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  • La carte postale du jour...

    "La beauté on sait que ça meurt, et comme ça on sait que ça existe."

    - Louis-Ferdinand Céline, L'Église (1933)

    dimanche 19 juillet 2015.jpg

    Je me souviens qu'Alain Bashung a éveillé mon intérêt avec son album Novice, vers 89/90, parce qu'il avait su s'entourer de musiciens atypiques (pour la chanson française du moins) que j'adulais, comme Blixa Bargeld (Einstürzende Neubauten, Bad Seeds), Dave Ball (anciennement Soft Cell) et Colin Newman (Wire), intérêt avivé deux ans plus tard avec le titre Madame Rêve, dont les pizzicati sont inspirés du morceau In the Wake of adversity de Dead Can Dance, achevant ainsi d'installer Bashung sur un piédestal dont il n'est plus jamais descendu.

    Je me souviens bien que l'un de mes fantasmes eût été que Bashung soit produit par Nigel Godrich qui fit des merveilles avec Radiohead (Ok Computer) et Beck (Sea Change).

    Je me souviens aussi que certains titres de Bleu Pétrole se sont détachés du lot, comme Tant de nuits, co-écrit par Arman Méliès, Joseph d'Anvers et Bashung lui-même, Sur un trapèze, de Gaëtan Roussel, et, surtout, Vénus, qui est pour moi le plus beau titre de cet album, par Arman Méliès et Gérard Manset, dont le texte est magnifique et l'interprétation de Bashung rien moins que sublime :

    Là un dard venimeux
    Là un socle trompeur
    Plus loin
    Une souche à demi-trempée
    Dans un liquide saumâtre
    Plein de décoctions d'acide…
    Qui vous rongerait les os
    Et puis...
    L'inévitable clairière amie
    Vaste, accueillante
    Les fruits à portée de main
    Et les délices divers
    Dissimulés dans les entrailles d'une canopée
    Plus haut que les nues…

    Elle est née des caprices
    Elle est née des caprices
    Pommes d'or, pêches de diamant
    Pommes d'or, pêches de diamant
    Des cerises qui rosissaient ou grossissaient
    Lorsque deux doigts s'en emparaient
    Et leurs feuilles enveloppantes
    La pluie et la rosée
    La pluie et la rosée

    Toutes ces choses avec lesquelles
    Il était bon d'aller
    Guidé par une étoile
    Peut-être celle-là
    Première à éclairer la nuit
    Première à éclairer la nuit
    Première à éclairer la nuit
    Vénus
    Vénus
    Vénus

    https://www.youtube.com/watch?v=YgmzwgdiV_o

     

    Il y a des œuvres qui vous embarquent, d'autres qui vous ramènent. Le dernier film de Podalydès, Comme un avion, m'a embarqué à bord d'un kayak pour ensuite me ramener vers Bashung puisque le film contient plusieurs extraits (joués avec un Ukulélé) de Vénus. D'ailleurs Comme un avion est presque un hommage à ce dernier, comme l'avait été l'album The Something Rain des Tindersticks d'ailleurs ; hommage encore avec ce livre de Gérard Manset au très beau titre : Visage d'un dieu inca. L'écrivain-chanteur y parle de sa relation distante avec Bashung, qui va l'amener à prendre part à l'album Bleu Pétrole dans la composition de quatre titres : Il voyage en solitaire, Comme un lego, Je tuerais la pianiste et Vénus. Manset raconte son amitié, son estime, immense, pour Bashung, leur travail, tout ça dans un langage soigné et tout à lui, parfois presque cocasse, utilisant la phrase longue et sinueuse, bancale même, pour mieux vous perdre. C'est un livre magnifique pour qui sait y entrer, et dont on n'a plus envie de ressortir, relisant certains passages à l'infini, en prenant juste le temps de retourner le vinyle de Bashung qui est, bien sûr, l'accompagnement rêvé de cette lecture non moins rêveuse...

    extrait de Visage d'un dieu inca, de Gérard Manset :

    Mais reprenons : entrer dans cette écoute, donc par les coups d'archet de quelque synthétiseur apparu là, dans l'ordre, pour le relief d'une musicalité nouvelle. Il n'était pas à l'aise, Alain, ce n'était pas son terril, ce paysage trop évasif, trop évasé et trop finement ciselé. Puis cela s'est dégagé... C'est in vivo que j'ai pu saisir l'activité d'un tel volcan : Vénus. Je les ai vues et eues d'un coup, prises en pleine face, ces pommes et pêches d'or et de diamant roulant au fond d'un val qui pouvait être devenu pour un instant celui de Rimbaud. Brûlure d'une sensation qui signifiait la profondeur et la proximité. N'était-ce l'amour ? dont le visage ami se transformait en un visage unique qui flamboyait : l'elfe prenait position, ses quartiers dominants... que chacun avait connus dans leur liquide fœtal, endormi en fœtus, rêvant de ne plus jamais revenir à la réalité ni voir le jour sans la tenir par la main, cette fée symbolisée par ses fruits légendaires, sans l'avoir avec soi, cette sœur des séminaux liquides..."