"Après notre mort, on devrait nous mettre dans une boule, cette boule serait en bois de plusieurs couleurs. On la roulerait pour nous conduire au cimetière et les croque-morts chargés de ce soin, porteraient des gants transparents, afin de rappeler aux amants le souvenir de caresses."
- Francis Picabia, Jésus-Christ rastaquouère
Je ne me souviens pas bien dans quelle émission radiophonique j'ai entendu Fool pour la première fois, mais je me souviens par contre d'avoir pianoté frénétiquement sur mon clavier pour identifier l'auteur de cette musique, et, une fois fait, d'avoir écouté ce titre de Nadine Shah en boucle sur mon lieu de travail - parfois je remercie le dieu de la technologie qui m'épargne l'humiliation qui consiste à fredonner un titre inconnu à son disquaire, qui en profite pour se foutre de moi sans pour autant trouver le titre recherché.
Je me souviens bien d'avoir d'abord pensé au titre Into the light de Siouxsie lorsque j'ai entendu Fool pour la première fois, puis, l'album en mains (un mois et une semaine d'attente quand même - je dois être sans doute le client le plus zen et le moins chiant du disquaire), j'ai alors pensé à Nick Cave, à PJ Harvey, même si Nadine Shah reste un cran en dessous quand même.
Je me souviens bien que ma plus grande surprise de cet album reste le titre Nothing else to do, qui, avec ses faux airs de Bolero de Ravel, dénudé au maximum, est l'écrin parfait à cette voix de sirène de bar à whisky, et colle plus à la personnalité que s'est construite Nadine Shah (avec son air "Frida Kahlo du rock"), mais, comme souvent, comme une amante impossible à oublier, comme attiré par un aimant, je reviens à Fool qui reste l'un des grands moments de ce disque.
You fashion words that fools lap up
And call yourself a poet
Tattooed pretense upon your skin
So everyone will know it
And I guessed your favorites one by one
And all to your surprise
From damned Nick Cave to Kerouac
They stood there side by side
You, my sweet, are a fool
You, my sweet, are plain and weak
Go let the other girls
Indulge the crap that you excrete
Douna Loup quitte la Suisse où se déroulait ses premiers ouvrages pour Madagascar, mais n'en quitte pas son écriture sensible et poétique pour autant. En deux romans elle a su imposer une langue, une voix, une plume habile et impressionniste qui fait tout son charme ; charisme avec lequel elle renoue dans ce beau livre où l'on suit les destins croisés de deux jeunes malgaches : un poète, Rabe, et sa muse, Esther, elle-même poétesse. C'est un roman où les petites histoires rencontrent la grande, celle de l'occupation de l'île par les forces militaires françaises. C'est aussi un roman qui fait la part belle aux couleurs, à la noirceur parfois aussi, aux émotions, à l'érotisme jusqu'à la sexualité la plus débridée. C'est un livre qui tangue puisqu'on oscille constamment, comme sur le pont d'un bateau ivre, entre le malgache et le français, les deux langues qui habitent Rabe et ses poèmes. L'oragé est un voyage en littérature, un voyage au pays des couleurs et des langues qui s'y déploient. Magnifique.
extrait de L'oragé, de Douna Loup, qui parait ces jours au Mercure de France :
"Une porte basse et carrée par laquelle on s'incline, on s'assoit, on prie, on se tait. L'école des Frères chrltiens d'Andohalo. Les années de couleurs primaires. On chante bleu, on gobe blanc, on récite rouge sur les bancs. La France et la chrétienté font lettres dans les jeunes cerveaux. Casimir parle le malgache, récite des comptines en français, fait mine de prier parce qu'il faut le faire mais préfère crier en malgache. Crier les mots qui rebondissent, volent d'une langue de gosse à l'autre, passent par la main qui chope la balle, par le pied qui s'emballe, par les yeux électriques et les bouches qui dans la rue crachent. Il aime faire claquer cette sauvage, cette malagasy qui traîne tard le soir dans la poussière des nonchalances. Les boutiques tardivement ferment leurs volets en malagasy, les bonbons achetés fondent en malagasy, les mangues s'avalent en malagasy, le riz aussi, surtout le riz.
Et cette langue que j'utilise, ce français qui me sert à dire, est pour l'heure pays étranger bloc lointain pour Rabe Casimir. Son pays, sa belle maternelle c'est ce lait ronono, ce rouge mena et le ciel lanitra."