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nicolas fargues

  • La carte postale du jour...

    "Le mauvais goût, c'est de confondre la mode, qui ne vit que de changements, avec le beau durable."

    - Stendhal, De l'Amour (1822)

     

    dimanche 6 septembre 2015.jpg

     

    Je me souviens du premier concert d'Aeroflot il y a deux ans, en plein été, dans la grotte du Cabinet farcie pour l'occasion d'oreillers où nous nous étions affalé pour un set plutôt ambiant et improvisé qui m'avait semblé un peu long d'ailleurs, alors qu'hier soir, dans la magnifique salle communale de Plainpalais, dans le cadre du festival de la Bâtie, le concert m'a paru trop court parce que magique peut-être (même s'il manquait les oreillers...).

    Je me souviens bien que lorsque qu'Arnaud - la moitié d'Aeroflot si l'on peut dire - m'a offert en fin d'année passée le disque Jetlag Ghost je l'ai trouvé - dans son format - très petit petit petit, et que je préfèrerais une version vinyle cela va sans dire.

    Je me souviens aussi d'avoir trouvé que la musique d'Aeroflot était vraiment la bonne jonction des projets de ses deux protagonistes, le musicien électro POL et le multi-instrumentiste Goodbye Ivan, que les influences étaient mesurées, équilibrées, et que, tout au long du disque, même si celui-ci rappelait parfois Massive Attack ou Kid A de Radiohead ainsi que les projets solos de Thom Yorke, que tout au long du disque disais-je, on pouvait ressentir cette mélancolie qui nous habite lorsqu'on doit prendre l'avion, cette sensation d'attente, de solitude parfois, de perdition (l'humanité toute particulière des aéroports), de doute, tout cela mêlé à ce plaisir de pouvoir prendre son envol aussi, peut-être - il faudra y penser tiens, plutôt deux fois qu'une...

    Analyze what is inside of you,
    Don't analyze what is outside of you,
    You better think about it twice,
    Better think about it twice,
    Start to break the ice,...
    Open up your eyes,
    Don't let him tho,
    Don't hurt him tho.

    https://www.youtube.com/watch?v=TPC4c0Efmfo&feature=youtu.be

     

    On appréciera, ou pas, le regard que porte Nicolas Fargues sur la société en général, et dans ce nouveau livre, Au pays du p'tit, sur la France en particulier. Un regard critique, parfois juste, souvent drôle. Car Nicolas Fargue est un observateur attentif des mœurs contemporaines. Il s'attache au banal pour en faire de la fiction et comme les livres de Houellebecq, Giulio Minghini ou encore Éric Laurrent, lorsqu'on le (re)lira plus tard - et c'est bien là tout le mal que je lui souhaite -, on aura un aperçu de notre époque, fonction qu'ont eue (et qu'ils ont encore, bien sûr) des ouvrages comme L'assommoir de Zola ou Du côté de chez Swann de Proust, bien que cela paraisse discutable pour les écrivains d'aujourd'hui tant le recul nous manque, sans parler du peu de tolérance et de compréhension envers les œuvres littéraires contemporaines qui semble être de mise aujourd'hui.

    Depuis quelques romans pourtant (je conseille de lire Tu verras, qui traite du décès d'un adolescent, des différences de générations, de l'éducation et aussi de Facebook ; ainsi que le plus léger, mais ô combien amusant La ligne de courtoisie, où il est question de fuite en avant), le (presque) jeune auteur a affiné sa plume ainsi que sa réflexion. Ainsi, dans ce nouveau roman, Fargues nous donne à suivre les péripéties d'un homme limite misogyne, trop sûr de lui, peu agréable au demeurant mais malgré tout empreint d'une certaine mélancolie, qui, avec un premier livre à plus de quarante ans, se retrouve invité à des colloques en Russie, aux Etats-Unis, dans des émissions radiophoniques, pour en parler, et même assigné en justice par les avocats genevois d'Alain Delon, envers qui le protagoniste auteur de l'essai est très critique (un des passages du livre des plus amusants d'ailleurs). C'est aussi un homme qui vieillit mal, le supporte en le cachant du mieux qu'il peut, et qui va payer - mais pas trop cher - ses égarements de literie.

    Nicolas Fargues renoue avec ses thématiques favorites que sont Facebook, les rapports entre générations, la fuite en avant, l'observation des mœurs et leur critique. Un bon roman où beaucoup d'hommes se reconnaîtront un tant soit peu, et que beaucoup de femmes détesteront tant le protagoniste principal est en définitive un pauvre type, où, comme le dit sa jeune maîtresse (inspirée de la joueuse de Tennis slovaque Kristína Kučová!?) : un "french asshole".

