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La carte postale du jour ...

"Je crois que le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombres, qu’un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses. De même qu’une pierre phosphorescente qui, placée dans l’obscurité émet un rayonnement, perd, exposée au plein jour, toute sa fascination de joyau précieux, de même le beau perd son existence si l’on supprime les effets d’ombre."

- Junichirô Tanizaki, Éloge de l'ombre, 1933 - 2011 pour la traduction française chez Verdier)

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Je me souviens devoir la découverte de ce très beau disque du compositeur suisse Jean Rochat suite à une lecture d'un extrait du texte de Tanizaki : L'Éloge de l'ombre par la comédienne Dominique Reymond, auquelle il était demandé, cinq jours durant, de lire un écrit qu'elle aimait puis de choisir une musique pour l'illustrer, ce qu'elle fit, proposant ainsi cinq textes différents, mais clôturant l'exercice non pas avec des musiques disparates, mais en utilisant des fragments issus toujours du seul et même disque, pour mon plus grand plaisir. Je me souviens avoir fait des pieds et des mains pour trouver puis obtenir ce disque, ce qui me pris plus d'un an, et c'est ce que l'on peut nommer de la persévérance. Je me souviens aussi d'avoir été agréablement surpris par la musique dès son premier titre, intitulé J'aime les mots, sa douceur et son éclat soudain, tragique et superbe, et d'y retrouver dans la liste des nombreux musiciens ayant travaillé avec Jean Rochat le quatuor Barbouze de chez Fior ainsi que le trio vocal Norn, et de mettre désolé qu'un tel chef-d'oeuvre soit inconnu et si difficile à obtenir, puis de mettre raviser, profitant ainsi d'être l'un des privilégiés à pouvoir en profiter, loin du bruit irritant de la foule.

La lecture aussi est un acte solitaire, pour s'échapper du bruit du monde, un acte trop rare aujourd'hui comme l'explique si bien George Steiner dans ce beau petit livre - Le Silence des livres - dont je recommande particulièrement la postface de Michel Crépu intitulée Ce vice encore inpuni, dont j'extrais à mon tour ce joli petit texte :

"Cela me chiffonne toujours un peu, avec les grands livres, qu'on en vienne tout de suite aux grands mots. L'Amour des livres, la Haine des livres, la fureur de lire... Ma foi, quand je pense aux livres, je ne vois pas un bûcher, je vois un jeune garçon assis au fond du jardin, un livre sur les genoux. Il est là, il n'est pas là ; on l'appelle, c'est la famille, l'oncle qui vient d'arriver, la tante qui va s'en aller : "viens dire au revoir! ; "Viens dire bonjours!"Y aller ou pas . Le livre ou la famille ? Les mots ou la tribu ? Le choix du vice (impuni) ou bien celui de la vertu (récompensée) . Quand Larbaud emploie cette expression de "vice impuni", c'est l'adjectif qui m'intrigue. Impuni, vraiment ? Il y aurait donc une sorte d'impunité de la lecture ? h bien oui. Un privilège de clandestinité qui permettrait en somme de poursuivre les opérations en toute tranquillité.  L'oncle est là, la famille est rassemblée autour de la table, on parle de la situation, et le jeune garçon qui était au fond du jardin fait semblant d'écouter. Mais il a son silence, ses affaires personnelles, la course invisible de Michel Strogoff à travers la steppe, tout cela dans le brouhaha des carafes, des serviettes, des voix, des rires. Il a obéi à l'injonction, simple question d'espace, mais il continue de trahir en pensant à autre chose. On ne lit pas à table . Aucune importance, le livre continue à se lire en lui ; un peu de patience, et il y aura bientôt la chambre, le silence de la lumière derrière les persiennes. C'est tout l'admirable début de La Recherche, le paradis de Combray et des "beaux après-midi" de lecture à l'ombre du marronnier, le refuge dans la guérite où opère la métamorphose, un autre temps naissant à l'intérieur du temps, un autre monde surgissant des limbes. Les heures sonnent au clocher de Méséglise, mais le narrateur ne les entend plus - "quelque chose qui avait eu lieu n'avait pas eu lieu pour moi ; l'intérêt de la lecture, magique, comme un profond sommeil, avait donné le change à mes oreilles hallucinées et effacé la cloche d'or sur la surface azurée du silence".

 

 

 

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