Ces variations musicales du jeune Olafur Arnalds pèchent parfois par excès de mélancolie, mais elle sont un parfait accompagnement à la lecture de ce Somnambule dans Istanbul d'Eric Faye où je lis, entre autres souvenirs et récits de voyages : "Tout ce qui contrait la marche triomphante dudit système, de ce monde de rentabilité et d'efficacité à outrance, m'enchantait. C'est ainsi que j'avais pour passion hivernale la neige, non pas celle des stations d'altitude mais celle qui, un beau matin, paralysait les villes et mettait en panne la machine à réussir et abrutir qui fonctionnait sans relâche. Rien ne me rendait plus heureux que ces épisodes où l'hiver sortait le grand jeu et lançait des coups de force poétiques contra la civilisation. C'étaient des barouds d'honneur qui ne duraient jamais que quelques heures ou jours mais qui contraignaient alors l'homme, groggy, à la contemplation et à la poésie. Or, c'était décidé, je ne serais ni efficient ni compétitif, aspirant à une carrière de rêveur au long cours, et l'empire rouge, derrière son rideau de fer, m'apparaissait comme le seul contre-feu tenace aux valeurs qu'on m'imposait. Cette insurrection personnelle s'émoussa au fil de l'adolescence et mes jugements sur ledit empire en pâtirent, quoique relativement peu, au fond."