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  • La carte postale du jour...

    "je me promenais sur un sentier avec deux amis — le soleil se couchait — tout d'un coup le ciel devint rouge sang — je m'arrêtai, fatigué, et m'appuyai sur une clôture — il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir et la ville — mes amis continuèrent, et j'y restai, tremblant d'anxiété — je sentais un cri infini qui se passait à travers l'univers." - Edvard Munch (1892)

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    Je me souviens qu'avant de tomber sur l'album Saint of the Pit, mon premier contact avec Diamanda Galas fut le maxi Litanies of Satan, véritable choc puisqu'il s'organise en un titre unique par face, d'environ quinze minutes pour chacun d'eux, dénués de toute orchestration, mais uniquement scandé, hurlé, craché, chuchoté, donnant au texte de Baudelaire des airs de glossolalie, avec un effet assez troublant, ce qui fait d'ailleurs que je n'ai pas été surpris par l'utilisation de la "musique" de Diamanda Galas dans la bande sonore du (très gothique) film Bram Stoker's Dracula de Francis Ford Coppola...
    Je me souviens bien d'avoir discuté de Diamanda Galas avec un véritable obsédé des disques - et particulièrement de musique expérimentale -, et que, quelques semaines plus tard, il me déposa un sac plastique contenant tous les vinyles de la performeuse, albums qu'il possédait à double, parfois même à triple exemplaire, me confia-t-il alors - un vrai fanatique je vous dis ! qui vivait au milieu de ses cartons contenant des milliers de disques, mais son trésor semble aujourd'hui disparu, perdu à jamais, confisqué, peut-être même détruit.
    Je me souviens aussi qu'avec Coil et sa reprise clinique de Tainted love, Diamanda Galas fut la première artiste que je connus s'engageant dès 1984 pour la reconnaissance des malades du sida, particulièrement avec ce Saint of the Pit datant de 1986 et qui fait partie d'une trilogie, album dont trois titres sont dédiés à son frère (diagnostiqué séropositif en 1983 et décédé trois ans plus tard), l'un d'eux étant Cris d'aveugle, poème du tuberculeux Tristan Corbière dont voici un court extrait (ambiance) :

    Dans la moelle se tord
    Une larme qui sort
    Je vois dedans le paradis
    Miserere, De profundis
    Dans mon crâne se tord
    Du soufre en pleur qui sort


    Il est bon de revenir aux classiques, il est bon de revenir à Dostoïevski. Les carnets du sous-sol est le dernier récit de l'auteur russe avant que celui-ci se lance dans ses grands romans : Crime et Châtiment, L'idiot, Les Démons, L'adolescent et Les Frères Karamazov. Le sous-sol où sont écrits ces "carnets" est tout aussi bien une partie de l'intérieur du crâne de Dostoïevski. Une partie sombre d'où germe ce texte en forme de cri, transpirant le renoncement, le doute et la cruauté, texte que j'ai rapidement mis en images avec les "noirs" d'Odilon Redon (L'araignée de 1881 ou bien même Un masque sonne le glas funèbre de 1882, même si ce dernier est déjà dédié à Edgar Poe) ! Cette œuvre à l'arrière-goût nihiliste possède en elle une somme de citations, ou plutôt d'"incitations", qui donnent au lecteur des impressions de livre à venir (Les carnets du sous-sol datant de 1864!), on croit y lire Bataille (Le bleu du ciel), Céline (Voyage au bout de la nuit), Blanchot (L'arrêt de mort), parfois même Cioran (Sur les cimes du désespoir), et bien sûr Beckett, Bernhard, Hankde, Duras... C'est donc bien à ça qu'on reconnaît un classique, a sa capacité de se réécrire à chaque lecture, à chaque époque.

     

    "Je sentait bien que mon discours était lourd, maniéré, livresque même, mais je ne connaissais rien d'autre, moi, que les "livres". Ce n'était pas cela qui me gênait ; je le sentais bien, j'en avais l'intuition, que je serais compris, et c'est ce côté "livre" qui m'aiderait le mieux. Mais là, une fois l'effet atteint, j'ai brusquement pris peur. Non, jamais, jamais encore je n'avais été le témoin d'un désespoir pareil ! Elle gisait de tout son long, le visage enfoncé dans un coussin, elle l'étreignait de ses deux bras crispés. Sa poitrine éclatait de l'intérieur. Tout son jeune corps était parcouru de frisson, comme de convulsions. Les sanglots étouffés qui lui pesaient sur la poitrine la déchiraient et jaillissaient soudain au-dehors par des cris, presque des hurlements. Alors, c'est son coussin qu'elle serait encore plus ; elle ne voulait pas que quelqu'un dans la maison, non, pas âme qui vive, puisse découvrir ses tortures et ses larmes. Elle mordait son coussin, elle s'était mordu le bras jusqu'au sang (cela, je l'ai su plus tard) ou bien, en s'accrochant les doigts dans ses nattes défaites, elle restait figée, dans cet effort, en retenant son souffle et en se mordant les lèvres. Je voulais lui dire je ne sais quoi, l'implorer de se calmer, mais j'ai senti que je n'oserais jamais, et, tout d'un coup, moi-même, comme sous l'effet d'un choc, on aurait dit sous l'effet de l'épouvante, je me suis agité, à tâtons, pour ramasser mes affaires, je voulais filer. Il faisait noir ; j'avais beau essayer, ça me prenait du temps. Soudain, je suis tombé sur une boîte d'allumettes, un bougeoir, avec une bougie toute neuve. À peine avais-je éclairé la chambre, Lisa a bondi d'un seul coup, elle s'est assise, une sort de grimace lui déformait le visage, un sourire à demi fou, elle me regarda avec des yeux presque privés de sens. Je me suis assis à côté d'elle, je lui ai pris les mains ; elle est revenue à elle, elle s'est jetée sur moi - elle a voulu m'étreindre mais elle n'a pas osé, et, tout doucement, elle a penché la  tête."