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giulio minghini

  • La carte postale du jour ...

    "Quand je pense que des idiots prétendent que notre époque manque de poésie, comme si elle n'avait pas ses surréalistes, ses prophètes, ses stars de cinéma et ses dictateurs."

    - Marguerite Yourcenar, Nouvelles orientales (1938)

    vendredi 6 mai 2016.jpg

    Je me souviens qu'il y a deux semaines à peine, alors que l'horloge muette avait déjà sonné une heure du matin et que dans la grotte du Cabinet l'air devenait étouffant et humide - mais pas à cause de la pluie -, perdue au milieu des silhouettes anonymes, une fille dansa frénétiquement sur "Night Bird (petit monstre)", de Fishbach, et c'était beau.

    Je me souviens bien de l'avoir déjà dit dans une précédente note, mais oui, définitivement : mon format de vinyle favori c'est le 10pouces.

    Je me souviens aussi que Fishbach m'a fait penser à une version électronique de Rita Mitsouko et que "Mortel", avec son refrain lancinant et surréaliste, est devenu mon titre préféré de cette artiste française dont ce premier disque a trouvé bonne place près des vinyles de La Femme et Grand Blanc...

    Parachutiste, de toi, serai-je la cible ?
    Puis dans mes disques vise au hasard, au pire
    Tu tomberas sur mes caprices pénibles
    Vise-moi encore, en sémaphore j'existe

    Jamais rien vu d'aussi mortels que ces tirs au hasard
    Je viendrai demain aux nouvelles à la lueur du phare
    Jamais rien vu d'aussi mortels que ces tirs au hasard

    Laisse-toi faire, voguer en elle, en piste
    J'ai de quoi faire des jambes en l'air bioniques
    Mes bras de mer m'offrent de faire l'artiste
    Tirez en l'air, j'vais m'faire un attentiste

    Jamais rien vu d'aussi mortels que ces tirs au hasard
    Je viendrai demain aux nouvelles à la lueur du phare
    Jamais rien vu d'aussi mortels que ces tirs au hasard

    Jamais rien vu d'aussi mortels que ces tirs au hasard
    Qui sera demain aux nouvelles à la lueur du phare
    Jamais rien vu d'aussi mortels que ces tirs au hasard

    Parachutiste, de toi, serai-je la cible ?
    Vise-moi encore, en sémaphore j'existe

    Jamais rien vu d'aussi mortels que ces tirs au hasard
    Je quitterai demain ces terres sans vous dire au revoir
    Jamais rien vu d'aussi mortels que ces tirs au hasard

    Jamais rien vu d'aussi mortels que ces tirs au hasard
    Je te rejoins demain en l'air il n'y a pas de hasard
    Jamais rien vu d'aussi mortels que ces tirs au hasard

    https://www.youtube.com/watch?v=HodI69BNdCk

     

    C'est dans ces moments où les nouveautés me laissent froid ; de ces circonstances péniblement accidentelles où les classiques ne me font plus de l'œil ; de ces occasions ratées pour plonger dans l'inconnu et y trouver du nouveau - par peur de me noyer peut-être ? Heureusement il existe un antidote, simple et d'un coût inexistant, cette panacée... c'est la relecture. Si j'ai relu trois fois "Tyrannicide" de Giulio Minghini, et quatre fois "Petit journal de stage" de Bruno Migdal - d'ailleurs ce dernier livre a fini par se casser, perdant certaines pages que j'ai remises dans un désordre qui rendra la prochaine relecture encore plus amusante... -, je relis aussi fréquemment Laurent Graff - et son recueil de nouvelles La Vie sur Mars (petit clin d'œil à Bowie) tombait à pic avec sa galerie de portraits décalés : Vie de voisin, vie de candidat, vie d'écrivain, etc. Il y a du bon et du moins bon, de l'inutile et de l'à quoi bon, mais au final, l'auteur, Laurent Graff, nous donne un aperçu en dents de scie du quotidien de monsieur et madame Toulemonde. Une relecture qui m'a remis en piste. Joie.

