"Je n'ai par-devers moi aucun autre horizon que celui qui m'entoure immédiatement. Je me considère comme ayant quarante ans, comme ayant cinquante ans, comme ayant soixante ans. Ma vie est un rouage monté qui tourne régulièrement. Ce que je fais aujourd'hui, je le ferai demain, je l'ai fait hier. J'ai été le même homme il y a dix ans."
- Gustave Flaubert, extrait d'une lettre à Louise Colet (1852)
Je me souviens d'avoir récemment évoqué l'hôtel où dormirent les And Also The Trees avec leur chanteur, Simon Huw Jones, lorsque celui-ci, alors que nous nous trouvions au Remor à boire un verre, me demandait de lui confirmer qu'ils avaient bien dormi dans ce quartier lors de l'après-concert de 1992 à l'Usine, ce à quoi j'avait répondu positivement, l'hôtel se trouvant autrefois dans le même immeuble et donc juste au dessus du café où nous étions assis à discuter et c'est d'ailleurs à cet instant précis qu'un souvenir jailli soudainement : après le départ du groupe en cette fin de matinée du 11 mai 1992, l'hôtel m'avait contacté par téléphone, chez moi, m'intimant de passer au plus vite pour payer deux oreillers et le remplacement d'une clé, qu'un ou des musiciens avaient emporté en quittant l'endroit...
Je me souviens bien m'être dit que la musique des frères Jones (Simon & Justin) ne faisait que se bonifier avec le temps, devenant paradoxalement toujours plus intemporelle, hors des modes et du bruit du monde, alors que le duo en est maintenant à plus de trente sept ans de carrière, me rappelant ainsi que beaucoup d'œuvres fantastiques avaient été créées sur le tard, comme les Frères Karamazov, écrit par Dostoïevski à plus de soixante ans, idem pour le Don Quichotte de Cervantès, ou encore le magnifique et immense Paradis du Tintoret, exécuté à quatre-vingt ans !
Je me souviens aussi qu'Arnaud Laporte, qui anime l'émission La Dispute sur France Culture, a, par deux fois, affirmé qu'And Also The Trees était l'un de ces groupes favoris - mais qu'attend t-il donc pour parler de ce très beau Born into the waves alors ? Message transmis.
I can't know you
Guess my faces my eyes
Your guess is as good as mine
The weight of your head in my arms
And the sound of the Streets
The taste of your tongue sweetI can't know youAnd when the night open up in golden wings
Lift me up, lift me up, lift me up
Wrapped in your fine bead dress
Your cages love bird song
Maësharn Maësharn Maësharn
https://www.youtube.com/watch?v=rkGuyxtDUdI
Il est des œuvres qui nous hante, celle de Philippe Muray, que j'ai découvert sur le tard, en fait partie, comme celle de Cioran, de Lautréamont. Au programme de ce premier volume d'exorcismes spirituels : quarante cinq essais rédigés entre 1978 et la fin des années 90 (même si la plupart date plutôt de la période allant, disons, de 1985 à 1996), traitant de sujets de sociétés comme le sport, l'hôpital, la culture, le mariage, les drogues, les jeunes etc. tout ça de manière polémique et avec beaucoup de style, car comme Muray le disait lui-même : "Un grand style, comme les crimes parfaits, doit être longuement prémédité." On retiendra aussi de cet auteur adulé par Fabrice Luchini de magnifiques pages sur Balzac, Rabelais, Swift, Bloy, Sade et bien d'autres ; pages qui se relisent sans fin, surtout celle sur cette "encyclopédie de la bêtise humaine" qu'a rédigé Flaubert à la fin de sa vie, y travaillant d'arrache pied pendant huit ans, puis mourant, laissant l'œuvre inachevée... Jetez votre lecture du moment aux orties et précipitez vous sur ce Rejet de Greffe, car le temps lui a donné raison, malheureusement pour nous...
Extrait de Rejet de greffe (exorcismes spirituels 1), de Philippe Muray (publié aux éditions des Belles Lettres) :
"Qu'est-ce qu'un vie d'artiste ou d'écrivain ? Une guerre assurément. Sur tous les fronts, avec toutes les armes possibles et imaginables. Et d'abord une guerre pour essayer, sans trop d'espoir, de faire comprendre aux autres qu'on écrit. Voilà quelque chose qui ne va pas de soi du tout. Si les Carnets de travail ont un intérêt, c'est qu'ils livrent à l'état bouillonnant, dans la fraicheur de leur jaillissement, des tonnes de détails sur les armes employées par Flaubert pour livrer cette guerre. Il ne s'agit même pas de culture, de savoir, non. Même pas de "Beauté". il s'agit de vie.
La littérature n'est pas plus ou moins "près" de la vie, pour ceux qui la pratiquent. Elle n'est même pas comme la vie. C'est la vie. Ou rien. Et rien d'autre n'est la vie. La vie chassant l'"autre vie", c'est-à-dire celles des autres. L'avalant. S'en nourrissant. Manger ou être mangé, telle est la question.
"Un livre est pour moi une manière spéciale de vivre" ; Flaubert ne se vante pas quand il fait cette déclaration. Il y a tant de gens qui se prennent pour des écrivains et qui ne composent leurs "œuvres" que dans l'espoir, après, d'exister ; que dans l'espoir, après, d'entendre dire qu'ils ont fait quelque chose ! Ce ne sont pas eux qui se seraient demandé, par exemple, ce qu'on peut voir exactement à travers la vitre d'un fiacre lorsqu'on fait, de nuit, le trajet Fontainebleau-Paris ; ou encore dans quelle clinique une femme pouvait mettre au monde un enfant illégitime aux alentours de 1848 (question entre mille autres que Flaubert se pose durant la rédaction de L'Éducation sentimentale)."