Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

salauds

  • La carte postale du jour ...

    mercredi 5 février 2014.jpg

    bonjour ô monde cruel... la bande sonore angoissante des Tindersticks colle à merveille avec ma lecture du moment, à savoir Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal, un petit livre beau et tragique ( je recherche une copie du film - avec Noiret - désespérément ! ) : "Les ouvriers déchiraient les paquets, en tiraient des livres tout neufs, arrachaient les couvertures et jetaient leurs entrailles sur le tapis ; et les livres, en tombant, s'ouvraient ça et là, mais personne ne feuilletait leurs pages. C'était du reste bien impossible, la chaîne ne souffrait pas d'arrêt comme j'aimais à en faire au-dessus de ma presse. Voilà donc le travail inhumain qu'on abattait à Bubny, cela me faisait penser à la pêche au chalut, au tri des poissons qui finissent sur les chaînes des conserveries cachées dans le ventre du bateau, et tous les poissons, tous les livres se valent... Enhardi, je me hasardai à grimper sur la plate-forme qui entourait la cuve ; oui, vraiment, je m'y promenais comme à la brasserie de Smichov où l'on brasse en une fois cinq cents hectolitres de bière, appuyé à la rampe comme sur l’échafaudage d'une maison en construction je baissais les yeux sur la salle ; comme dans une centrale électrique, le tableau de commande brillait d'une dizaines de boutons de toutes les couleurs, et la vis tassait, pressurait ces rebuts avec autant de force que lorsqu'on serre un ticket de tram entre ses doigts sans y penser. Épouvanté, je regardais autour de moi ; le soleil éclairait les vêtements des ouvriers, leurs pulls, leurs casquettes se perdaient dans une débauche de couleurs, criardes comme les plumes d'oiseaux étranges et bariolés, des perroquets, des loriots ou des martins-pêcheurs. Ce n'était pas cela qui me glaçait ; en l'espace d'une seconde, je sus exactement que cette gigantesque presse allait porter un coup mortel à toutes les autres, une ère nouvelle s'ouvrait dans ma spécialité, avec des êtres différents, une autre façon de travailler. Fini les menues joies, les ouvrages jetés par erreur ! Fini le bon temps des vieux presseurs comme moi, tous instruits malgré eux ! C'était une autre façon de penser... Même si l'on donnait, en prime, à ces ouvriers un exemplaire de tous les chargement, c'était ma fin à moi, la fin de mes amis, de nos bibliothèques entières de livres sauvés dans les dépôts avec l'espoir fou d'y trouver la possibilité d'un changement qualitatif. Mais ce qui m'acheva, ce fut de voir ces jeunes, jambes écartées, main sur la hanche, boire goulûment à la bouteille du lait ou du coca-cola ; elle était bien finie, l'époque où le vieil ouvrier, sale, épuisé, se bagarrait à pleines mains, à bras-le-corps, avec la matière ! Une ère nouvelle venait de commencer, avec ses hommes nouveaux, ses méthodes nouvelles et, quelle horreur, ses litres de lait qu'on buvait au travail alors que chacun sait qu'une vache préférait crever de soif plutôt que d'en avaler une gorgée."