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james blackshaw

  • La carte postale du jour...

    "Le problème de notre temps, c'est que le futur n'est plus ce qu'il a été."
    - Paul Valéry
     

    dimanche 30 août 2015.jpg

     
     
    Je me souviens d'avoir remarqué Lubomyr Melnyk très tardivement, il y a à peine quelques années, sur un disque de James Blackshaw où les deux musiciens se laissaient aller à des compositions fluides, répétitives et minimales, qui m'ont fait penser à certaines pièces de Steve Reich ou plus précisément à ce titre de Philip Glass intitulé Opening, que le cinéaste Bertrand Bonello a par ailleurs utilisé de manière saisissante pour marquer la mélancolie qui enveloppe le protagoniste joué par Jean-Pierre Léaud (dans Le Pornographe).
     
    Je me souviens bien d'avoir été très heureux de constater qu'en 2015, il m'est encore possible de trouver des disques qui me semblent réussis de bout en bout, œuvre d'art presque totale, comme ce disque de Lubomyr Melnyk dont la "musique continuelle" se pare de touches de violon, d'arpèges discrets de guitare, tout cela grâce à l'apport tout en douceur des musiciens Peter Brodenik et Martyn Heine, ce qui fait de ce Corollaries un chef-d'œuvre.
     
    Je me souviens aussi d'avoir bien apprécié le visuel de ce disque, d'autant plus que la pochette extérieure a cette originalité (et même rareté) d'être découpée, laissant apparaître selon la manière dont vous rangez les deux disques vinyles qui s'y trouvent, les dessins ou les textes des pochettes intérieures, et lorsque celles-ci sont sorties, il est possible enfin de découvrir le texte gravé dans l'arrière-fond :
     
    between two floors
    my dreams and yours
    following a friend
    foregoing the end
    from the hammers to the ears
    we invite our fears
    to sing outside
    little spaces turn wide
    and on the first try
    when the keys don’t cry
    we find a place
    time’s only race
    with pockets of light chasing the night
     
    Dans une rentrée littéraire on peut participer à la "grande fête", au risque notoire de penser rugir comme un lion à la découverte d'un livre "fantastique" (ou "le plus étonnant de cette année" comme il est dit de chaque livre dans chaque émission de la Grande Librairie - ça fait beaucoup de livres les plus étonnants de l'année au final...), auquel on prêtera des vertus imaginaires du seul fait que son nom se trouve dans toute la presse généralisée, alors qu'on est simplement en train de bêler comme un mouton (parmi d'autres moutons). Ou alors on peut prendre les chemins de traverse... Chose faite avec ce nouveau livre de François Dominique dont j'avais déjà beaucoup apprécié plusieurs ouvrages : le roman publié il y a quelques années aux éditions Verdier, Solène, le magnifique récit intitulé À présent, Louis-René des Forêts, où il revenait sur sa relation d'amitié avec l'auteur décédé fin 2000, et, plus lointain cette fois, un très bel essai, Maurice Blanchot, premier témoin. Mais revenons à Solène, dont ce nouveau livre, Dans la chambre d'Iselle, est presque la suite. Dans ce roman fantastique, qui se situe dans un futur post-apocalyptique (de grands séismes), après une dictature, après la presque disparition de la race humaine par manque de fertilité, on retrouve sans cesse des liens avec le passé, qui est pour nous, lecteurs, le présent immédiat, comme en page 24 où l'on peut lire : "Cet homme, muré dans son passé, nous représente ce qui décline ; mais son obstination, comme celle de milliers d'autres, nous a valu le progrès qui s'épanouit maintenant."
    François Dominique prend son temps pour nous décrire à la façon d'un Jules Verne la nature telle qu'elle est dans le futur, les habitations, le conflit entre moderne et ancien, les religions disparues qui tentent une réapparition, le capitalisme vaincu, mais il perd aussi son lecteur de façon préméditée en l'entraînant dans des intrigues non résolues, nombreuses tout au long du roman, même si le fil conducteur est l'enfant que Lucy et Franck attendent. Après la naissance, et comme dans Solène, il apparaît d'ailleurs que l'enfance est quelque chose d'inquiétant dans le futur, presque un danger... Et puis le roman est enveloppé de façon permanente par la musique, celle de Beethoven, Tchaïkovski et Ravel, mais celle de l'auteur aussi, qui, d'une plume sobre et soignée, sait accompagner le lecteur dans le futur sans passer par les chemins défoncés par le trop de trafic de la science-fiction telle qu'on la connaît habituellement.
    À l'heure de la "panne de l'imaginaire", où chaque écrivain tente souvent (parfois de manière réussie, tout de même) d'écrire son présent (ou parfois de le décrire, c'est quand ça rate), ce nouveau roman de François Dominique fait office d'ovni littéraire - vous me pardonnerez le kitsch de cette formule, elle est pourtant parfaitement adaptée à ce roman qui, dans la dernière partie, la plus palpitante peut-être, se passe à Genève (pour l'anecdote).
     
