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La carte postale du jour...

Lorsque mon désespoir me dit : Perds confiance, car chaque jour n'est qu'une trêve entre deux nuits, la fausse consolation me crie: Espère, car chaque nuit n'est qu'une trêve entre deux jours.

- Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier

dimanche 22 novembre 2015.jpg

Je me souviens d'avoir suivi quelques années durant les sorties du label Bella Union, fondé par un membre des Cocteau Twins (Simon Raymonde), et d'avoir ainsi découvert, parmi les nombreuses propositions musicales (Midlake, Czars, Laura Veirs, ...) la musique de Beach House qui me rappelait la naïve étrangeté de Julee Cruise dans Twin Peaks ainsi que la pop vaporeuse et ralentie des meilleurs titres de Slowdive (Spanish air, Catch the breeze, Dagger, ...). 

Je me souviens bien de ce concert du 2 novembre 2007 à L'Étage, à Artamis (rayé depuis de la carte de Genève), où, avec In Gowan Ring et Equus, nous partagions l'affiche avec les États-Uniens d'Arbouretum et Beach House ; les premiers représentant l'archétype même du groupe de rockers branchés barbus complètement mutiques (pose qui me rappelle toujours ce dialogue du film Le Goût des Autres où Chabat demande à Gérard Lanvin à quoi il pense, et l'autre de répondre qu'il ne pense pas mais qu'il s'emmerde, et Chabat de s'étonner alors : "c'est marrant, quand tu te fais chier on dirait que tu penses"), les seconds étant tout au contraire très sympathiques, prenant la peine de se présenter, de papoter un peu, chose très rare dans le milieu du rock où chacun garde bien souvent ses distances.

Je me souviens aussi que l'achat de ce disque restera lié aux attentats de Paris, puisqu'en allant prendre mon train ce matin du 14 novembre je reçu un appel me conseillant de rester sur Genève, ce que j'ai fait annulant tout mes rendez-vous parisiens et optant raisonnablement pour un café au Remor, puis par un passage au marché aux puces sur la plaine et un écart par Sounds où je dénichais ce Depression Cherry à la pochette recouverte d'un tissu (?) imitant le velours, agréable au toucher quoique faussement doux, à l'image de la musique étrange de ce groupe dont la musique (presque) dépressive à un petit goût de cerise, comme sur Space song.

 

It was late at night
You held on tight
From an empty seat
A flash of light

It would take awhile
To make you smile
Somewhere in these eyes
I'm on your side

You wide-eyed girls
You get it right

Fall back into place
Fall back into place

Tender is the night
For a broken heart
Who will dry your eyes
When it falls apart

What makes this fragile world go 'round?
Were you ever lost
Was she ever found?
Somewhere in these eyes

Fall back into place
Fall back into place

 

https://www.youtube.com/watch?v=RBtlPT23PTM

 

Dagerman, Sebald, Lou Andréas-Salomé, Dostoïevski, Amiel, Nietzsche, Édouard Levé, Giauque, etc. la liste est longue de ces écrivains qui, plutôt que de prendre la pose, se sont résignés à être les légataires de leurs propres angoisses pour remplir le vide du monde ; ce même vide qui évoquait à Walter Benjamin une scène de crime lorsqu'il observait les photographies d'Adget - curieusement vide de gens. Photographies qui devenaient des "pièces à conviction pour le procès de l'Histoire" ; et dans ce même procès qui n'en finit pas de finir, Baudoin de Bodinat apporte lui aussi son témoignage avec cette suite à ses deux volumes de La Vie sur Terre (1996 et 1999), ressassement littéraire qui porte le beau nom de : Au fond de la couche gazeuse, et qui rappelle à nous ses vers de Dante se trouvant au dessus de la porte de l'Enfer : "Par moi, on entre dans le domaine des douleurs… /  Vous qui entrez ici, perdez toute espérance." Il n'y a ici aucun espoir de rédemption, le constat est noir, pas de notice d'emploi pour contrecarrer les effets négatifs de cette humanité que l'auteur compare à "un macrobiote occupé à digérer la vie terrestre que lui distribuent les chariots élévateurs, les semi-remorques, les portes-containers géants, et à n'en restituer que les résidus inassimilables qui font ces tas d'ordures par milliards de tonnes répandues au hasard" - pas de médecin de l'âme pour venir à notre secours ? Peut-être Socrate, qui nous rappelait que les mauvaises expériences sont aussi les bonnes occasions pour devenir philosophe - bien dit. N'en reste pas moins que la lecture de Baudoin de Baudinat est comme un uppercut de Céline suivi d'un baume déposé sur l'ecchymose par Cioran... on ne sait finalement pas ce qui fait le plus mal et c'est bien ce qui est le plus angoissant (surtout quand on aime ça).

Extrait de Au fond de la couche gazeuse 2011 - 2015, de Baudoin de Baudinat (éditions Fario) :

"Il y a des jours où, sans qu'on sache pourquoi, les antennes de la perception se déploient complètement, où la réceptivité de l'ambiance générale se fait plus nette et distincte, où l'intensité de ce qui vibre dans l'atmosphère de cet âge du monde où nous sommes parvenus s'empare entièrement du sentiment qu'on a des choses et vient hanter ce ciel de juillet tout ce qu'il y a de tranquille et bénin, durant qu'on est à s'occuper du jardin, d'un bourdonnement assourdi de Predator venu rôder ici depuis le proche avenir ; où cette vive esthésie d'une précipitation continuelle des événements autour de soi donne à toutes les occupations normales et nécessaires, à l'ordinaire de la vie courant un caractère de lenteur pénible, d'embarras, d'inapproprié, d'un hors de propos suscitant de la nervosité ; ainsi qu'on s'appliquerait à poursuivre la lecture de la Vie d'Alexandre par Amyot - "... de quoy Clitus qui estoit desja un peu surpris de vin, avec ce qu'il estoit de de sa nature homme assez rebours, arrogant et superbe, se courroucea encore d'avantage, disant que ce n'estoit point bien honestement fait d'injurier ainsi, mesmement parmy des Barbares ennemis, etc." -, tandis qu'en allumant la radio ce serait dans un climat d'épouvante des speakers de plus en plus anonymes, décontenancés et bégayants, à répéter des consignes de confinement et de prophylaxies manifestement périmées par la vitesse de la contagion, et qu'on entendrait d'une maison voisine des cris aigus, des claquements de portières, une voiture qui démarre en trombe ; ou bien rester assis comme si de rien n'était à tourner les pages de l'année 1711 des Mémoires de Saint-Simon - "...Je crus donc devoir recharger plus fortement encore ; et voyant mon peu de succès, je lui fis une préface convenable, et je lui dis après ce qui m'avait forcé à le presser là-dessus. Il en fut étourdi : il s'écria sur l'horreur d'une imputation si noire et si scélératesse de l'avoir portée jusqu'à M. le duc de Berry, etc. " -, alors qu'aux informations radiovisées la banqueroute finale propageait d'heure en heure à la surface du globe les mêmes images partout de pillages, d'incendies, de blindés patrouillant les avenues jonchées de carcasses, de foules éparses en carnavals sinistres d'après une fin du monde où toutes les croyances seraient tombées et plus rien ne fonctionnant, et que par la fenêtre ouverte s'en approcherait le raffut. Mais dans la réalité rien de tout cela n'a encore eu lieu, et il faut bien terminer de désherber entre les petits pois ou de repeindre la cabane à outils; et ce n'était pas un drone tout à l'heure mais juste un petit hélicoptère de l'administrations fiscale."

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