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  • La carte postale du jour...

    "Il faut se réserver une arrière-boutique toute nôtre, toute franche, en laquelle nous établissons notre vraie liberté et principale retraite et solitude"
    - Montaigne, Essais, Livre I

    jeudi 5 mars 2015.jpg

    Je me souviens que lorsque j'ai commencé à faire tourner les platines (vinyles) au Midnight - c'était l'été '89 -, le patron du club (Jean-Pierre) m'a emmené dans la réserve de disques adjacente au local de DJ, une pièce remplie de quelques milliers de vinyles - utilisés depuis une vingtaine d'années pour certains -, et que j'avais pu y faire mes courses et y trouver, entre autres bonnes pioches, le premier album de Visage contenant le titre Fade To Grey qui, après que deux jeunes filles en noir me l'aient réclamé (coucou Gabrielle et Sylvie!), est redevenu pour les deux années qui suivirent un incontournable des vendredis et / ou samedis soirs.

    Je me souviens bien d'avoir été très tôt informé que Steve Strange, le leader de Visage, groupe formé par des musiciens venus de différentes formations - Dave Formula de Magazine, John McGeogh de Magazine lui aussi mais qui allait rejoindre Siouxsie et ses Banshees, Billy Currie et Midge Ure d'Ultravox, et Rusty Egan, le DJ du Blitz, où se croisait tout ce beau monde -, Steve Strange donc avait tourné dans le clip d'Ashes to Ashes, sur la demande de Bowie, ça lui donnait (à mes yeux en tout cas) une réelle crédibilité, ça asseyait le personnage, ça en jetait, et tant mieux, parce qu'en dehors de Fade to Grey j'ai toujours trouvé que Visage était un groupe creux (à part le titre Mind of a Toy et la super reprise de In the Year 2525 bien sûr).

    Je me souviens aussi d'avoir été assez ému lorsque j'apprenais la mort de Steve Strange il y a deux semaines, de revoir des images d'archives du Blitz et de Steve Strange lui-même, star d'un "culte sans nom" (comme les "enfants du Blitz" aimaient à se décrire pour échapper à toute étiquette*), le temps d'un hit, d'avoir brillé de tant de couleurs pour chuter, tel un Icare des temps moderne, et disparaître, tout en passant par les cases alcoolisme, vol à la tire et peine de prison avec sursis, addiction aux drogues, échec de ses nouveaux projets artistiques (dont une resucée orchestrale de Fade to Grey en 2014), échec de se refaire une nouvelle identité, dèche etc. - reste un titre, magnifique, hymne du début des années 80 et de la vague synthétique qui frappa l'Angleterre et l'Europe toute entière (première place des charts en Suisse) :

     Sent la pluie comme un été Anglais
     Entends les notes d'une chanson lointaine
     Sortant de derriere d'un poster
     Espérant que la vie ne fut aussi longue

     Aaah, we fade to grey (fade to grey)
     Aaah, we fade to grey (fade to grey)

     Feel the rain like an English summer
     Hear the notes from a distant song
     Stepping out from a back shop poster
     Wishing life wouldn't be so long

     Devenir gris

    https://www.youtube.com/watch?v=Utjd76czUgI

     

    Dans le film Les Prédateurs, David Bowie - qui partage l'écran avec Catherine Deneuve, avec qui il forme un couple de vampire - déclare en substance (je le fais de mémoire, c'est peut-être un peu inexact, mais le sens y est) : "Il n'y a que les essais scientifiques pour être aussi mal écrit" ; et bien ce nouvel essai de David Le Breton lui donne tort car il est passionnant de bout en bout, limpide et très bien écrit. Les exemples tirés de la littérature sont légions ; il cite Blanchot, Kundera, Pessoa (se multiplier pour n'être personne), Robert Walser et Paul Auster, et cerne ainsi dans le détail cette envie de détachement, de disparition volontaire qui frappe certaines personnes, que cela soit par le sommeil, ou la drogue, l'anorexie ou encore l'immersion dans le trop d'activités. Ce livre vous donnera sans doute envie de (re)lire de nombreux autres ouvrages, et surtout La Défense Loujine de Nabokov (livre qui est peut-être le pendant du Joueur d'Échec de Zweig), où le principal protagoniste vit à travers le jeux et où "il ne s'apercevait de son existence qu'à de rares moments (....). Mais, d'une manière générale, il n'avait avec la vie que des rapports nébuleux, elle exigeait de lui si peu d'efforts".

