"Certes, il est pénible de vieillir, mais il est important de vieillir bien, c’est-à-dire sans déranger les jeunes." Pierre Desproges
Je me souviens bien de la première fois où, regardant 120minutes sur MTV, j'ai vu le clip du titre Creep de Radiohead, d'avoir vaguement apprécié cette chanson et d'avoir instanément haï son chanteur tête à claque Thom Yorke. Je me souviens de lire dans un magazine, des années plus tard, que Paul McCartney aurait déclaré qu'il aurait aimé composer un aussi bon album qu'Ok Computer avec les Beatles, avis partagé par l'un des fondateurs du label Warp qui aurait rêvé signer ce groupe, ce qui va me faire irrémédiablement changé d'attitude envers le groupe à partir du début des années 2000. Je me souviens aussi, et pour cause, de finir nombre de mes soirées comme DJ en passant Paranoid Android, ondulant sur sa rythmique changeante, ses contretemps et ses passages solennels, bénissant la production magique de Nigel Godrich, hurlant à tue tête son texte parano-misanthropique, mes amies et amis faisant de même :
"When I am king you will be first against the wall, With your opinion which is of no consequence at all"
Si 1997 est l'année de parution d'Ok Computer, c'est aussi l'année de la sortie du premier roman de Matthieu Terrence - Fiasco -, petit bijou de nihilisme et mini chef-d'oeuvre d'autodérision, où son protagoniste, à défaut de devenir quelqu'un, va tout faire pour devenir rien... lecture (presque) obligatoire à chaque anniversaire (le mien donc) :
"À force d'avoir mis de la distance entre moi et les autres, j'ai finit par me perdre de vue. Qu'advient-il de celui qui ne vit plus mais toise ses instincts ? Il mime la joie comme la détresse. Il évolue entre spleens et badinages, sur un équateur enneigé. Il n'a plus le moindre excès sur lequel s'appesantir. Seul subsiste le plaisir de raisonner. Interdit de séjour sur le territoire des certitudes, banni de ses propres sensations, il conjugue ses faits et gestes à la troisième personne du singulier. Reste pour lui à cultiver le vice, quoi qu'il arrive, de n'être là pour personne.
Pour moi aussi le silence est devenu le jardin des vérités vénéneuses, l'amour le deuil d'un flirt, et les apparences le rouge que le néant s'est mis aux joues. Je n'ai cependant pas subi la flétrissure à laquelle j'aspire.
En société j'ai su m'attirer la réprobation générale, mais cela n'a jamais valu le dégoût d'un proche. J'ai procédé à quelques attentats à l'aide des "coups de fusil" de phrases définitives. On s'en remettait vite. La conversation clopinait un temps avant de repartir. Je faisais de l'esprit parce que je manquais de coeur.
J'ai quitté des soirées sans mot dire, après avoir vidé un bain moussant dans l'aquarium du salon. Je me suis battu à mains nues avec des parts de gâteaux manquant de moelleux. J'ai fait mon courrier à table, en plein dîner, Je suis resté immobile lors de nombreuses pendaisons de crémaillère. J'ai parlé seul la plupart du temps. J'ai demandé à ma voisine si elle n'avait pas été présentoir à bijoux dans une vie antérieure. J'ai dragué les soeurs de mes hôtes avant de les emmener dans les toilettes sous le nez de leurs parents. J'ai croisé des ex en compagnies d'anciens copains et je n'en revenais pas de m'en contrefoutre à ce point.
Et puis, souvent, je suis rentré chez moi écoutant dans le noir "Memory" de Barbara Streisand.
Force m'est de constater que je n'ai tué personne. Albator m'a encore dit hier que je m'y prenais mal si mon but était de la voir s'empoisonner à cause moi. "C'est toi le poison et l'accoutumance a eu lieu." Je ne l'aurai pas plus sevrée que mise en overdose.
En fait, je m'en veux plus encore de n'avoir décidé personne à venir me régler mon compte, de n'avoir pas été assez ignoble ni assez aimé pour qu'on me tire dessus, de n'avoir été qu'insolent quand j'aurais dû être une ordure."