Mercredi 18 juillet, veni, vidi, Dimitri …
Il faut donner du temps au temps dit Cervantès, et Proust déclare aussi justement que les jours sont peut-être égaux pour une horloge, mais pas pour un homme. Deux journées à Belgrade auront suffi à me faire perdre la notion de ce temps qui me manque tant à Genève. Le rêve. Je suis en mode aléatoire, en pleine dérive, et cette nouvelle journée peut commencer par un vrai déjeuner qu'il me faut alors quérir sur la Knez Mihailova, la rue piétonne où se côtoient boutiques chics et galeries d'art ainsi que de nombreux musées en phase de ré-ouverture annoncée parfois depuis quelques années. Knez Mihailova est aussi le lieu favori d'une sorte de jet-set belgradoise dont la représentation type est la jeune fille en fleur se distinguant par le port d'une robe ravissante, à l'allure inabordable, lunettes noires sur le nez dans une pose impériale. En bordure de cette rue c'est le nom d'un café qui attire subitement mon attention : Petit Prince (Mali Princ). J'y vois un signe, je m'y assieds et, ô bonheur, la carte propose de nombreux pains maison, sandwichs divers et croissants appétissants. C'est Byzance à Belgrade, ce qui, au regard de l'histoire, est, somme toute, parfaitement normal.
Après avoir comblé mon estomac, c'est mon désir de culture qu'il s'agit de satisfaire et je pars découvrir le musée Zepter et sa collection d'art contemporain serbe. Une erreur d'appréciation des bâtiments me fait entrer dans une galerie qui expose, à ma grande surprise, Petar Omcikous, peintre serbe dont nous possédons quelques tableaux à la librairie. L'ahurissement parvient à son comble lorsque je tombe face à face avec le portrait de Dimitri, de son vrai nom Vladimir Dimitrijevic, grand éditeur (L'Âge d'Homme) et propriétaire de la librairie, décédé le 28 juin 2011 dans un accident de voiture. Je vais immédiatement demander le droit de me prendre en photo près du tableau, ne négligeant aucun détail quant à cette heureuse coïncidence qui me fait me retrouver là juste devant le portrait de celui qui m'a engagé deux ans et demi plus tôt, me faisant immédiatement l'éloge du peintre Petar Omcikous. Plus ennuyé que médusé par mon histoire, le gardien se contente d'une réponse laconique : Faites donc ce que vous voulez ... ce que je m'empresse de faire, puis je visite l'exposition composée principalement de portraits réalisés depuis les années 50 jusqu'au plus récent, effectué en 2010 si mon souvenir est bon. Passé du figuralisme à l'abstraction, pour revenir au figuralisme, le style d'Omcikous approche son paroxysme dans ses portraits. J'aime particulièrement celui de l'écrivain genevois Georges Haldas en rêveur mélancolique qui cherche ses pensées perdues dans un halo verdâtre de fin de journée de juin. C'est une belle exposition qui me donne envie, dès mon retour à Genève, de me plonger dans la lecture du livre sur Omcikous signé Milija Belic et édité à l'Âge d'Homme. Après ça, le musée Zepter, pour intéressant qu'il soit, ne me laissera pas de grands souvenirs. Par contre à sa sortie je jette un oeil à la petite librairie qui jouxte l'entrée du musée et j'y découvre un excellent choix (en serbe) de littérature. W.G.Sebald, Hannah Arendt, Walter Benjamin, et bien d'autres grands noms, honorablement exposés à l'instar des nouveautés vulgaires qui encombrent habituellement les étals des libraires peu inspirés... chapeau bas.
Un petit tour à la plage puis retour en ville pour mon premier rendez-vous avec les autochtones, à savoir Bojan, jeune accordéoniste du formidable groupe de post-rock baroque Orkestar "Gradovi utočišta" (voir Vendredi 20 Juillet), qui m'emmène sur les remparts de la forteresse Kalemgdan qui surplombe le Danube et la Save, bel endroit ouvert toute la nuit et possédant quelques terrasses avec des cafés. Ce soir-là a lieu le vernissage du CD 2titres artisanal de Lula Mae, une formation où Bojan joue de l'harmonica. Si l'originalité de Lula Mae n'est pas à chercher dans sa musique qui digère bien les influences pop indé' anglo-saxonnes comme de très nombreux groupes européens, sa saveur se trouve plutôt dans la voix de sa chanteuse et la langue, le serbe, dont les sonorités se font ici plus délicates. Mais ce soir le groupe ne joue pas. En effet Milica, Zorana et Bojan se relaient aux platines pour une sélection musicale incluant bien sûr leurs propres titres, mais aussi Elliott Smith, Johnny Cash, The National et bien d'autres jolies choses. La soirée se prolonge juqu'à minuit, à boire des canettes de bière sans manger dans une ambiance sympathique, à parler de la Suisse et de la Serbie avec Bojan et ses amies Mina et Maria. Passablement éméché je vais me prendre un Giros plein de frites au retour. Le lendemain j'ai un peu mal aux cheveux et le Giros au poulet laisse quand même un drôle de goût dans le bec...
À suivre ...