    Extrait de Dans la chambre d'Iselle, de François Dominique, publié aux éditions Verdier :
     
    "Dans le bac d'une échoppe, j'avise trois liasses entourées de rubans aux couleurs passées. Un marchand bossu s'approche de moi et murmure sur un ton engageant : "Lettres d'amour, cher monsieur! Très recherché !" Il énonce un prix exorbitant- "Vous plaisantez! C'est bien trop cher! - Vous connaissez l'antique adage qui a survécu à la funeste époque des banques : Ce qui est rare est cher ! Que cherchez-vous ? - Rien, je ne sais pas... Je suis musicien ; la musique est chargée d'histoire, mais je ne cherche pas les traces du passé ; ce qui me fascine en musique, c'est l'avenir immédiat, la phrase musicale qui vient, celle que l'on attend... - Hélas, je n'ai aucune partition manuscrite, cher monsieur. Ça n'existe plus ! Ça ne se trouve pas ! Et ne comptez pas sur moi pour vous dénicher les partitions de l'avenir... Je ne suis pas magicien ! Je suis un simple vendeur de vieux papiers, pour vous servir!" J'écoute à peine le marchand, car une pensée m'obsède : "La musique défile dans le temps", ou bien "la musique défie le temps", ou bien encore "la musique, fille du Temps"... "
     
  • La carte postale du lundi 23 décembre

     

    lundi 23 décembre 2013.jpg

    alors voilà : le prochain nécrophile qui me demande un livre sur ou de Mandela je lui plante le ciseau à friser le ruban (pour cadeau) dans la tête. sinon dans un registre plus calme je suis bien heureux d'écouter les ambiances de James Blackshaw (guitare douze cordes) et Lubomyr Melnyk (piano), tout en lisant la troisième partie de la biographie de Jean Rouaud (à paraître en 2014, merci Alodie pour cette copie en avance!), un auteur qui se penche à la fois sur la guerre 14-18 et sur son éditeur - Jérôme Lindon des éditions de Minuit - : "Mais ses considérations formalistes n'étaient que secondaires pour moi. Je pensais déjà que l'écriture est la transcription fidèle de son auteur. Pour peu qu'on en use honnêtement avec elle, elle est le meilleur bureau de renseignement sur soi. Dans son reflet, je m'étais d'abord senti corseté, j'avais vu mon chant entravé. Comment rendre mon chant plus libre et plus libre mon esprit ? Car c'est la même opération, bien sûr. ce qui ne relève nullement de la rhétorique ou d'un remaniement de la syntaxe, comme le croient ceux qui s'appliquent à faire des phrases en espérant qu'on y verra que du feu (la seule information contenue dans leur livre dit ceci : pourvu que le lecteur ne s'aperçoive de rien - ce qui est souvent le cas). C'est un travail de dépouillement, d'abandon, de reddition, pour lequel il n'y a ni bon ni mauvais profil, ni lignes de défense, ni parades, ni poses. Juste la recherche du rien. Si on s'y adonne, l'écriture livrera alors un relevé précis des étapes de cet affranchissement. Et m'aurait-on alors demandé où je voulais en venir, j'aurais répondu que je voyais très bien, à ceci près que j'avais défini comme le seul art poétique qui vaut la peine : Écrire comme ça me chante. L'écriture aura été le papier carbone de ma vie (le papier carbone était cette pelure colorée, noire de suie ou bleu nuit, qui, glissée entre deux feuilles blanches, permettait de reproduire les gribouillages de l'une sur l'autre). Autrement dit, ce que lisait l'éditeur, c'était ma vie."