait vite s’éloigner de ce qui se trouve, dans le temps, encore trop proche de lui.
    Dans la mathématique existentielle cette expérience prend la forme de deux équations élémentaires : le degré de la lenteur est directement proportionnel à l’intensité de la mémoire ; le degré de la vitesse est directement proportionnel à l’intensité de l’oubli."

    - Milan Kundera, La lenteur

    mercredi 21 octobre 2015.jpg

    Je me souviens d'avoir découvert The Wedding Present sur la compilation Indie Top 20, en 1989, aux côtés de groupes que j'adulais alors comme Front 242 ou The Young Gods, et, à défaut de partager le même style musical que ces derniers, d'avoir particulièrement flashé sur leur version française de Why are you being so reasonnable now?- traduit très justement Pourquoi es tu devenue si raisonnable? -, avec cet accent anglais si charming, mais d'avoir par la suite été quelque peu rebuté par la pochette de l'album (argh, un footballeur dessus!).

    Je me souviens bien que The Wedding Present - croisement de The Fall et The Smiths sous amphétamines - fait partie de ces groupes dont les disques, achetés de manière impulsive, sont aller rejoindre les centaines d'autres peu, voir pas écoutés du tout, mais que j'ai finalement redécouvert le groupe au mitan des années 2000 avec le très bon album Take Fountain, plus serein et bien plus mature évidement, comme bonifié par le temps passé, leur pop tumultueuse perdant en vitesse pour gagner en subtilité.

    Je me souviens aussi d'avoir récemment craqué quand j'ai vu cette version du George Best en coffret contenant quatre vinyle 10pouces (mon format favori!) et que le dernier titre de la liste était...

    Tu ne m'avais jamais dit ca
    Toujours le dernier a savoir
    Je dois deviner chaque jour comment tu te sens

    Tu n'as jamais rien a me dire
    T'aurais du parler
    Je ne comprends pas
    Pourquoi tu n'as rien dit

    Tu sais que je hais ce que je te fais
    Je ne veux pas te blesser mais tu te voiles la face
    Je refuse de jouer le dernier acte
    Mais pourquoi es tu devenue si raisonnable?
     

    https://www.youtube.com/watch?v=A-dBBfi0wc4

     

    Grace aux éditions de Minuit j'aurais fait l'acquisition d'un livre nommé Berceau (signé Éric Laurrent - magnifique) et maintenant Football, de Jean-Philippe Toussaint. Pour faire pire il faudrait au moins que j'achète une biographie de Phil Collins ou un livre de Jean D'Ormesson (je plaisante, j'aime trop la vie). Football alors... Toussaint nous prévient : "Voici un livre qui ne plaira à personne, ni aux intellectuels, qui ne s'intéressent pas au football, ni aux amateurs de football, qui le trouveront trop intellectuel. Mais il me fallait l'écrire, je ne voulais pas rompre le fil ténu qui me relie encore au monde." Heureusement, l'auteur se trompe - volontairement peut-être... ce livre s'adresse aux uns comme aux autres (la preuve par moi : je déteste le football, où plutôt ce qui enrobe ce sport, le déforme, le rend hideux). Car oui, cet essai qui n'en ait pas vraiment un s'adresse aux bons lecteurs comme aux footballeurs (et il doit y avoir pas mal de personnes qui rentrent dans ces deux catégories à la fois), qui apprécieront dans ce texte la qualité d'écriture de l'expérience vécue, du souvenir, le fait de lier le football à l'enfance, à la liesse, à l'espoir et, évidement, aux voyages ; après tout, Toussaint est allé suivre des coupes du monde au Japon et en Allemagne et ses récits prennent alors une tournure presque ethnologique (surtout au Japon). Et puis, comme il le dit lui-même, "Je fais mine d'écrire sur le football, mais j'écris, comme toujours, sur le temps qui passe." Le football est lié aux saisons comme aux émotions et à la mélancolie qui les accompagnent. Ainsi ce qui débute comme une tentative d'épuisement d'un sport populaire teinté d'un humour sensible, se mue très lentement en récit personnel qui passe par la lecture du magnifique Survivance des lucioles de Didi-Huberman et par l'évocation de la mort du père de l'auteur, deux "actions" remettant en question son devenir en tant qu'écrivain, affirmant aussi, comme un couperet, son possible désamour (ou plutôt désaffection?) du Football.

    Magnifique, de bout en bout.

     

    Extrait de Football, de Jean-Philippe Toussaint (éditions de Minuit) :

    "À quelques secondes du coup d'envoi, dans l'ambiance électrique des tribunes du stade de Saitama, tandis que les joueurs étaient déjà en place et que la rencontre allait commencer, le stade fut soudain survolé à basse altitude par quatre avions de chasse sidérants qui frôlèrent les toits et disparurent dans un vacarme tonitruant en laissant dans leur sillage d'inquiétants lambeaux de fumée et de sinistres réminiscences de guerre, de violence et d'attentats. Mais, à part ces enfantillages militaristes, la soirée fut des plus douces. Le coup d'envoi du match fut donné, et lorsque, telle une délivrance inattendue, la Belgique ouvrit le score sur un spectaculaire retourné acrobatique de Wilmots, je bondis de mon siège, les bras au ciel, tournant sur moi-même et sautillant dans les gradins, ne sachant où aller, avec qui fêter l'événement, avant d'apercevoir un autre Belge tout aussi isolé que moi dans les tribunes. Nous nous précipitâmes gauchement l'un vers l'autre, ignorant comment concélébrer notre but, nous contentant de nous frapper violemment les paumes l'une contre l'autre, é la manière de deux basketteurs américains qui viennent de réussir quelque exploit. Rien de plus, nous n'échangeâmes pas un mot, je ne sais même pas si ce type parlait français (c'est une des relations les plus étranges que j'aie entretenue dans ma vie), le retrouvant un quart d'heure plus tard au même endroit pour répéter le même geste à l'occasion du deuxième but de la Belgique. J'aurais pu me contenter de fêter les buts belges, mais je dois confesser que, presque sans me l'avouer, j'ai éprouvé à chaque fois une satisfaction secrète de voir ce stade exploser et trembler sur ses bases à chacun des buts des Japonais. Finalement, ce match nul me convenait à merveille, c'était même exactement le score que j'appelais de mes vœux. Je me souviens que, début décembre, quand fut connu le tirage au sort des rencontres, j'avais envoyé un courriel à Kan Nozaki, mon traducteur japonais, pour lui dire que j'espérais que nous ferions assaut de civilités lors de ce Japon-Belgique, et que, connaissant de réputations les excellentes manière des gens de son pays, j'espérais que les Japonais auraient l'exquise politesse de ne pas nous battre et que nous aurions l'élégance de ne pas en profiter pour gagner."