Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

gogol

  • La carte postale du jour...

    "Nous avons besoin de livres qui agissent sur nous comme un malheur dont nous souffririons beaucoup, comme la mort de quelqu'un que nous aimerions plus que nous-mêmes, comme si nous étions proscrits, condamnés à vivre dans des forêts loin de tous les hommes, comme un suicide - un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous."

    - Franz Kafka, extrait d'une lettre à Oskar Pollak, 27 janvier 1904
     

    mercredi 18 mai 2016.jpg

    Je me souviens que Ian Curtis voulait être libraire.
     
    Je me souviens bien que Ian Curtis adorait explorer les choses dans le détail, comme, par exemple, dénicher les quelques lignes empruntées à un poème obscur de Jim Morrison par Iggy Pop et qui se se retrouve ainsi sur la chanson "The passenger" ; à leur tour Bernard Sumner et Ian Curtis "emprunteront" à Iggy Pop la façon d'utiliser le synthétiseur à la fin de la chanson "China girl" pour leur mythique "Love will tear us apart" - tout un jeu de piste...
     
    Je me souviens aussi que Ian Curtis était un grand lecteur, affectionnant Kafka et Burroughs, ainsi que la littérature russe : "Les carnets du sous-sol" de Dostoievski ainsi que "Les âmes mortes" de Gogol, qui donne son titre à la chanson de Joy Division, Dead Souls...
     
    Someone take these dreams away,
    That point me to another day,
    A duel of personalities,
    That stretch all true realities.

    That keep calling me,
    They keep calling me,
    Keep on calling me,
    They keep calling me.

    Where figures from the past stand tall,
    And mocking voices ring the halls.
    Imperialistic house of prayer,
    Conquistadors who took their share.

    That keep calling me,
    They keep calling me,
    Keep on calling me,
    They keep calling me.

    Calling me, calling me, calling me, calling me.

    They keep calling me,
    Keep on calling me,
    They keep calling me,
    They keep calling me.
     
    Et pour ce matin, rien de tel que Maupassant pour commencer cette belle journée dédiée à Ian Curtis, parti le 18 mai, il y a maintenant trente-six ans.
     
    Extrait de Contes pour le suicide, de Guy de Maupassant (publié aux éditions Allia) :
     
    "Le suicide ! mais c'est là force de ceux qui n'en ont plus, c'est l'espoir de ceux qui ne croient plus, c'est le sublime courage des vaincus ! Oui, il y a au moins une porte à cette vie, nous pouvons toujours l'ouvrir et passer de l'autre côté. La nature a eu un mouvement de pitié ; elle ne nous a pas emprisonnés. Merci pour les désespérés !

    Quant aux simples désabusés, qu'ils marchent devant eux l'âme libre et le coeur tranquille. Ils n'ont rien à craindre, puisqu'ils peuvent s'en aller ; puisque derrière eux est toujours cette porte que les dieux rêvés ne peuvent même fermer."

     

     
     
     
  • La carte postale du jour...

    "Même Maïakovski a un jour traité l'inspiration de "Morue".
     C'est ce que nous remarquons par les interruptions qui parsèment l'oeuvre de Gogol : ce désir douloureux d'exprimer l'inexprimable, de moissonner la récolte quand le temps  n'est pas encore venu."
    - Victor Chklovski, Le Forage des Profondeurs

     

    dimanche 3 mai 2015.jpg

     

    Je me souviens d'avoir acheté ce disque de Complot Bronswick par un jour d'hiver ensoleillé de la fin des années 80 sur les conseils d'Antony Leone (salut Antony!), alors qu'il fouillait le bac à vinyles soldés jouxtant celui dans lequel j'étais tout entier plongé.

    Je me souviens bien d'avoir donné une cassette compilant uniquement des groupes cold-wave français (Trisomie 21, Opéra de nuit, Kas Product, etc) à mes amis Gabrielle et Kristian qui partaient pour quelques vacances dans le sud de la France, et qu'à leur retour ils m'avaient dit avoir écouté cette compilation en boucle et d'avoir particulièrement aimé la chanson Born in a cage de Complot Bronswick, ce qui m'avait fait très plaisir.

    Je me souviens aussi que le concept de ce disque m'a quelque peu échappé dans mes jeunes années, mais que le simple titre Maïakovski évoquait tout un univers, me ramenant d'ailleurs aux passages de la révolution russe que j'avais lu dans l'excellent Moravagine de Blaise Cendrars, mais ce n'est que bien plus tard que j'ai découvert les textes du grand poète russe et à quel point ils servaient de piliers pour ce disque dont la musique rappelle à la fois Joy Division et Orchestre Rouge - et dont, aujourd'hui encore, je suis épaté par la bonne production -, avec une préférence personnelle pour les titres chantés en français (vilain accent pour les parties anglophones) comme cette magnifique adaptation de La Flûte de Vertèbre de Maïakovski, écrit en 1915 :

    A vous toutes
    que l’on aima et que l’on aime
    icône à l’abri dans la grotte de l’âme
    comme une coupe de vin
    à la table d’un festin
    je lève mon crâne rempli de poèmes
    Souvent je me dis et si je mettais
    le point d’une balle à ma propre fin
    Aujourd’hui à tout hasard je donne
    mon concert d’adieu
    Mémoire !
    Rassemble dans la salle du cerveau
    les rangs innombrable des biens-aimées
    verse le rire d’yeux en yeux
    que de noces passées la nuit se pare
    de corps et corps versez la joie
    que nul ne puisse oublier cette nuit
    Aujourd’hui je jouerai de la flûte sur
    ma propre colonne vertébrale

    https://www.youtube.com/watch?v=NoPvrxJrXdE

     

