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La carte postale du jour...

"...la liberté de circulation, qui a toujours été un avantage rare et inégalement réparti, devient rapidement le principal facteur de stratification sociale de l'âge moderne et postmoderne. [...] Certains peuvent quitter à volonté la localité, n'importe quelle localité. Les autres regardent désespérément la seule localité à laquelle ils sont attachés leur glisser des mains à grande vitesse."

- Zygmunt Bauman, Le coût humain de la mondialisation (1999)

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Je me souviens d'avoir acheté cet énigmatique maxi 3 titres pour sa couverture, puis d'avoir découvert quelque temps plus tard, par un ami fin connaisseur de musique dite "industrielle", que l'acronyme SPK cachait de nombreux noms différents tels que Sozialistisches PatientenKollektiv, Surgical Penis Klinik (le plus drôle probablement), System Planning Korporation, Selective Pornography Kontrol, Special Programming Korps, SoliPsiK et dans le cas présent SepPuKu.
Je me souviens quelle a été ma surprise de découvrir que l'un des fondateurs du groupe en 1978 était responsable de la bande sonore d'innombrables blockbusters depuis la fin des années 90 jusqu'à maintenant, comme le moisi The Crow, l'effarant Lara Croft : Tomb Rider, ou encore Assault on Precinct 13 nouvelle version, à laquelle on préférera, et de loin, la version originale de '76 par Carpenter; mais qu'au fond : il faut bien vivre, et faire des bandes originales de (mauvais) films doit certainement plus nourrir son homme que des disques de musique industrielle écoutés par une poignée de fans dans le monde occidental.
Je me souviens aussi d'avoir été assez marqué par le petit manifeste figurant au dos de la pochette du disque Dekompositiones, d'avoir pensé à Guy Debord et sa Société du spectacle, alors que les paroles mêmes de la "chanson" Another Dark Age - pour peu que l'on puisse qualifier ainsi une musique métallique, urbaine et tribale à la fois, où viennent se greffer des hurlements ou des paroles scandées d'outre-tombe! -, le texte, donc, me rappelle plus Cioran que je lisais beaucoup à la fin des années 80 :

the truth of science?
a shroud for carnage
this forced survival
on social security

such beautiful corpses
their breathless lips
of slender contortions

lie screwed to the earth
screwed to the earth
the masses swarm
the vermin swarm

Ce monde dénoncé par SPK en 1983, sclérosé par l'excès d'informations, c'est un peu celui que dépeint avec brio Laurent Mauvignier dans ses multiples compositions qui dressent au final un ingénieux panorama du monde actuel ; le voyage et plus encore le déplacement, l'exil voulu ou forcé de ses protagonistes aux nationalités changeantes, tout ceci est présenté en de nombreux et courts chapitres comme autant de vignettes photographiques débutant au Japon, passant par Dubaï, Rome, Tel-Aviv, tout autour du monde pour finir à Paris, tout en restant dans la même période de temps, à savoir plus ou moins entre le 11 et le 15 mars 2011. Plus qu'un roman de la catastrophe, celle du Tsunami mais également de notre époque, c'est un roman du vingt et unième siècle. Il sort dans une dizaine de jours, et c'est à lire, absolument.

"Et alors, ils ne le savent pas encore, mais quelque chose dans les entrailles de la terre, très loin en mer, pas assez loin cependant, quelque chose a commencé trop près du Japon, quelque chose dans la nuit marine, quelque chose, là-bas, dans les profondeurs, a commencé d'arriver. Ils peuvent encore croire que c'est parce qu'elle a fait un autre geste un peu maladroit que Yûko voit la bouteille de mezcal rouler sur le plancher. Mais cette fois, c'est différent, le mezcal se met à vibrer dans la bouteille - oui, c'est comme un frémissement, une casserole d'eau qui bout sur le feu. Et puis c'est la bouteille elle-même qui se met à trembler et à rouler. D'abord, c'est presque rien, ça arrive lentement, un frissonnement. Puis elle roule, mais ce n'est pas exactement ça. Elle semble plutôt prise de spasmes, elle vibre, elle sautille sur elle-même et ne sait plus sa route. Elle fait de petits bonds, elle rebondit, repart, dévie et Guillermo et Yûko s'arrêtent pour la regarder. Ils ne bougent plus. C'est comme une danse. Au début, un bruit comme les vieux télégraphes dans les films en noir et blanc. Et puis un bruit plus fort, un bruit de castagnettes. Ils voudraient rire, mais ils ne peuvent pas. D'autres bruits de castagnettes, de verre qui vibre. Quelque chose qui vibre. Quelque chose les retient de rire, quelque chose les tient tous les deux. L'un deux laisse échapper de sa bouche comme un oh étonné presque timide, incrédule. L'autre ne répond rien, s'il le faisait sa voix ne serait peut-être pas audible parce que les vitres elles-mêmes commencent à vibrer puis à trembler trop fort, puis les murs à l'unisson aussi tremblent et laissent monter cette vibration qui bientôt saisit toute la maison et la fait craquer et se tordre. À l'intérieur, tous les objets semblent soudain avouer qu'ils sont vivants, qu'ils ont toujours été vivants. Et ils geignent, chuintent, crient, hurlent et se contorsionnent, se déforment, tirent, poussent, cassent et cette fois la vie semble surgir de l'intérieur des objets, mais c'est une vie malade qui grince, éructe, grogne et à l'intérieur des vivants une autre vie s'anime - la vibration parcourt les corps et fait sonner les os comme une caisse de résonnance dans les membres, des bruits qui remontent le long des corps, quelque chose de trépidant dans les murs, dans les objets, quelque chose comme des pulsations instables se répandant, se diffractant, explosant partout à l'intérieur des choses et des corps."

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