    Riche, concis, et à lire pour mieux comprendre cette nouvelle "tentation contemporaine", qui frappe notamment le Japon avec ses "évaporés" ; des dizaines de milliers de personnes chaque année, qui,  après une faillite personnelle, décident de "disparaître" ...

    extrait :

     

    "Les hommes disait en substance Kant, ne sont pas faits de ces bois durs et droits dont on fait les mâts. S'il y a parfois au fil d'une vie, pour certains, une sorte de fidélité à soi-même, une cohérence, d'autres connaissent des ruptures improbables, ils deviennent méconnaissables à eux-mêmes et aux autres, plusieurs vies différentes leurs échoient. Mais chaque existence au départ, même la plus tranquille, contient un nombre infini de possibilités dont chaque instant ne cesse de redéployer les virtualités."

     

    * à ce sujet lire le sympathique de Pierre Robin : Groupes pop à mèches 1979-1984 (tout juste paru chez Actes Sud).

  • La carte postale du jour...

    Aucun homme, aucune femme ne doit justifier son anthologie personnelle, ses choix canoniques. L'amour ne se justifie pas par l'argumentation."
    - George Steiner, Réelles présences

    dimanche 1 mars 2015.jpg

    Je me souviens d'avoir découvert cette collection des LateNightTales au milieu des années 2000, j'étais disquaire et mon collègue du rayon électro (coucou Stéphane!) appréciait ces compilations, me semble-t-il, et même s'il m'a fallu du temps, j'ai fini moi aussi par affectionner ce concept qui laisse à un groupe le soin de faire une anthologie de ses goûts musicaux, ses disques et ses titres préférés, puis d'y apporter une touche personnelle en reprenant une chanson à sa manière.

    Je me souviens bien d'avoir été très surpris par les choix des Américains de MGMT, que je connaissais pour leur hit Kids et rien d'autre, d'avoir apprécié le fait qu'ils évitaient de compiler ce qui se ressemble, pour réunir plutôt ce qui se rassemble autour d'une certaine esthétique sonore, de Disco Inferno au Spacemen 3, en passant par le génial Red Indians de Felt (qui rappelle un peu All my colours d'Echo & The Bunnymen!), le magnifique et langoureux Ocean des Velvet Underground ou encore le sobre mais efficace titre de The Durutti Column : For Belgian Friends, ainsi qu'un nombre de groupes et de musiciens que je ne connaissais pas d'ailleurs, ou peu, autant dire que cette anthologie remplit tout ce qu'on attend d'elle, à savoir qu'elle nous ouvre le jardin secret de ses concepteurs et nous guide dans une flânerie ici bien agréable.

    Je me souviens aussi qu'après avoir découvert qu'ils avaient repris All We Ever Wanted, probablement mon morceau préféré de Bauhaus, MGMT ont fait un bon sur l'échelle de l'estime que je leur portais, passant de peu à beaucoup ! (et la vidéo est très sympa)

     

     All we ever wanted was everything
     All we ever got was cold
     Get up, eat jelly, sandwich bars and barbed wire
     And squash every week into a day

    https://vimeo.com/32590845

     