    Iouri Olécha est plutôt l'homme d'un grand roman : L'envie (1927), paru d'abord, pour sa version française, à l'Âge d'Homme en 1978, puis repris au Seuil dans les années 80, et qui vient de ressortir en format semi-poche au Sillage. Journaliste, auteurs de nombreuses pièces de théâtre, poète, il cesse toutefois l'écriture d'autres romans dans les années 30, mais, à partir des années 50, Olécha décide de s'atteler à son journal commencé vingt ans plutôt, comme il s'en explique d'ailleurs dans une lettre à sa mère en 1956 : "C'est un livre sur moi-même, sur la littérature, la vie, le monde" ; journal qui ne sera jamais achevé, l'auteur meurt en 1960, à Moscou. Il ne croit plus à la fiction, et se passionne alors pour les mémoires, même s'il avoue parfois simplement manquer d'imagination. Reste alors ses écrits, formidables, avec ce merveilleux titre, Pas de jour sans un ligne (aucun rapport avec la coke ni avec la chansonnette gniangnian de 1974), référence à Stendhal, influence majeure d'Olécha, avec Shakespeare, Edgar Poe et bien d'autres encore puisque c'est un grand lecteur, dès son enfance à Odessa, ville particulièrement bien décrite dans le premier tiers de ce livre métaphorique. On croise beaucoup d'écrivains contemporains d'Olécha : Mandelstam et Akhmatova, furtivement, Boulgakov, Kataïev, Ilf, tous très proche de l'écrivain, et puis bien sûr Maïakovski qui inonde l'imaginaire de ses contemporains d'alors... Pas un jour sans une ligne est aussi un très beau livre sur la littérature, sur les livres, sur les arts en général ; Olécha nous parle ainsi de Gogol, de Tolstoï, du journal de Delacroix, de Rossini, d'Alexandre Grine et son fantastique Attrapeur de rats, etc. Pas de jour sans un ligne est un livre rare et généreux, et les passages sur Maïakovski sont admirables et permettent d'imaginer l'émulation qui existait à cette époque autour du poète qui est allé rejoindre, en 1930, la cohorte des écrivains suicidés avant lui - Kleist, Trakl, Essenine, etc. - et que d'autres encore rejoindront - Tsvetaieva, Walter Benjamin, René Crevel, Unika Zurn, Osamu Dazai, Silvia Plath, etc. -.

     

    extrait de Pas de jour sans une ligne, de Iouri Olécha :

    "J'aimerais bien me rappeler quand pour la première fois mon attention s'est arrêtée sur ce nom... Non, ce n'est pas au moment de la visite des futuristes à Odessa ! À cette époque je n'étais pas encore poète, je vivais encore des sensations du sport, du football qui commençait juste à naître dans notre pays. Oh, on était loin de la littérature, avec ces jeux sur terrains de sport verdoyants avec fanions pointus aux quatre coins ! Il ne s'agissant même pas tant d'éloignement que d'hostilité ! Nous étions des sportsmen, des coureurs de fond, nous sautions à la perche, nous jouions à la perche, qu'avions-nous à faire de la littérature ! C'est vrai, j'avais en ce temps-là traduit le prologue des Métamorphoses d'Ovide et reçu pour la peine un "cinq" en latin... Mais j'étais encore sourd au prodige qui se déroulait à côté de moi : à la naissance de la métaphore chez Maïakovski. Je n'entendais pas encore que le cœur ressemblât à une chapelle et que l'on pût tenter de sauter hors de soi-même en prenant appui sur ses côtes*.
     Manifestement, c'est peu pour un grand poète d'être seulement poète. Pouchkine, ne l'oublions pas, se désole que les décembristes, bien qu'ils sachent par coeur ses vers, se refusent à l'initier de leurs plans ; l'auteur de la
    Divine Comédie peuple l'enfer de ses ennemis politiques ; lord Byron aide les insurgés grecs dans leur lutte contre les Turcs.
     Il en est de même de Maïakovski : lui non plus n'était pas satisfait d'être seulement poète. Il s'était engagé dans la voie de l'agitation, proche parente de celle de la tribune politique. Rappelons-nous : c'est d'abord un jeune homme qui porte une blouse en velours extravagante, c'est un peintre qui nourrit un penchant pour l'art d'avant-garde, qui écrit des vers clairement inspirés par la peinture française dont il cite explicitement les maîtres :

     Une automobile vient de peindre les lèvres
     D'une femme flétrie d'un tableau de Carrière**

    Et rappelons-nous aussi qu'en même temps c'est un jeune homme qui a beaucoup réfléchi à la révolution, un jeune homme qui a connu la prison, et qui figure dans les fichiers de la police, de face et de profil.
     On envisageait à un moment donné de porter à l'écran
    Pères et fils***.
    le réalisateur devait en être V.E. Meyerhold. Je lui demandai à qui il pensait confier le rôle de Bazarov. Il me répondit :
     - Maïakovski.


    * Voir le poème de Maïakovski, Le Nuage en pantalon (1914)
    ** Extrait d'un poème de Maïakovski intitulé Théâtres (1913)
    *** Il s'agit du célèbre roman d'Ivan Tourgueniev. La réalisation du film en question était prévue pour 1929"