"Le rêve est une hypothèse, puisque nous ne le connaissons jamais que par le souvenir, mais ce souvenir est nécessairement une fabrication."
Paul Valéry
Je me souviens d'avoir aimé cet album dès la première écoute en 1991 parce que je devinais que les musiciens de Slowdive avaient, comme moi, beaucoup écouté Cocteau Twins (Heaven or Las Vegas) et The Cure (Disintegration),
Je me souviens bien d'avoir eu la chance de voir Ride en concert (à l'Usine alors que The Mission jouaient le même soir au Lignon - mais j'ai toujours détesté The Mission à vrai dire...), et My Bloody Valentine aussi, dans la grande salle de Vennes, à Lausanne, mais, étrangement, je n'ai jamais vu Slowdive en concert - quelle misère.
Je me souviens aussi d'avoir beaucoup écouté la chanson Dagger de Slowdive, qui reste aujourd'hui encore mon titre favori de leur catalogue, même si elle ne se trouve pas sur Just for a day qui est pourtant mon album fétiche de ce groupe dont la musique évoque - comme sa pochette d'ailleurs - une chute ralentie mais continuelle dans une brume de rêve, ouatée et multicolore ...
https://www.youtube.com/watch?v=uVY9p1IHops
"Le baume du temps qui cicatrise les blessures, je ne connais rien de plus répugnant" nous dit l'auteur vers la fin de ce livre, comme une injonction tardive à la prudence: lecteur avide de sensiblerie niaise, passe ton chemin. Ce qu'évoque Grégory Cingal dans ce récit d'à peine nonante pages est aussi beau et terrible que les peintures du Caravage et agit sur le lecteur un peu comme la sonate au clair de lune de Beethoven - c'est du grand art, et, pour être encore plus précis : c'est de la littérature (on se passera de "vraie" ou "bonne" d'ailleurs). On pourrait ne s'arrêter que sur la forme, le travail sur la phrase, le vocabulaire riche et parfois inattendu, pour dire à quel point ce livre est magnifique, ainsi on ne divulgacherait rien de ce livre. Car oui, futur lecteur de Grégory Cingal, tu seras confronté aux souvenirs, à Eros et Thanatos, au désir et à l'absence, aux rêves, à Maurice Blanchot et à la possibilité d'impuissance ontologique de la littérature. Et puis tu seras confronté aussi aux simples détails de ce qui fait la vie d'un couple, détails banals sur le moment, mais qui, au final, et ainsi tous rassemblés, sont autant de touches de couleurs qui donnent la patine d'originalité à cette œuvre qui tente de nous dire que oui : il se pourrait bien que l'amour soit plus fort que la mort, même si celle-ci a généralement le dernier mot.
Extrait de Ma nuit entre tes cils, de Grégory Cingal (publié aux éditions Finitude) :
"Je pourrais moi aussi errer en pèlerinage en quelques lieux sacrés qu'elle foula de son pas d'écureuil léger, me persuader, comme ces travel writer sur les pas de leur grand homme, qu'il y flotte encore dans l'air quelques particules de leur génie, reconstituer certains de ses itinéraires dont la symbolique topographique me procurerait quelques analogies propres à soulager mon petit besoin d'écrire, me mettre en scène en train d'arpenter rues, boulevards et boutiques où mon héroïne avait ses habitudes tout en m'enivrant de l'inévitable génie des lieux pour faire venir à moi tout le suc de l'inspiration, m'asseoir seul aux tables de cafés qui nous étaient coutumières afin d'y guetter quelques non moins inévitables apparitions fantomatiques que je consignerais soigneusement sur mon carnet noir de moleskine, dévider à plus soif - histoire d'étoffer un peu le volume - adresses, dates et noms d'acolytes croisés en chemin, malmener artistement la chronologie en jonglant sur de subtils allers et retours entre l'immédiat, le révolu et l'intemporel, le tout en faisant étalage de touchants scrupules quant au bien-fondé de ma quête. On a vu, et on verra encore, que je ne suis pas le dernier à sacrifier à ces petits rites de littérateurs, ce qui me donne l'envie furieuse de balancer tout ça par le feu."