    Extrait de La Vie sur Mars, de Laurent Graff (publié dans la collection Motifs qui se fait trop rare maintenant) :

    "Dans la nuit, Alain Gentil voulut aller aux toilettes. Il alluma la lumière et se leva - il dormait nu, à l'image de Martin Sheen dans Apocalypse Now. C'est alors qu'il ressentit d'effroyables crampes dans les jambes et le bas du dos. Il était perclus de douleur des talons jusqu'aux reins comme après un passage à tabac dans une geôle cubaine. Il réussit à faire quelques pas en traînant les pieds, atteignit péniblement le couloir où se trouvaient les toilettes. Hélas, au moment où il tendait la main vers la porte pour l'ouvrir, il bascula inéluctablement en arrière, comme happé par une force invisible, les pieds entravés et tout le corps raidi. Il tomba à la renverse dans l'escalier, qu'il dévala d'un bout à l'autre. En chemin, il se cogna au mur, décrocha quelques bibelots, rebondit sur les marches, au nombre de treize. Il atterrit sur le carrelage de la cuisine au rez-de-chaussée.

     Inconscient, Alain Gentil gisait sur le sol, dans une posture Années folles, danseur de charleston foudroyé, les jambes en W. Il s'était ouvert l'arcade sourcilière gauche et pissait le sang qui dégoulinait le long de son visage pour former une petite marre onctueuse sur les carreaux. Il avait les yeux grands ouverts dans une expression d'ébahissement incrédule, qui disaient combien sa chute avait été interminable et pleine de rebondissements. Il finit par reprendre ses esprits, battit des paupières. Au plafond, tournoyaient des palles d'hélicoptère. Il essaya de bouger les membres l'un après l'autre, constata que les crampes lui paralysaient toujours les jambes.

     Alain Gentil passa à l'action. Il se redressa sur les coudes et roula sur le ventre. Comme à l'entraînement, il rampa sur le carrelage froid, à la seule force des bras, luttant contre la douleur qui voulait le clouer sur place. Dans une traînée de sang, il traversa la cuisine et atteignit le meuble du téléphone. Il attrapa le fil de l'appareil et l'attira à lui. Essoufflé, il reprit sa respiration avant de composer un numéro sur le clavier. Puis : "Allô ! Appel prioritaire, à... - il consulta la pendule de la cuisine - à 0-1 point 3-5 Lima... Le frelon est tombé dans les escaliers. Envoyez unité de secours. Terminé."

     Alain Gentil, alias Le frelon, s'allongea sur le dos et attendit, nu sur le carrelage, les yeux au plafond. This is the end..., chantait Jim Morrison."

     

  • La carte postale du jour...

    "Le mauvais goût, c'est de confondre la mode, qui ne vit que de changements, avec le beau durable."

    - Stendhal, De l'Amour (1822)

     

    dimanche 6 septembre 2015.jpg

     

    Je me souviens du premier concert d'Aeroflot il y a deux ans, en plein été, dans la grotte du Cabinet farcie pour l'occasion d'oreillers où nous nous étions affalé pour un set plutôt ambiant et improvisé qui m'avait semblé un peu long d'ailleurs, alors qu'hier soir, dans la magnifique salle communale de Plainpalais, dans le cadre du festival de la Bâtie, le concert m'a paru trop court parce que magique peut-être (même s'il manquait les oreillers...).

    Je me souviens bien que lorsque qu'Arnaud - la moitié d'Aeroflot si l'on peut dire - m'a offert en fin d'année passée le disque Jetlag Ghost je l'ai trouvé - dans son format - très petit petit petit, et que je préfèrerais une version vinyle cela va sans dire.

    Je me souviens aussi d'avoir trouvé que la musique d'Aeroflot était vraiment la bonne jonction des projets de ses deux protagonistes, le musicien électro POL et le multi-instrumentiste Goodbye Ivan, que les influences étaient mesurées, équilibrées, et que, tout au long du disque, même si celui-ci rappelait parfois Massive Attack ou Kid A de Radiohead ainsi que les projets solos de Thom Yorke, que tout au long du disque disais-je, on pouvait ressentir cette mélancolie qui nous habite lorsqu'on doit prendre l'avion, cette sensation d'attente, de solitude parfois, de perdition (l'humanité toute particulière des aéroports), de doute, tout cela mêlé à ce plaisir de pouvoir prendre son envol aussi, peut-être - il faudra y penser tiens, plutôt deux fois qu'une...

