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duras

  • La carte postale du jour ...

    "J'aimerais donc parler non pas exactement de notre relation aux œuvres d'art mais plutôt des traces de ces œuvres qui habitent notre vie mentale et qui affectent notre vision, notre perception et notre intelligibilité du monde. Je disais qu'il est de la nature des expériences esthétiques de transcender les objets qui en sont les déclencheurs. De fait, l'art perdrait une grande partie de son intérêt si l'activité qu'il suscite demeurait sans aucune applicabilité à la vie." - Laurent Jenny, La vie esthétique (2013)

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    Je me souviens de l'entrée du magasin de vêtements Anaconda, à Lausanne, qui utilisait une photo des filles de Strawberry Switchblade comme logo et qui fut autant une énigme qu'une révélation pour moi, post-adolescent alors à peine âgé de dix-huit ou dix-neuf ans. Je me souviens d'avoir découvert Since Yesterday par la belle reprise qu'en avait fait Current 93 en 1988 sur l'album Swastikas for Noddy que j'ai du acheter au début des années 90, pour ensuite tomber dans une échoppe de vinyles de seconde main sur le 45tours original des deux écossaises Jill Bryson et Rose McDowall, pratiquant cette sympathique bubblegum-pop aux accents new-wave sous le nom mutin des Strawberry Switchblade. Je me souviens aussi de ce joli portrait photo' que j'ai réalisé de Rose McDowall et son mari d'alors, Robert Lee, après leur concert au Château de Grandson en 1999 (utilisée plus tard dans le livre sur la musique Néofolk : Looking for Europe) et d'avoir oublié de me faire dédicacer le disque par la chanteuse ce jour là, ce qui me rend toujours nostalgique lorsque je l'entends chanter : "And as we sit here alone / Looking for a reason to go on / It's so clear that all we have now / Are our thoughts of yesterday".

    Les pensées d'hier je les retrouve à chaque relecture de ces Découvertes (trois fois à ce jour) d'Éric Laurrent. Riche de références (peinture, cinéma, musique, littérature), c'est presque un roman de formation, celle d'un enfant, puis d'un adolescent et d'un pré-adulte, au désir, mais aussi à la vie esthétique, aux expériences de l'art et des épiphanies qui en résultent, à la découverte du sexe aussi. J'aime son travail sur la phrase longue, alambiquée, l'emploi de temps rares, parfois, et de traiter de sujets qui sembleraient communs avec une intelligence remarquable, une tendresse précieuse, complexifiant le récit tout en gardant une belle fluidité. Et j'aime Les Découvertes probablement par que je m'y retrouve occasionnelement, comme dans cet extrait :

    "Nous étions devenus très vite assez proches, jusqu'à nous entraider lors des devoirs sut table. Nous déjeunions parfois d'une salade, d'un croque-monsieur ou d'un sandwich jambon-beurre dans l'un des cafés voisins du lycée, où cette insatiable lectrice m'entretenait intarissablement de romans dont, pour la plupart, j'entendais parler pour la première fois, mais que son enthousiasme contribuait, semaine après semaine, à me faire découvrir, tels Le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier, Amok de Stefan Zweig, L'Écume des jours de Boris Vian, La nuit des temps de René Barjavel, L'Attrape-coeur de Jerome David Salinger ou bien encore le Ravissement de Lol V. Stein de Marguerite Duras, pour ne citer ici que ses livres de chevet, terme que je n'entendais jamais dans sa bouche sans un certain trouble, car s'y attachaient naturellement l'image de son lit et, par association, celle de son occupante, que je ne pouvais alors m'empêcher d'imaginer étendue sur le ventre, le menton dans le creux des mains, un roman ouvert devant elle, sa chemise de nuit retroussée sur ses jambes nues, si bien que ces ouvrages me semblaient, lorsqu'elle me les tendait au dessus de la table du café ou que je les lisais quand elle me les prêtait, plus que de simples volumes de papier imprimé refermant des histoires et des personnages, mais des fragments de son intimité, détachés du monde mystérieux de sa chambre, porteurs de tout l'inconnu inaccessible de sa vie la plus secrète, de son sommeil, de ses rêves, de ses plaisirs qui sait, voire de sa nudité, dont ils étaient les témoins quotidiens et muets et ne laissaient passer jusqu'à moi, dans un subtil bouquets d'odeurs de colle, de papier, d'encre et de parfum pour jeune fille, que la délicieuse mais douloureuse émanation.
    Quand le temps le permettait, nous allions ensuite nous allonger sur une pelouse du jardin Lecoq, où, les yeux fermés, coiffé chacun d'un casque relié au même baladeur, nous écoutions de la musique, généralement celle, dite planante, des groupes Pink Floyd, Genesis, Yes, King Crimson ou Tangerine Dream, ou celle, plus froide et plus lugubre, des Cure, des Cocteau Twins, de Siouxsie & The Banshees ou de Joy Division."

