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La carte postale du jour...

 

"Accommodé avec un regard et un sourire approprié, le silence peut donner d'excellents résultat."

- Jean Echenoz, Je m'en vais

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Je me souviens d'avoir lu une chronique de ce second album des états-uniens Luluc dans le Télérama, d'avoir trouvé le nom peu approprié pour la langue française, d'avoir été étonné que ce disque de folk paraisse sous l'égide de Sub-pop auquel j'associe, et ce depuis mes dix-huit ans, les rugueux Tad (et Nirvana), d'avoir trouvé étrange de les comparer aux Trespassers William puisque ceux-ci copiaient Mazzy Star - il s'agirait donc d'un groupe qui ressemble à un groupe qui copie un autre groupe?!? - mais d'avoir été très intrigué par la production d'Aaron Dessner (The National!), puis d'avoir découvert que Luluc avaient enregistré une belle reprise de Nick Drake et d'avoir ainsi surmonté sans mal mes préjugés pour acheter ce disque qui se révèle excellent.
Je me souviens bien de cette impression, après quatre ou cinq écoutes, d'avoir un disque qui se dévoile lentement, s'ouvre telle une fleur, laissant entrevoir de nouvelles couleurs, des ambiances inédites, de belles surprises à chaque fois.
Je me souviens aussi d'avoir pensé à quel point il est difficile pour un artiste de réaliser sa deuxième œuvre, que cela soit un disque ou un livre, une fois le phénomène de représenter une nouveauté passé, mais je pense que Luluc passent le cap sans difficulté, surtout avec des titres aussi merveilleux que ce Without a face tout en arpèges délicats et son beau texte chanté de manière si raffinée par Zoé Randell :

In a picture, play around
Look at us, we're upside down
Dazzling colors fill the page
Who could guess you are your age?
All the rooms are out of place
There's me without a face
How you like to write about it
In your prettiest disguise.

Julia Deck aussi passe le cap du second roman, avec brio, même si celui-ci n'est, à la première lecture, pas si évident que ça, le livre se dévoilant lorsqu'on y repense, lorsqu'on en parle avec une autre lectrice, ce que j'ai fait tellement j'étais intrigué... Il est question d'imposture, ou plus encore de la reconstruction de soi - ou d'invention de soi -, l'aventure (l'errance, l'absence) se déroulant dans trois villes dont chacune a été (en partie) reconstruite après la Seconde Guerre mondiale ; l'architecture même du roman évoque le triangle par ses trois protagonistes principaux (Bérénice, l'ingénieur, la journaliste) ; c'est aussi l'histoire d'une chute, progressive, d'un tangage plutôt, puisqu'il est souvent affaire de ports et de bateaux, de naufrage peut-être. C'est un roman qui m'a rappelé Un an de Jean Echenoz mais aussi le film Sans toi ni loi d'Agnès Varda, et ceux qui le liront comprendront vraisemblablement pourquoi.

"- Écoutez, Mademoiselle, ça fait trois mois que je vous reçois en entretien individuel. D'abord j'ai fait preuve de compréhension parce que votre dernière expérience professionnelle ne s'était pas tellement bien passée, puis je vous ai dégoté des annonces, des offres de formations, et vous avez fait la difficile. Mais il va falloir y mettre du vôtre, faire preuve de créativité, de polyvalence, parce que sans diplôme ni qualification, vous n'allez tout de même pas devenir ministre.


Romancière. Une activité séduisante. Bien davantage que les postes vantés par la conseillère pour l'emploi.

- Très bien, Mademoiselle, j'aurais fait de mon mieux. Puisque vous ne voulez rien entendre j'appelle mon supérieur. Monsieur Geulincx, par ici, s'il vous plaît !

Les romancières, je les ai vues dans les magazines de salles d0attente, sur les pages de Madame Figaro. Elles y ouvrent les portes de leurs salons parisiens, posant à leur bureau, devant la bibliothèque, au fond des baignoires d'angle où elles barbotent pour trouver l'inspiration.

- Oui, Solange, qu'est-ce que je peux faire pour vous ?

Les romancières ignorent les réveils à l'aube pour emprunter d'épouvantables transports en commun.- Levées à l'heure qui leur plaît, elles se promènent sous les volutes de longues cigarettes à la poursuite du meilleur mot, de la meilleure phrase, et transcrivent ce qui leur est ainsi venu dans de beaux carnets reliés de cuir.

- C'est Mademoiselle, monsieur Geulincx. Nous l'avions déjà convoquée la semaine dernière.

- Oui, je me souviens. Un cas difficile doublé d'une absence totale de motivation.

Alors ça ne peut pas être bien compliqué, romancière, lorsque'on a comme moi exercé de nombreux métiers avec créativité, polyvalence.

- Exactement, monsieur Geulincx. Avec elle, j'ai tout essayé, l'accompagnement personnalisé, les ateliers, les stages d'insertion. Et maintenant, des efforts, j'en ai assez fait.

Et maintenant, des métiers, j'en ai assez fait,"

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