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La Carte postale du jour ...

"Il n'a jamais pensé qu'on pouvait aussi regarder le silence, qu'on pouvait voir le calme et la paix comme on regarde un lac."

- Sorj Chalandon, Une promesse

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Je me souviens de Turin pour y avoir vu Current 93 et aussi parce que cette ville est, en quelque sorte, le troisième protagoniste du fabuleux livre de Frédéric Pajak - L'immense solitude -, et puis je me souviens de Turin parce que c'est la ville des sympathiques et talentueux musiciens du groupe Larsen.

Je me souviens bien de la présence de Julia Kent et Matt Howden, respectivement violoncelliste et violoniste, sur ce disque de Larsen, sobrement intitulé Play, ce qui était fort pratique pour les faire passer en concert à l'Usine, il y a un peu plus de dix ans aujourd'hui, parce que cela permettait d'avoir les deux musiciens, chacun en solo, en ouverture du concert de Larsen - du trois en un.

Je me souviens aussi que ce que j'aime chez Larsen, à y regarder de près, c'est cette lenteur, ce calme, cette quiétude qui rend leur musique imperturbable, singularité qui fait d'eux bien plus qu'un simple groupe de post-rock, les rapprochant plutôt - à mon goût - de l'école par trop méconnue des musiciens minimalistes actuels comme James Blackshaw ou Lubomyr Melnyk.

https://www.youtube.com/watch?v=0ZKCM1J3cQc

 

"L'œil est regard. Nous voyons, bien que nous ne voyons pas tous la même chose", et c'est ce que Philippe Costamagna nous explique au long de cet attachant récit qui est à la fois une autobiographie discrète de son auteur et un essai sur un métier méconnu mais ô combien passionnant que celui d'œil. Pratiqué par une dizaine de personnes dans le monde, il s'agira pour ces œils de savoir reconnaître un Caravage faussement attribué à un peintre vénitien du XVIIème, ou alors de reconnaître, sous le noir étrange d'un fond de tableau, un paysage entier. Ces histoires se lisent comme un roman et on est ravi d'en apprendre autant sur l'histoire de l'art que sur des peintres mineurs de la Florence de la Renaissance, ainsi que sur les découvertes, encore possibles (bien que très rares aujourd'hui), de peintures faussement attribuées, telle la magnifique Crucifixion de l'un de mes peintres favoris, Bronzino : d'abord attribuée à Fra Bartolomeo, elle fut enfin restituée à son véritable auteur en 2005, après que Philippe Costamagna et Carlo Falciani l'eurent authentifiée ; ce qui donnera lieu, cinq ans plus tard, à une rétrospective de l'œuvre de Bronzino, à Florence, proposant un tout nouveau regard sur cet artiste - et c'est une anecdote parmi des dizaines et des dizaines d'autres ! car le livre en regorge... Histoires d'œils est un cadeau du ciel !

Extrait de Histoire d'oeils, de Philippe Costamagna (publié aux éditions Grasset, dans la collection Le Courage) :

"Le regard de Mortimer Clapp, qui se laissa charmer par cette image, rompit avec les canons historiographiques établis par les lecteurs de Vasari et de Lanzi. Ils avaient coutume de penser qu'Andrea Del Sarto avait été le dernier grand artiste florentin. Au XIX siècle, l'historien d'art helvétique Jacob Burckhard s'était même appuyé sur une expression de Vasari pour présenter la mode picturale du XVI siècle, que Vasari appelait la maniera nuova, comme une tendance artistique décadente, un "maniérisme", anathème jeté ensuite sur ces peintres par le public puritain et bourgeois au grand complet. Cette vision eut la vie dure et la découverte de Clapp resta confidentielle durant près de quarante ans. Ce n'est que dans les années 50 que la redécouverte du journal intime du peintre, tenu de janvier 1554 à octobre 1556, alors qu'il était un vieillard et qu'il peignait son dernier chef-d'oeuvre, les fresques de la basilique de San Lorenzo, lui permit soudain de passer de la mort à la vie, de la gloire à l'oubli*, et d'acquérir un véritable rang d'icône. Dans ce subit retournement, plus que de peinture, il fut question de scatologie. Le pauvre Jacopo da Pontormo, très affaibli, avait relevé pendant près de deux ans les influences que ses changements de régime alimentaire faisaient subir à ses excréments. Son Journal avait été publié pour la première fois dans sa version intégrale par Frederick Mortimer Clapp lui-même, mais ce n'est qu'après la guerre que de grands esprits comme Carlo Emilio Gadda ou Pier Paolo Pasolini s'en emparèrent. Ils y lurent comme un testament directement adressé aux hommes du XX siècle, qui avaient connu le fascisme, les camps de concentration, et les situations d'humiliation extrême de la chair. Le Journal de Pontormo leur servit de bréviaire, et l'auteur finit par être élevé grâce à eux, en quelques années, au rang de véritable symbole de la pop culture."

* je crois que l'auteur voulait dire "de l'oubli à la gloire" ...

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