    Analyze what is inside of you,
    Don't analyze what is outside of you,
    You better think about it twice,
    Better think about it twice,
    Start to break the ice,...
    Open up your eyes,
    Don't let him tho,
    Don't hurt him tho.

    https://www.youtube.com/watch?v=TPC4c0Efmfo&feature=youtu.be

     

    On appréciera, ou pas, le regard que porte Nicolas Fargues sur la société en général, et dans ce nouveau livre, Au pays du p'tit, sur la France en particulier. Un regard critique, parfois juste, souvent drôle. Car Nicolas Fargue est un observateur attentif des mœurs contemporaines. Il s'attache au banal pour en faire de la fiction et comme les livres de Houellebecq, Giulio Minghini ou encore Éric Laurrent, lorsqu'on le (re)lira plus tard - et c'est bien là tout le mal que je lui souhaite -, on aura un aperçu de notre époque, fonction qu'ont eue (et qu'ils ont encore, bien sûr) des ouvrages comme L'assommoir de Zola ou Du côté de chez Swann de Proust, bien que cela paraisse discutable pour les écrivains d'aujourd'hui tant le recul nous manque, sans parler du peu de tolérance et de compréhension envers les œuvres littéraires contemporaines qui semble être de mise aujourd'hui.

    Depuis quelques romans pourtant (je conseille de lire Tu verras, qui traite du décès d'un adolescent, des différences de générations, de l'éducation et aussi de Facebook ; ainsi que le plus léger, mais ô combien amusant La ligne de courtoisie, où il est question de fuite en avant), le (presque) jeune auteur a affiné sa plume ainsi que sa réflexion. Ainsi, dans ce nouveau roman, Fargues nous donne à suivre les péripéties d'un homme limite misogyne, trop sûr de lui, peu agréable au demeurant mais malgré tout empreint d'une certaine mélancolie, qui, avec un premier livre à plus de quarante ans, se retrouve invité à des colloques en Russie, aux Etats-Unis, dans des émissions radiophoniques, pour en parler, et même assigné en justice par les avocats genevois d'Alain Delon, envers qui le protagoniste auteur de l'essai est très critique (un des passages du livre des plus amusants d'ailleurs). C'est aussi un homme qui vieillit mal, le supporte en le cachant du mieux qu'il peut, et qui va payer - mais pas trop cher - ses égarements de literie.

    Nicolas Fargues renoue avec ses thématiques favorites que sont Facebook, les rapports entre générations, la fuite en avant, l'observation des mœurs et leur critique. Un bon roman où beaucoup d'hommes se reconnaîtront un tant soit peu, et que beaucoup de femmes détesteront tant le protagoniste principal est en définitive un pauvre type, où, comme le dit sa jeune maîtresse (inspirée de la joueuse de Tennis slovaque Kristína Kučová!?) : un "french asshole".

     

    Extrait de Au pays du p'tit, de Nicolas Fargues, publié chez P.O.L.  :

    "Il était encore tôt mais la nuit était déjà bien installée dehors. Je m'affalai dans mon canapé, ouvris mon ordinateur et me rendis directement sur Facebook. Janka Kučová avait accepté la proposition d'amitié que je lui avais faite sous pseudonyme. Sur sa page, elle avait laissé accessibles une série d'albums photos classés par noms de villes et par dates : Birmingham (novembre 2011), Seattle (avril 2012), Hambourg (décembre 2012), Prague et Bratislava (février 2013) etc. Je cliquai sur Moscou (octobre 2013), le plus récent, qui comprenait deux cent treize photos. Au pub, au restaurant, à la gare, dans sa chambre universitaire, au musée, sur un pont ou sur la Place Rouge, de jour comme de nuit, Janka Kučová apparaissait invariablement entourée d'autres étudiants. Une vie ordinaire de jeunes, avec des pintes de bières accumulées sur les tables, des anniversaires à fêter et des poses joyeuses et sagement anticonformistes à prendre dans les parcs ou devant les monuments célèbres de la ville. L'existence perçue comme une production des studios Walt Disney, mais où l'alcool serait  autorisé. Moi qui dans ma jeunesse n'avait jamais été un type à potes, je ne savais trop si j'enviais cette vie en groupe ou si elle m'effrayait. La plupart d'entre eux semblaient, comme elle, originaires d'Europe centrale ou orientale, cela se reconnaissait à leur blondeur, à leurs yeux clairs fixant l'objectif avec franchise ainsi qu'à quelque chose d'indéfinissablement différent des jeunesses blanches de l'ouest dans leur façon de s'habiller. On retrouvait pourtant des T-shirts, des polos, des jeans et des baskets similaires. Cela tenait peut-être à leur sens plus brut de la fantaisie, à leur choix de couleurs plus tranchées, à une autre façon de combiner entre eux les éléments et les accessoires, à ce goût ingénu pour les logos et les marques visibles que l'on pouvait également retrouver dans les banlieues françaises, je ne sais pas trop."