  • La carte postale du jour ...

    "On prépare les jeunes pour un monde qui n'existera plus lorsque ceux-ci seront adultes." - Madame de Stael*

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    Je me souviens de cette bande-annonce de l'émission de télé Les Enfants du Rock introduisant Minimal Compact en insistant sur les mots Minimal et Compact pour décrire la musique new-wave hybride de ce groupe originaire de Tel Aviv et résidant alors en Hollande, côtoyant d'autres iconoclastes comme Colin Newman (Wire) ou les américains de Tuxedomoon. Je me souviens entendre l'une de leur chanson dans le film Les ailes du désir, alors que celle-ci n'est pas listée dans la bande originale du film. Je me souviens aussi qu'il fut un temps où la singularité de Minimal Compact accompagnait mes déplacements en bus à l'aller et au retour de mon apprentissage, muni de mon baladeur à cassette, écoutant Samy Birnbach chanter "Facing a mountain and the valley below / Hours of climbing to get down so low / First loves and memories are fading like snow  Where did I come from? / And where do I go? / Oh It takes a lifetime".

    Hybride aussi ce livre de Patrice Robin, qui se compose de références aux ateliers d'écriture, à des textes de Charles Juliet, Artaud, Perec, Baudelaire et tant d'autres. Récit plus que roman, d'une écriture dont la sobriété sert le fond à merveille, rappelant parfois un peu le film de Laurent Cantet "Entre les murs", adapté du roman de François Bégaudeau, mais plus axé sur l'écriture comme possibilité de se trouver une place au milieu du monde. L'échec n'y est pas oublié, et rappelle le rôle que peut encore aujourd'hui jouer l'écriture, et la littérature. C'est un petit livre, magnifique et essentiel car, comme le disait déjà Marguerite Duras il y a vingt ans, "plus personne ne lit, mais tout le monde veut écrire", et écrire cela s'apprend, comme à vivre d'ailleurs, avec du temps :

    "Constatant peu avant les vacances de Noël qu'il n'a pas obtenu en quatre mois un texte digne d'intérêt à partir de son programme habituel, à base d'exercices à contraintes et jeux d'écriture, Pierre se met en quête de propositions plus adaptées à son public. Il lit Tous les mots sont adulte de François Bon, méthode élaborée par l'écrivain à partir d'ateliers menés, entre autres, en collèges de banlieue, lycées professionnels et centres d'insertion, trouve judicieux qu'on y commence par l'écriture d'inventaires, d'un abord plus facile, avant de passer à des textes en prose plus construits. Il apprécie aussi que le travail sur la mémoire y évolue de manière progressive, des souvenirs récents jusqu'aux plus anciens, se dit que cela lui évitera la violence des Je me souviens, exercice qu'il continuera d'utiliser, mais pas avec les nouveaux, pas si tôt. Il aime surtout que la méthode soit bâtie à partir de  textes d'écrivains, Perec, Baudelaire, Artaud, Apollinaire, Kafka, Borges, Khalil Gibran, Charles Juliet..., se procure les livres de ceux qu'il n'a pas lus."

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    * Cité de mémoire, impossible de retrouver cette citation dans mes livres, ni sur le net d'ailleurs, je suis pourtant certain qu'il s'agit bien d'une déclaration de Mme De Stael ;  si quelqu'un connait l'original merci de m'écrire!