"J'ai toujours été fermé, comme écrivain, à l'ambition ou à l'exhibition, à la réputation, à l'enrichissement. Une seule chose a compté pour moi : le plaisir. Ce mot plaisir représente pour moi le moteur de toutes actions humaines."
- Paul Léautaud, Journal Littéraire
Je ne me souviens pas combien de groupes ont saboté leur carrière en voulant répondre aux attentes du "public", en orientant leur musique vers quelque chose de plus "accessible", en mettant de l'eau dans leur vin, quitte à transformer celui-ci en sirop de grenadine, mais je me souviens qu'au milieu du troupeau il y a quelques artistes, de ceux qui méritent vraiment cette appellation, comme Talk Talk, Gravenhurst ou Portishead, font exception, par leur singularité, leur discrétion et beaucoup d'autres vertus encore...
Je me souviens bien du frisson et de la fascination que je ressens à chaque écoute de chaque titre de Portishead, peu importe l'album.
Je me souviens aussi que j'ai adoré ce maxi car on n'y trouve que la perle des perles, à savoir le titre The Rip, pas de remix, pas d'inédit en réalité fond de tiroir, pas de version "live", juste un titre, et une face gravée - un chef-d'oeuvre...
https://www.youtube.com/watch?v=fYLMOw9hn2I
Je suis quelqu'un de chaotique, rien à faire, avec moi le courrier s'empile, j'oublie de l'ouvrir, je prends des numéros de téléphone en omettant d'y ajouter un nom, je garde tout "au cas où" pour finalement tout balancer deux semaines plus tard parce que je ne sais plus quoi en faire et c'est tout pareil avec les papillons de publicités pour les expositions, les pièces de théâtre etc. Et c'est là que j'ai failli bazarder bêtement ce livre dans le carton de récupération de papier, ayant remarqué une police de caractère qui me semblait être celle du MAH ou d'un autre musée, et ce titre, Sans mythologies, imaginant le temps d'une fraction de seconde un curateur voulant faire un "clin d'œil" aux Mythologies de Barthes, et en me persuadant immédiatement que la date devait déjà être dépassée, ce petit cahier publicitaire devenant ainsi inutile... Mais - ouf! -, au dernier moment j'entraperçus le nom de Guillaume Favre pour me rendre compte de l'abomination que j'allais commettre : jeter un livre apporté en mon absence, qui plus est dédicacé par son auteur ! Double abomination même, car ce livre est magnifique. Écrit en deux jours par son auteur visiblement marqué par la fin d'une amitié, la mort de plusieurs proches, la maladie de son amie, ce livre est un acte de bravoure où l'écrivain se met à nu dans un texte vif comme une lettre. Ici nulle "autofiction" mais plutôt un exercice parfaitement réussi de catharsis par l'écriture ; l'envie d'en découdre avec les mots, mais aussi avec le destinataire de ce livre, avec le lecteur sans doute encore. On ne sait pas bien au fond si Guillaume Favre voulait faire de la poésie en prose, orale, ou expérimentale, ou tout cela à la fois, le résultat est là, il est beau et c'est ce qui compte ; l'objet est unique, se lit d'un trait et vous coupe le souffle. Il y a des écrivains qui ont besoin de 450 pages de baratin pour vous parler de littérature, de poésie, d'amitié brisée par le temps, l'usure, l'ennui, eh bien tout ça Guillaume Favre, lui, le fait en 68 pages incandescentes, Sans mythologies, mais avec beaucoup de Gustave Roud, de Chappaz, de Didi-Huberman et de Jaccottet dedans.
Extrait de Sans Mythologies, de Guillaume Favre (publié aux éditions Cousu Mouche) :
"Le roman est forcément plus prosaïque, moins replié sur les mots, on cut, on delete, on ne craint pas les anglicismes, ni les mots blessés, dégoulinants de sang, on jette, on recolle rarement, on enlève les bouts de gras, le surplus, ce qui dépasse, ce qui pend, on tranche, on se méfie de la formule tombeau, cellule du langage, aucune phrase n'est sacrée, tout n'est que récit.
Tyrannie de la narration
L'histoire
Le suspense
Ne jamais relâcher le rythme
Maintenir en haleine
L'écriture, mon sport, mon loisir
Surtout ne pas perdre le lecteur en route
Quel lecteur ?
Mauvaise haleine du récit
(...)"