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vår

  • La carte postale du jour...

    Vous qui prétendez que des bêtes poussent des sanglots de chagrin, que des malades désespèrent, que des morts rêvent mal, tâchez de raconter ma chute et mon sommeil.

    Arthur Rimbaud, extrait de Matin (1873)

     

    vendredi 26 décembre 2015.jpg

    Je me souviens que cette pochette de disque m'a posé comme principal souci de ne pas me photographier moi-même, à cause de son effet miroir.Je me souviens bien d'avoir immédiatement pensé à certains groupes en écoutant ce disque des danois de Vår ; à Joy Division en premier lieu, à Cure (période Faith), à Siglo XX, à Tunnelvision, à d'autres danois bien sûr (Sort Sol et De Må Være Belgiere), à In The Nursery et Death In June des débuts, et aux nombreux clichés qui découlent de ce style quelque part entre le post-punk le plus sombre et le néofolk le plus martial, avec cette obsession pour un idéal jeune et fier (guerrier), ce bouillonnement colérique et romantique à la fois, cette tension qui oscille entre une forme d'extase et un désespoir total, transpirant une tragédie désirée, et puis cette sobriété d'expression qui, au final, saisit l'auditeur.

    Je me souviens aussi d'avoir été enthousiasmé par la production, le son même de ce disque, la maturité qui s'en dégage - surtout lorsque j'ai vu la photo des membres du groupes qu'on croirait encore en pleine adolescence et qui sont pourtant les auteurs accidentels d'une bande son probable des livres de Mishima ou Jean Genet, ceux qui portent en eux une charge homo-érotique puissante, comme sur le charismatique et enlevé Pictures of Today / Victorial, l'un des temps fort de No One Dance Quite Like My Brothers :

    https://www.youtube.com/watch?v=jAFZ0LXuq4A

    Il y a plusieurs beaux et bons livres qui vont paraître à la rentrée de janvier 2016, mais s'il fallait en retenir un tout particulièrement (ou pour l'instant) alors cela serait probablement Martin, de Bertrand Schefer. J'y ai retrouvé cette fausse simplicité que j'avais apprécié dans l'un de ses précédents livres, Cérémonie. Une écriture dite "plate", qui ne l'est pas, évidement, mais dont la forme - sobre -, sert en définitive le fond. Il ne lui faut pas plus de quatre-vingt pages pour dresser le magnifique et tragique portrait d'une amitié de jeunesse que le temps a usé jusqu'à la moelle et que les trajectoires différentes font qu'elle se perd de vue jusqu'à devenir même un produit de pure fiction. Mais cela serait trop bête ici de divulgacher l'histoire et l'enjeu de ce livre qui est profondément émouvant ; qui n'a pas, un jour, voyant au loin une très ancienne connaissance - ou même ce qu'on dénommait "ami" par le passé -, changé de trottoir ou simulé ne pas reconnaître la personne, par peur d'un silence embarrassant, à cause de cet inévitable éloignement, du temps qui a passé et que l'on ne compte plus en année mais en décennie. Et c'est justement ce dont traite Martin, où le narrateur du livre ne veut pas ternir un passé idéalisé, voir fonctionnalisé (par l'écrit et le cinéma), par un présent et un réel par trop décevant. Il n'y aura pas de rencontres ni de retrouvailles, mais que des non-évènements, des non-rencontres et autant de non-retrouvailles... Ce livre sonne juste, c'est chose rare, et l'effet est proche de celui que m'avait procuré par exemple la lecture de Suicide d'Édouard Levé, ou celle de Ce que j'appelle oubli de Laurent Mauvignier, c'est dire (trop, peut-être... mais aussi pas assez tant ce livre est fort).

    Extrait de Martin, de Bertrand Schefer (à paraître en janvier 2016 aux éditions POL) :

    "Je n'ai pas voulu voir qu'il fallait passer à autre chose, je me suis accroché à la jeunesse qui s'enfuyait, que Martin avant figée dans son refus et son déni de tout, et tout est parti en miettes en m'explosant à la figure, parce que celui qui refusait de s'engager et de bouger se détruisait finalement plus vite que nous. Et maintenant j'avais pris sa place, un jour comme celui-ci : j'avais dans les yeux de sa mère dit adieu pour lui à son père. Lui pas revu depuis dix ans ou quinze peut-être, mais avant cela pas revu ce qu'on appelle vraiment depuis vingt ans, lui dont j'avais parlé aux uns et aux autres, des semaines, des mois, des années, dans le secret et en public, dont j'avais ravivé le souvenir chez nos anciens camarades acteurs, dans le contexte brutal et indifférent du cinéma, où tout devient un jour ou l'autre instrument de promotion et de réussite, lui errant sans rien peut-être mort ou fou sans retour, Rimbaud blasé sans œuvre, sur les routes, ailleurs, aura servi de ressort à cette comédie dont je dois maintenant supporter l'échec."