Island de Current 93 fut l'une des plus singulières découvertes qu'il me fut allouée au début des années nonante (cette sensation fut confirmée lorsque je découvris quelques années plus tard que la musique de ce disque fut utilisée dans sa version instrumentale pour le bouleversant film islandais Börn náttúrunnar). Parolier véritablement possédé par son art, David Tibet chuchote, raconte, puis scande et finit par hurler ses textes énigmatiques souvent longs comme deux bras. "Who am I? / Who do you say I am ? As i hoble on / To the land of the dull / Wings or wheels / Wings or wheels / Now I'm like a silly boy / Now I'm like a Wandering Jew / And he goes on / And thus I linger / And anyway / People die". Sa personnalité entre en résonance avec un passage de ce beau livre de Linda Lé - Le complexe de Caliban - qui est une espèce d'autobiographie litttéraire généreuse, cachée dans une grande bibliothèque, sur une île peut-être :
"Tout comme j'ai accordé l'éloquence aux exilés et endeuillés, j'ai doté de vocables les fous et j'ai laissé parler l'insensée en moi. La folie est sœur de la douleur. Les hallucinés, dans leurs imprécations et leurs divagations, disent la vérité sur le monde. Ce sont des visionnaires. En eux se manifestent la part de nous qui voit la vie telle qu'elle est, absurde et impitoyable. En eux survit notre innocence. En eux se disputent l'horreur et le rire. Ils vendent la tragédie pour une chanson. Ils nous enseignent la liberté de changer le malheur en farce. Quand l'exilé et l'endeuillé sont pétris du sérieux de leur condition, le fou balaie le drame d'un rire homérique. En tout écrivain s'agite un fou qui ne le laisse pas en repos avant qu'il n'ait converti sa tragédie personnelle en fable universelle."