Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La carte postale du jour ...

"Mesdames et messieurs, le Cabaret Voltaire n'est pas une boîte à attractions comme il y en a tant. Nous ne sommes pas rassemblés ici pour voir des numéros de frou-frou et des exhibitions de jambes, ni pour entendre des rengaines. Le Cabaret Voltaire est un lieu de culture."

- Hugo Ball (annonce lors de la soirée inaugurale du 5 février 1916 pour faire taire l'énorme chahut)

vendredi 13 mai 2016.jpg

Je me souviens qu'il y a eu plein de 45tours excitants et étranges entre 1978 et, disons, 1982, comme "I am the fly" de Wire, "Warm leatherette" de The Normal, "Ambition" de Subway sect", "Nag nag nag" de Cabaret Voltaire, "Final day" des Young Marble Giants, "Compulsion" de Joe Crow, "United" de Throbbing Gristle, "Transmission" de Joy Division, "Being boiled" de Human League, et la liste est longue, très longue, "Private plane / International" étant probablement un exemple type de production "fait maison" (enregistré dans la chambre de Thomas Leer pour être plus précis) et tirée à 650 exemplaires seulement, mais qui, peu après, se retrouvait disque de la semaine dans un hebdomadaire de rock.

Je me souviens bien d'avoir perdu ce 45tours il y a plusieurs années déjà, lors d'un déménagement, et d'avoir été bien content que le label de réédition Dark Entries sorte ces deux titres en y ajoutant quelques bonus, mais c'est dommage quand même que le format ne soit pas un 10", j'aurais préféré...

Je me souviens aussi que ces deux titres de Thomas Leer sont un peu à la croisée du Krautrock de Neu ("Für immer") et de la musique industrielle de Throbbing Gristle ("United"), avec un rien de Kraftwerk (sur la fin de "International"!), ce qui symbolise pour moi, en quelque sorte, un petit avant-goût de paradis dadaïste...

https://www.youtube.com/watch?v=tKeUP2raB-8

 

J'ai habité plusieurs années à Rubigen, non loin de Münsingen et de son asile où résida Friedrich Glauser à plusieurs reprises dans sa vie mouvementée. Glauser était un écrivain, mais je ne saurais vous dire précisément d'où ; il habita Genève, Zürich, Paris, passa par la Belgique et le Tessin et, pour tout vous dire, c'était un véritable marginal qui, en plus d'avoir été morphinomane, a eu des emplois aussi variés qu'improbables : garçon-laitier, journaliste stagiaire, plongeur, mineur, horticulteur, etc. Influencé par Trakl et Mallarmé, il quitte Genève et les études en 1916 pour Zürich où il rencontre, l'année suivante, Tristan Tzara, le peintre Max Oppenheimer, Hugo Ball, Emmy Hennings et quelques autres encore. Sans être dadaïste, il déclame du Apollinaire et du Cendrars lors de soirées tonitruantes aux côtés d'Hugo Ball, et c'est d'ailleurs le récit de ses aventures zurichoises que l'on retrouve dans ce court texte sobrement intitulé Dada, et magnifiquement illustré des dessins de Hannes Binder. À l'heure où le mouvement Dada est fêté, compilé, rejoué, revisité, canonisé, glorifié (et capitalisé à outrance), muséifié, voire déifié, ce petit ouvrage est une parenthèse agréable qui permet de se plonger dans un instantané de Dada - tel qu'il était. C'est aussi une belle introduction à l'œuvre de Friedrich Glauser, un écrivain suisse et international, rare et singulier comme l'étaient Blaise Cendrars, Ludwig Hohl, Fritz Zorn ou encore Robert Walser. Magique.

Extrait de Dada, de Friedrich Glauser (publié aux éditions d'En Bas) :

"Curieux comme l'homme haït la tradition, et pourtant, il ne parvient pas à vivre sans elle. Ce combat contre la vision "académique" a débuté il y a bien longtemps, et ce dans la peinture. La progression est évidente entre des peintres comme Gauguin ou Cézanne et des cubistes comme Picasso ou Léger. Et Derain, qui s'est aussi rallié au cubisme, étudie les primitifs italiens. Si, d'aventure, on a lu les Chants de Maldoror du comte de Lautréamont (qui s'appelait en fait Isidore Ducasse et a vraisemblablement fini dans une maison de fous en Belgique), les vers de Huelsenbeck n'ont rien de si étrange :

             Peu à peu, le bloc des maisons

                 ouvrit son ventre en sa moitié

               Puis la gorge enflée des églises

                héla les abysses en dessus

             Ici se chassaient tels des chiens

                les couleurs des terres visibles

Mais bien plus que Lautréamont, peu ou prou inconnu, c'est Rimbaud qui a exercé une influence décisive. Ce poète écrit entre seize et vingt ans. Puis il détruit à peu près tous les manuscrits (par hasard, sa sœur en a gardé quelques-uns) et prend la fuite, comme Ball pour ainsi dire "hors du temps", il vit en Abyssinie, rentre, meurt jeune.

 De nos jours, où une guerre est très vite oubliée pour faire place à une autre, il est difficile de recréer l'atmosphères de ces temps passés. Nul ne peut nier que le dadaïsme revêtait jadis une certaine nécessité intrinsèque : sinon, comment expliquer l'intérêt que rencontrèrent ces soirées ? En dépit de prix d'entrée exorbitants (ou peut-être grâce à eux), elles affichaient toujours complet. On m'objectera que le public étai snob, attiré par la seule nouveauté. Certes, mais ne sont-ce pas le plus souvent ces snobs honnis qui permettent le développement d'un regard nouveau?"

 

 

Les commentaires sont fermés.