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tones on tail

  • La carte postale du jour ...

    "Tous les autoportraits, tous les mémoires ne sont que des impostures conscientes, ou, plus tristement encore, inconscientes."

    - Henri Laborit, éloge de la fuite (1976)

    tones on tail, roberto arlt, bauhaus, daniel ash, peter murphy, l'écrivain raté

    Je me souviens avoir acheté ce disque pour sa pochette minimale, j'étais certain qu'elle serait du plus bel effet aux côtés de celle toute verte et tout aussi simple du premier maxi de New-Order : Ceremony.
    Je me souviens qu'il fallait autrefois choisir sa chappelle : Rolling Stones ou Beatles, guitare ou synthé', rock 'ricain ou pop britannique, je me suis alors demandé s'il fallait choisir entre les membres de feu-Bauhaus : le dédaigneux mais génial compositeur Daniel Ash (Tones on Tail) ou le dandy magnifique mais arrogant Peter Murphy, comme s'il fallait toujours choisir entre fromage et dessert et que si vous aviez le malheur d'opter pour les deux, vous passiez pour une personne sans tact ni délicatesse, tiède et consciliante, sans personnalité. Mais comme je m'en fous, j'ai finalement choisi les deux.
    Je me souviens avoir eu le béguin pour Lions de Tones on Tail dès sa première écoute, pour son ambiance samba synthétique et dépressive, la voix douce quoique insidieuse de Daniel Ash, et puis cette phrase récurrente :

    Lions always hit the heights
    'Cause they kill, it's always been an easy way out

    La solution de facilité c'est aussi celle choisie par le narrateur de L'Écrivain raté, ce court texte de l'argentin Roberto Arlt. Devant la page blanche il choisit de fonder d'abord un club des non-écrivains, puis de devenir critique littéraire pour dénigrer ceux qui écrivent encore... Satire anarchisante de la République des lettres, ce texte est un petit joyau.

    "Nous mîmes au clair, sans que le moindre doute puisse subsister, que les génies officiels, les talents consacrés, c'était du baratin, et d'une lâcheté exemplaire. La menace d'un brûlot, l'insinuation d'une critique anticipée suffisaient pour que, malgré le fait qu'ils détestent notre jeunesse agressive, ils nous sourient amicalement en nous voyant et viennent à notre rencontre, nous adressant les éloges les plus grossiers et l'adulation la plus servile.
     Que notre oeuvre soit négative ne nous empêcha pas de révéler courageusement les escroqueries des bandits de la littérature ; nous démontrâmes que le romancier se vendait au breutteur d'idées, le poète à l'essayiste, constituant ensemble un ramassis d'épouvantables truands - qui adulaient sans réserve les politiciens, les hommes d'épée, troquant leurs scupuleuses besognes de laquais contre des prix bien réels qui provoquaient le rire du cercle des spectateurs. Quelle vie, mon Dieu, quelle vie !
     Là se dissipèrent le peu d'illusions qui me restaient encore sur la dignité humaine. La technique n'avait rien à voir avec l'homme. Ceux qui écrivaient une belle strophe étaient la plupart du temps des latrines ambulantes.
     Cette désillusion nous contamina tous, et un jour nous nous séparâmes. Notre cohésion résista aussi longtemps que les soudures de l'échec nous unirent.
     Pour finir, nous nous lassâmes de sévir dans le vide. Certains étaient excédés par les autres, et même un tantinet honteux des petites canailleries que nous avions commises en nous prévalant de l'impunité conférée par l'associaition des forces. L'homme finit par se fatiguer de tout, même de cracher à la figure de son prochain. Il faut convenir ici que nos insultes procédaient d'une bonne intention, mais il n'est pas possible d'être généreux éternellement, et nous nous dispersâmes. Deux ans étaient passés, peut-être plus."