Dimanche 22 juillet, flânerie à Novi Sad avec Danilo Kis, W.G. Sebald et Walter Benjamin …
Dimanche flâneur à Novi Sad, la ville du "Borgès des balkans" : Danilo Kis, qui réchappa de justesse aux "journées froides de Novy Sad", le nom donné au massacre de très nombreux juifs et serbes de la ville par les fascistes hongrois en 1942. L'oeuvre de Danilo Kis est oubliée, certains livres indisponibles, bien qu'indispensable comme Le Sablier. Il est mort d'un cancer en 1989, en France, son pays d'adoption dont il aimant tant la littérature, et aussi dans une certaine indifférence générale alors qu'un mur tombait à Berlin. L'intelligence oublie, l'imagination n'oublie jamais nous rapelle si bien Peter Handke, toutefois Danilo Kis, en grand correcteur de l'histoire, tentait de donner aux victimes de l'Histoire, un visage, une histoire propre, et l'imagination ne lui suffisait pas. Ou pas seulement en tout cas. Je regrette de ne pas avoir de livres de cet auteur avec moi durant mon séjour à Novi Sad. En plus de visiter le mémoire juif aux victimes du fascisme, nous passons mes amis serbes et moi par la citadelle où se déroule en juillet l'annuel festival de rock Exit. Fierté des "locaux", ce festival pose toutefois un souci majeur à la jeunesse du pays: son succès a conduit les organisateurs a augmenter le prix des boissons et de la nourriture, sans oublier les billets d'entrée. Pour les touristes l'évènement reste bon marché, pour les gens d'ici un luxe bientôt insupportable. Nous redescendons vers la vieille-ville défraichie qui se trouve au pied de la citadelle, le temps d'entendre le récit des bombardements des ponts au dessus du Danube qui sépare la citadelle du centre ville par l'Otan, vécu comme "dans un film", ou comme "à la télé" par ces jeunes gens qui étaient encore des enfants à cette époque. Les ponts ont été reconstruits depuis.
En fin d'après-midi Ivan me fait découvrir le bar d'un de ses amis : Isba (c'est le nom du bar, pas de son ami). Caché dans une cour intérieure de la rue Železnička l'endroit est chaleureux. Des petits chatons roupillent sur le bar extérieur, la toiture de la terrasse possèdent aussi des orifices pour y laisser passer des arbres vers le haut et la lumière vers le bas. Le flâneur que je suis beigne ainsi dans un halo étrangement verdâtre. L'intérieur du café est boisé et possède de nombreuses bilbiothèques pleine de livres. La musique agréable, et inatendue : Cocteau Twins. Je félicite la sympathique serveuse de son excellent choix musical tout en buvant ma bière et en discutant de choses et d'autres avec mes amis. L'atmosphère générale du lieu est propice à la lecture me semble t'il, et j'échafaude déjà le plan de revenir demain ou dans un an pour y relire Le rivage des Syrtes de Julien Gracq, Images de pensée de Walter Benjamin ou encore Paris est leurre de Xavier Boissel (dont j'ai récemment découvert un excellent texte sur Sebald dans un recueil qui lui est dédié aux éditions Inculte : Face à Sebald). L'Isba reste pour moi un moment privilégié dans mon voyage en Serbie. Il est l'endroit où une profonde et saine mélancolie a pu m'envahir. Il va sûrement disparaître, comme tout le reste. Je repense alors à l'ange de l'histoire de Walter Benjamin :
Il existe un tableau de Klee qui s'intitule Angelus Novus.
Il représente un ange qui semble avoir dessein de s'éloigner de ce à quoi son regard semble rivé.
Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées.
Tel est l'aspect que doit avoir nécessairement l'ange de l'histoire. Il a le visage tourné vers le passé.
Où paraît devant nous une suite d'événements, il ne voit qu'une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d'amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds.
Il voudrait bien s'attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s'est prise dans ses ailes, si forte que l'ange ne peut plus les refermer.
Cette tempête le pousse incessamment vers l'avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu'au ciel devant lui s'accumulent les ruines.
Cette tempête est ce que nous appelons le progrès.
Et puis à ses mots d'Enrique Vila-Matas sur Sebald :
Les traces laissées par la littérature de Sebald composent un genre de poétique de l’extinction qui pose au premier plan la consternation de l’écrivain lorsqu’il comprend que tout à ses côtés se déshumanise ou disparaît, que l’Histoire elle-même disparaît.
à suivre ...