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Manoeuvres de diversion - Page 37

  • La carte postale du jour ...

    mercredi 5 février 2014.jpg

    bonjour ô monde cruel... la bande sonore angoissante des Tindersticks colle à merveille avec ma lecture du moment, à savoir Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal, un petit livre beau et tragique ( je recherche une copie du film - avec Noiret - désespérément ! ) : "Les ouvriers déchiraient les paquets, en tiraient des livres tout neufs, arrachaient les couvertures et jetaient leurs entrailles sur le tapis ; et les livres, en tombant, s'ouvraient ça et là, mais personne ne feuilletait leurs pages. C'était du reste bien impossible, la chaîne ne souffrait pas d'arrêt comme j'aimais à en faire au-dessus de ma presse. Voilà donc le travail inhumain qu'on abattait à Bubny, cela me faisait penser à la pêche au chalut, au tri des poissons qui finissent sur les chaînes des conserveries cachées dans le ventre du bateau, et tous les poissons, tous les livres se valent... Enhardi, je me hasardai à grimper sur la plate-forme qui entourait la cuve ; oui, vraiment, je m'y promenais comme à la brasserie de Smichov où l'on brasse en une fois cinq cents hectolitres de bière, appuyé à la rampe comme sur l’échafaudage d'une maison en construction je baissais les yeux sur la salle ; comme dans une centrale électrique, le tableau de commande brillait d'une dizaines de boutons de toutes les couleurs, et la vis tassait, pressurait ces rebuts avec autant de force que lorsqu'on serre un ticket de tram entre ses doigts sans y penser. Épouvanté, je regardais autour de moi ; le soleil éclairait les vêtements des ouvriers, leurs pulls, leurs casquettes se perdaient dans une débauche de couleurs, criardes comme les plumes d'oiseaux étranges et bariolés, des perroquets, des loriots ou des martins-pêcheurs. Ce n'était pas cela qui me glaçait ; en l'espace d'une seconde, je sus exactement que cette gigantesque presse allait porter un coup mortel à toutes les autres, une ère nouvelle s'ouvrait dans ma spécialité, avec des êtres différents, une autre façon de travailler. Fini les menues joies, les ouvrages jetés par erreur ! Fini le bon temps des vieux presseurs comme moi, tous instruits malgré eux ! C'était une autre façon de penser... Même si l'on donnait, en prime, à ces ouvriers un exemplaire de tous les chargement, c'était ma fin à moi, la fin de mes amis, de nos bibliothèques entières de livres sauvés dans les dépôts avec l'espoir fou d'y trouver la possibilité d'un changement qualitatif. Mais ce qui m'acheva, ce fut de voir ces jeunes, jambes écartées, main sur la hanche, boire goulûment à la bouteille du lait ou du coca-cola ; elle était bien finie, l'époque où le vieil ouvrier, sale, épuisé, se bagarrait à pleines mains, à bras-le-corps, avec la matière ! Une ère nouvelle venait de commencer, avec ses hommes nouveaux, ses méthodes nouvelles et, quelle horreur, ses litres de lait qu'on buvait au travail alors que chacun sait qu'une vache préférait crever de soif plutôt que d'en avaler une gorgée."

  • La carte postale du jour ...