     

    Extrait de Au pays du p'tit, de Nicolas Fargues, publié chez P.O.L.  :

    "Il était encore tôt mais la nuit était déjà bien installée dehors. Je m'affalai dans mon canapé, ouvris mon ordinateur et me rendis directement sur Facebook. Janka Kučová avait accepté la proposition d'amitié que je lui avais faite sous pseudonyme. Sur sa page, elle avait laissé accessibles une série d'albums photos classés par noms de villes et par dates : Birmingham (novembre 2011), Seattle (avril 2012), Hambourg (décembre 2012), Prague et Bratislava (février 2013) etc. Je cliquai sur Moscou (octobre 2013), le plus récent, qui comprenait deux cent treize photos. Au pub, au restaurant, à la gare, dans sa chambre universitaire, au musée, sur un pont ou sur la Place Rouge, de jour comme de nuit, Janka Kučová apparaissait invariablement entourée d'autres étudiants. Une vie ordinaire de jeunes, avec des pintes de bières accumulées sur les tables, des anniversaires à fêter et des poses joyeuses et sagement anticonformistes à prendre dans les parcs ou devant les monuments célèbres de la ville. L'existence perçue comme une production des studios Walt Disney, mais où l'alcool serait  autorisé. Moi qui dans ma jeunesse n'avait jamais été un type à potes, je ne savais trop si j'enviais cette vie en groupe ou si elle m'effrayait. La plupart d'entre eux semblaient, comme elle, originaires d'Europe centrale ou orientale, cela se reconnaissait à leur blondeur, à leurs yeux clairs fixant l'objectif avec franchise ainsi qu'à quelque chose d'indéfinissablement différent des jeunesses blanches de l'ouest dans leur façon de s'habiller. On retrouvait pourtant des T-shirts, des polos, des jeans et des baskets similaires. Cela tenait peut-être à leur sens plus brut de la fantaisie, à leur choix de couleurs plus tranchées, à une autre façon de combiner entre eux les éléments et les accessoires, à ce goût ingénu pour les logos et les marques visibles que l'on pouvait également retrouver dans les banlieues françaises, je ne sais pas trop."

     

     

  • La carte postale du jour...

    "Je pense que le terme de loisir en est venu à désigner trois cas de figure complètement différents : avoir le droit de faire quelque chose, avoir le droit de faire tout ce que l'on veut, ou encore (et c'est probablement ce qu'il y a de plus rare et de plus précieux) avoir le droit de ne rien faire. Il ne fait aucun doute que le premier s'est développé de façon importante dans notre vie sociale récente, ce qui est probablement des plus bénéfiques."
    - G. K. Chesterton, Essais choisis

    vendredi 3 avril 2015.jpg

    Je me souviens que Sexy Sushi ont fait leur entrée fracassante dans ma discothèque en 2010, avec le disque Tu l'as bien mérité, principalement à cause du titre L'idole des connes, et que chaque écoute me fait penser qu'ils sont un peu les Métal Urbain / Bérurier Noir du vingt et unième siècle.

    Je me souviens bien que Sexy Sushi sont passés au festival Electron en 2014 (un festival que le monde entier nous envie - fierté des genevois de mauvaise famille) et que, comme d'habitude, tel un flan, je suis resté dans mon canapé ; si je n'étais pas aussi fainéant, je crois bien que je pourrais m'en vouloir.

    Je me souviens aussi que, lorsque le disque Vous en reprendrez bien une part est sorti, j'ai très vite choisi le titre J'aime mon pays pour le passer dans mes soirées Disorder!, mais qu'avec le recul j'aime aussi beaucoup le cyclique et obstiné Calvaire, et aussi le cri de rage de Je refuse de travailler :

     

     Je refuse de travailler,
     ça m'empêche de bouquiner,
     ça m'empêche de me promener et de planer
     en espérant que les abrutis vont crever
     en calculant leurs abattements.

     Je refuse de travailler !
     Oui je refuse de travailler !

     Je refuse de travailler,
     j'ai de la haine pour ma banquière,
     je voudrais qu'elle se coince elle-même
     la tête dans la portière.
     Je voudrais que sa belle voiture
     se foute dans un poteau
     mais qu'avant elle me procure
     pour que j'accède au magot.

     Je refuse de travailler,
     je préfère l'amour en mer.
     C'est une question de tempo,
     Marie-Galante, Acapulco.
     En tous les cas je ne veux rien faire.

    https://www.youtube.com/watch?v=aD4thXRn80M

     

