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La carte postale du jour ...

“Je perds souvent la tête. On ne me la rapporte jamais.”

- Louis Scutenaire, Mes Inscriptions

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 Je me souviens d'avoir été fasciné par le titre Degré Zéro de Grand Blanc, entendu sur France Culture, sa noirceur, le contraste frappant de la voix de Camille, voix que je n'ai pas retrouvée sur ce 45tours, dommage, mais deux excellents titres tout de même...

Je me souviens bien d'avoir lu et beaucoup aimé cette réponse de Benoît à la question "Êtes-vous littéraire?" : "Dans les années 70, savoir ce qu’était la littérature était une question qui pouvait se finir à coup de poings. C’est peut-être un peu moins important aujourd’hui… Mais il y a toujours un vrai enjeu. Nous, on fait gaffe à ce qu’on écrit".

Je me souviens aussi d'avoir retrouvé en Grand Blanc, et dans Nord particulièrement, toute l'intranquillité de la cold-wave française, cette hostilité retenue, cette poésie d'écorché vif, celle de Complot Bronswick, Baroque Bordello, Norma Loy ou Trisomie 21, et qu'au fond, oui, même si c'est cliché de le dire : Grand Blanc est bien le croisement de Bashung et Joy Division...

https://www.youtube.com/watch?v=iXgcyc-iNO0

 

Dans la panoplie des auteurs déroutants et drôles (Jean-Paul Dubois, Iegor Gran, Jean Echenoz, Laurent Graff, ...) on peut maintenant ajouter Joël Egloff. D'une écriture faussement simple, l'auteur de cet hilarant J'enquête signe là un anti-polar en forme de descente, non pas aux enfers, mais dans l'absurde le plus total. Ici, la grise banalité vous étouffe et l'ennui vous accable plus qu'ailleurs. L'enquête ? Le vol... non, pardon : "l'enlèvement" du Petit Jésus de la crèche sur la place de l'église. L'enquêteur ? un perdant patenté, véritable anti-héros. Le lieu ? Une ville de province où l'on mange tous les jours au même endroit, où l'on croise sans cesse les mêmes têtes. Des clichés ? Mais non, car c'est bien là toute la virtuosité de Joël Egloff : on y croit pleinement et on s'attache rapidement à son protagoniste enquêteur naïf et malchanceux. Desproges, si tu me lis : non, tout n'est pas perdu, on rit encore sur terre.

Extrait de J'enquête, de Joël Egloff (publié aux éditions Buchet-Chastel) :

"Bien que je fusse impatient de mettre mes nouvelles bottines à l'épreuve, au cours d'une longue filature, j'ai jugé bon d'attendre encore un peu que le cuir se détende, et de trouver aussi un suspect digne d'intérêt à filer. Ceux que j'avais pour l'instant sous la main ne valaient vraiment pas la peine que je me fasse une ampoule.

 Pour l'heure, je me rendais au salon de coiffure, à deux pas de l'église. C'était une idée que j'avais eue dans la nuit. Là-bas, me disais-je, je n'aurais sûrement qu'une question à poser pour que les langues se délient.

 D'ordinaire, on ne coiffe que les dames, m'a dit la patronne, alors que je venais d'entrer. J'ai fait mine de m'étonner. C'est que je ne suis pas d'ici, j'ai dit, je ne savais pas. C'est écrit sur la vitrine, a-t-elle ajouté. Dans ce cas, tant pis, j'ai fait. Mais puisque vous êtes là, et si vous n'êtes pas pressé, installez-vous, s'est-elle ravisée. Je l'en ai remerciée. Alors elle m'a débarrassé de mon manteau, j'ai pris un fauteuil et un magazine et me suis assis à côté d'une dame qui attendait son tour également. Deux autres clientes se faisaient coiffer, côté à côté, l'une par la patronne, l'autre par une employée, bien plus jeune. Un peu à l'écart, sous un casque, il y avait encore une vieille femme qui s'était assoupie, la bouche entrouverte, un journal entre les mains. On aurait dit qu'elle était en train de sécher là depuis toujours. Je l'ai observée un long moment avant de pouvoir apercevoir chez elle un mouvement de poitrine qui indiquait qu'elle respirait encore.

 La plus jeune des clientes avait tout de même une soixantaine d'années. C'est elle dont la patronne s'occupait. Depuis que je m'étais installé, elle parlait avec sa voisine de la reine d'Angleterre, qui avait toujours la santé, et se demandait, d'ailleurs, quel âge au juste elle pouvait bien avoir. Et chacune y est allée de sa supposition, les coiffeuses s'en sont mêlées, jusqu'à ce que la dame qui patientait à côté de moi mette un terme au débat, parce que dans la revue qu'elle lisait il y avait justement un article à son sujet, où figurait sa date de naissance. Alors tout le monde a paru bien étonné et a reconnu qu'elle ne faisait vraiment pas son âge. C'est qu'elle se l'est coulée douce, aussi, a dit la cliente que coiffait la patronne. C'est vrai qu'elle n'aurait pas la même allure si elle avait passé sa vie à faire des ménages, a renchéri sa voisine. Et la dame assise à mon côté a fait remarquer que c'étaient les couleurs qu'elle portait qui la rajeunissaient. Moi, pour dire quelque chose et tenter de gagner leur sympathie, j'ai ajouté qu'elle avait toujours de jolis chapeaux, ce qui n'a intéressé personne." 

 

 

 

 

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