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La carte postale du jour ...

 

Hildur Gudnadóttir, Luba Jurgenson, Sergueï lebedev, verdier, touch

que c'est beau d'être encore surpris par mes contemporains, surtout dans le domaine des arts, et particulièrement en musique et en littérature, deux matières qui me sont presque irremplaçables dans la vie. Hildur Gudnadóttir est une violoncelliste (mais pas seulement) de talent née en 1982 et son album Without sinking paru il y a à peine quelques années sous l'égide britannique du label Touch est une magnifique œuvre musicale classique, organique, hypnotique, allant de l'immersion à l'émersion, dotée qui plus est d'un pouvoir métaphorique puissant (surtout sur le titre Erupting light). il en est de même avec cet auteur russe né en 1981 que je découvre sous la couverture jaune des prestigieuse éditions Verdier. c'est un roman au langage remarquable, au récit complexe que l'on pourrait penser - à tord! - laborieux à lire, mais il faut le lire, on en sort grandi (oui, c'est cliché de dire ça, mais là c'est vrai). la traductrice Luba Jurgenson dans un entretien le dit si bien "Nous vivons une époque de lassitude mentale. Avant d’entreprendre quoi que ce soit, par exemple, la lecture d’un livre, on demande trois fois : Qu’est-ce que cela va m’apporter ? Qu’est-ce que je vais en retirer ? Les temps sont difficiles et les gens commencent à économiser leurs forces. Or, ce livre a été conçu pour un lecteur tout autre.". il est donc recommandé d'être cet "autre lecteur" et de découvrir ce beau roman où le lis entre mille et un passage de qualité :

"Le gardien était assis devant le poêle. Prêt du mur s'empilait des livres de lecture usés et couverts de gribouillis, qui avaient séjourné entre tant de mains d'écoliers : langue russe, quatrième année. Il les prenait un par un, déchirait la couverture, froissait les pages pour qu'elles prennent feu plus facilement et les jetait dans le poêle. "L'école est fermée, dit-il. On n'a plus de bois. C'est comme ça qu'on chauffe, et même là on gèle. La bibliothèque est riche, on tiendra jusqu'en avril."
Dans cette école fermée, on alimentait le poêle avec la langue russe. Enfant, tu avais détesté ces livres, ces "questions sur le texte", ces paragraphes soulignés : "Teste tes connaissances", ces gros caractères indulgents, arrondis à l'image des angles de pupitres pour que les enfants ne si blessent pas! à présent, tu es près d'éclater en sanglot parce que cela n'a plus aucune importance, parce que l'amertume pâlit à côté d'un vrai chagrin.
Là-bas, dans ce village de la Volga, parmi les champs parsemés de jeunes bouleaux, je compris ce que signifiait pour l'homme sa langue natale - sans guillemets ni dogmatisme scolaire.
Bouleaux, neige, bois, ciel, chemin, gel : je répétais mentalement ces mots que je connaissait depuis presque aussi longtemps que ma propre personne. Bouleaux, neige, bois, ciel, chemin, feu, fumée, gel, les mots s’amplifiaient, ils étaient matière comme l'énergie est matière ; les mots s'entrelaçaient formant une sort de symphonie, mais ne se mélangeaient pas, et le gel gelait, les flammes flambaient, la fumée fumait. Les mots devenaient translucides, légèrement froncés tel le feu pure, leurs enveloppes phonétiques vacillaient, révélant la substance nue des significations : ainsi, une manière particulière de réfracter la lumière révèle une bulle d'air au cœur d'une pierre précieuse."

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