    Quand j'ai vu que François Bégaudeau partageait un entretien avec Iegor Gran dans l'Obs' - parce que leurs livres ont en commun la critique du milieu littéraire (ce qui n'est pas tout à fait le cas de La revanche de Kevin de Iegor Gran à vrai dire, c'est plus fin que ça) -, je me suis précipité sur La Promesse. Au fil des presque 300 pages, l'auteur fait la chronique du milieu du livre auquel il prend part, ou essaie de prendre part, s'y perd ou s'en détache tout en y participant pleinement (c'est parfois difficile à savoir ou à comprendre). Il y a des pages radicales, parfois drôles, de beaux passages aussi (notamment sa rencontre avec Edouard Levé), quelques erreurs (il dit écouter Benjamin Biolay mais retranscrit les paroles de La Forêt de Lescop?!?) ; sa prise avec le réel, l'absence de fiction (pour les deux premiers tiers du roman), son cynisme exacerbé laissent peu de place à l'empathie, et parfois conduisent jusqu'au malaise... Au même titre que Despentes et Houellebecq, auquels je préférerais quand même Eric Laurrent (Les découvertes) ou Nicolas Fargues (La ligne de courtoisie), François Bégaudeau est un observateur de son époque (la nôtre), et en cela : vaut la peine d'être lu, même si - bémol -, le livre est pesant sur la longueur. Pourtant, ce livre n'est pas uniquement centré sur le monde du livre (plus que sur le monde littéraire d'ailleurs), il est aussi une bonne réflexion sur le "travail", ses valeurs actuelles. Et puis reste des pages où l'encre est remplacée par de l'acide, ou bien ces quelques passages qui font allusions au revenu de base, qui permettrait à ceux n'ayant pas envie de travailler de ne rien faire, ou faire ce qu'ils veulent (!), discussion autour de ce thème qui battait son plein à la même période, en Suisse ; et j'acquiesce totalement quand Bégaudeau, lucide, déclare (dans l'entretien), au sujet des salons et foires et autres fêtes du sl... livres, pardon : "Dans un autre livre, j’ai appelé ça TSL: tout sauf les livres. On est dans l’apologie du livre comme point de résistance face à la barbarie. Mais le contenu, c’est le grand absent."

    extrait du La promesse, de François Bégaudeau :

     

    "Dimanche prochain la Suisse organise une votation sur le revenu inconditionnel à vie, autrement appelé
     - Long sucré ça va ?
     - Oui.
     Elle s'assoit à côté pour tromper son ennui. À part cafetière elle ne voit pas à quoi elle sert. C'est fréquent d'être payé à rien branler ou c'est juste elle ?
     - C'est fréquent.
     Son contrat prévoit trente heures hebdo mais franchement pour ce qu'on lui demande dix suffiraient. Elle aimerait faire de l'antenne, on ne lui proposera rien. Déjà qu'ils virent les anciens, on les voit mal créer des postes pour les bleus. Elle raccompagne à l'ascenceur un quatuor d'éditorialistes surgis du studio roi de France Inter. Pendant une heure ils ont passé en revue l'actualité. Ce sont des observateurs du pouvoir. Ils ne le lâchent jamais des yeux. Quatre d'entre eux publient aussi des romans. S'ils étaient fonctionnaires ils seraient à la retraite. Dimanche prochain la Suisse organise une votation sur le revenu inconditionnel à vie, autrement appelé revenu de base inconditionnel. Ses initiateurs en escomptent qu'il
     - Vous lisez le Monde ? Vous avez moins de soixante ans pourtant.
    C'est l'animateur. Son ton est assuré, son nom sans particule. Il a lu le même article qu'il trouve abscons.
    - Je vous introduis ?
     Pourquoi pas. Dans le studio, une CDI à tee-shirt cheap rehaussé par son extraction conclut le flash par l'événement culturel de la semaine, la diffusion sur M6 de la saison 5 de Mad Men. On y sera sans faute, ponctue l'animateur. En off il la félicite pour son bronzage de ski pascal.
    - T'étais où ?
    - Courche.
    - Y avait de l'ambiance aux Caves ?
    - Moyen.
     Pull moulant boutonné à l'épaule, il habite le neuvième arrondissement. Il ne va pas tarder à prendre la décision personnelle de se laisser pousser la barbe. Il me trasmet une demande de test micro.
    - Dimanche prochain la Suisse organise une votation sur le revenu inconditionnel à vie, autrement appelé revenu de base inconditionnel. Ses initiateurs en escomptent qu'il révoque les contrôles avilissants auxquels sont soumis les bénéficiaires d'allocations sociales, et que chacun soit libre de jouir de la brève finitude qui lui est échue. ça ira ?
     Derrière la vitre le réalisateur hoche une tête sympa service public. Tiens tant qu'il y pense l'animateur voudrait une adresse pour m'envoyer son premier roman publié en mai.
    - Pour une fois je ne fais pas parler les autres mais moi.
     En s'allumant l'ampoule rouge lui donne une voix profonde. Il annonce d'emblée une petite surprise pour l'invité du jour. D'un bras il lance un morceau de Green Day, sourire farceur comme s'il exhumait une vidéo caméscope où j'ai pissé au lit. Everybody loves a joke. Il écourte pour ne pas casser les oreilles auditrices habituées aux chansons électrifiées a minima. Lumière rouge.
     - C'était une petite madeleine de votre folle jeunesse punk.
    - Bien le prendre est poli et lâche. Mal le prendre est impoli et brave.
    - Vous avez honte de ces années ?
    - J'ai honte pour vous."