    Comme les compilations, les revues sont capitales pour cultiver la curiosité, nous amener vers de nouveaux artistes, de nouveaux écrivains, d'autres livres à lire, ou à relire parfois. Ainsi Fario réalise depuis des années déjà un captivant travail en publiant régulièrement des numéros qui allient l'intelligence du contenu à une belle esthétique, faisant de ces quelque 480 pages un véritable livre de collection pour toute bonne bibliothèque (il y en a encore, et même plus qu'on ne le croit). Les admirateurs de Gustave Roud comme moi avaient trouvé, dans un précédent numéro, les photographies de cet écrivain suisse adepte de la randonnée en plaine, et dans ce dernier numéro, le quatorzième, on découvrira des textes de Baudoin de Bodinat, Lionel Bourg et Bernard Noël, pour n'en nommer que quelques-uns, mais aussi des poésies, en bilingue (!), d'Ivan Bounine, et bien sûr l'habituelle question, en fin de revue : Où écrivez-vous ? posée cette-fois à Denis Grosdanovitch, qui s'en explique dans un texte intime et joyeux. Autant dire que cette revue est littéraire, qu'elle est un bon antidote à la bêtise actuelle, qu'elle invite à prendre son temps aussi. À noter, et cela pour vous avoir par les sentiments, que Fario vient de se faire sucrer son aide du CNL (Centre National du Livre), et que, du coup, elle ne peut compter que sur ses lecteurs - le bon moment pour découvrir cette revue ! 

    Outre l'excellent (quoiqu'un peu triste) éditorial de Vincent Pélissier, on trouve dans les premières pages de ce numéro un extrait d'un magnifique texte de Paul Valery (que vous pourrez, à défaut, retrouver dans son recueil paru en folio : Variété III, IV et V), et que je ne peux m'empêcher de reproduire à mon tour tant il est bon (et qui date de 1935!) :

     

    "Commençons donc par l'examen de cette faculté qui est fondamentale et qu'on oppose à tort à l'intelligence, dont elle est au contraire, la véritable puissance motrice ; je veux parler de la sensibilité. Si la sensibilité de l'homme moderne se trouve fortement compromise par les conditions actuelles de sa vie, et si l'avenir semble promettre à cette sensibilité un traitement de plus en plus sévère, nous serons en droit de penser que l'intelligence souffrira profondément de l'altération de la sensibilité. Mais comment se produit cette altération ?
     Notre monde moderne est tout occupé de l'exploitation toujours plus efficace, plus approfondie des énergies naturelles. Non seulement il les cherche et les dépense, pour satisfaire aux nécessités éternelles de la vie, mais il les prodigue, et il s'excite à les prodiguer au point de créer de toutes pièces des besoins inédits (et même que l'on n'eût jamais imaginés), à partir des moyens de contester ces besoins qui n'existaient pas. Tout se passe dans notre état de civilisation industrielle comme si, ayant inventé quelque substance, on inventait d'après ses propriétés une maladie qu'elle guérisse, une soif qu'elle puisse apaiser, une douleur qu'elle abolisse. On nous inocule donc, pour des fins d'enrichissement, des goûts et des désirs qui n'ont pas de racines dans notre vie physiologique profonde, mais qui résultent d'excitations psychiques ou sensorielles délibérement infligées. L'homme moderne s'enivre de dissipation. Abus de vitesse, abus de lumière, abus de toniques, de stupéfiants, d'excitants... Abus de fréquences dans les impressions ; abus de diversité ; abus de résonance ; abus de facilités ; abus de merveilles ; abus de ces prodigieux moyens de déclenchement, par l'artifice desquels d'immenses effets sont mis sous le doigt d'un enfant. Toute vie actuelle est inséparable de ces abus. Notre système organique, soumis de plus en plus à des expériences mécaniques, physiques et chimiques toujours nouvelles, se comporte, à l'égard de ces puissances et de ces rythmes qu'on lui inflige, à peu près comme il le fait à l'égard d'une intoxication insidieuse. Il s'accomode à son poison, il l'exige bientôt. Il en trouve chaque jour la dose suffisante."