    samedi 1 février 2014.jpg

    avec Amiina et cet album intitulé Puzzle, sophistication et épure se marie dans un style qui est unique car il est le leur, bricolage de génie, virevoltant. Je retrouve cela avec Chevillard et son abécédaire où les mots rares et la phrase longue serve la cause de la singularité littéraire :"aussi étonnant que cela paraisse, la fantaisie, la folie, une forme de baroque s'épanouissent mieux dans les miniatures. La vie même n'est pas la somme de nos faits et gestes (ces os brandis), de nos grands emportements spectaculaires, elle est d'abord constituée d'atomes, de cellules, de molécules. Une phrase ramassée comme celle de Ramón Gómez de la Serna - par exemple la main est une pieuvre qui cherche un trésor au fond des mers - se déploie dans les têtes pensives, invite au voyage mieux que les milles pages où tout est dit, confisqué, verrouillé comme le monde même, sans issue.
    Je voudrais aussi que l'on cesse de confondre le raffinement de la forme et le maniérisme qui, lui, en effet, est toujours ridicule. Mais certains s'imaginent encore qu'un bloc de pages mal dégrossi arraché au réel par une brute vaudra toujours mieux que la minutieuse intervention du lettré, comme si ce dernier ne connaissait jamais du monde que les boiseries de son cabinet. Comme s'il existait encore des cabinets en boiseries ! Comme si la subtilité était un vice de l'intelligence ! J'aime citer cette remarque de Gombrowicz qui à mon sens règle la question : "Tout ce qui est pur en fait de style est élaboré". Sachant que cette sophistication qui est un autre nom du style peut être dans le tour d'esprit de l'écrivain et sa phrase, par conséquent, sortir tout faite de sa fabrication prodigieuse, immédiatement juste."

  • La carte postale du jour ...

    Todorov, Nick Cave, Assises du Roman, Antonio Muñoz Molina

    commencer la matinée en bonne compagnie... un café, Nick Cave chante "As I sat sadly by her side / At the window, through the glass / She stroked a kitten in her lap / And we watched the world as it fell past" et que je découvre ce bel entretien de Tzvetan Todorov et Antonio Muñoz Molina dans les Assises Internationales du Roman de 2013 : " T.T. : ... je voudrais dire quelques mots sur le roman de Muñoz Molina. Ce ne sera pas notre seul sujet de conversation, c'est la raison pour laquelle je voudrais commencer par lui. Aujourd'hui, nous évoquerons surtout son côté roman historique, nous éclairant sur un épisode de l'histoire de l'Espagne et de l'Europe. Je voudrais dire à ceux qui ne l'ont pas encore lu* que c'est une merveilleuse expérience de lecture qui vous attend au sortir de notre rencontre. Il s'agit, certes, d'un roman historique, mais de bien plus que cela. Ce roman raconte l'une des plus belles histoires d'amour qui soit donnée à lire dans la littérature récente, d'autant plus qu'Antonio Muñoz Molina a su la présenter du point de vue de l'homme, de la femme et de l'épouse trompée. Il est exceptionnel d'avoir su se placer à toutes ces positions à la fois, je trouve cela remarquable. La richesse du roman ne s'arrête pas là, ce n'est pas seulement un roman historique et un roman d'amour, c'est aussi un roman métaphysique, si j'ose dire, parce que ce livre soulève la question de ce qui constitue l'identité de l'individu, le mélange inextricable d'impostures et d'authenticité qui compose chacun de nous. De même, il engage une méditation sur le temps qui nous transforme et qui pourtant nous échappe.Le résultat final est un roman polyphonique, un roman total comme on voudrait qu'il y en ait davantage. J'arrête ici mon éloge, nullement excessif.
    A.M.M. : Je vais rougir, merci."

    * Dans la grande nuit des temps d'Antonio Muñoz Molina (Seuil 2012, Points poche 2013)

  • La carte postale du jour ...

    samedi 25 janvier 2014.jpg

    il y a l'art qui ne se réclame pas comme tel mais plutôt comme un bricolage pour amateurs de chemin de traverse. Il est des artistes des bas-côtés, rarement cités, peu exposés au feu de la rampe et qui s'apprécient en cachette ; Il en est ainsi de cet album mystérieux de Cluster & Eno qui est la bande sonore la plus adaptée à l'une des meilleures découvertes du moment, que je dois à Denis Lavant qui me l'a conseillé, et à l'Âge d'Homme qui a eu la très bonne idée de le publier. Znorko est à découvrir, c'est beau, drôle, mélancolique, tendre, enfantin, rural et urbain à la fois. C'est, comme son nom l'indique, une Zoologie des faubourgs et j'y lis, amusé : "Il y a quelques années, un livre est apparu sur l'étal des librairies. Il s'appelait "Cabanes" ; une sorte de catalogue des édifices bricolés par les poètes du comportement, en un mot des gens simples. Le livre, pourtant à gros tirage, a été épuisé en quelques jours. Le monde entier l'attendait !
    Dans le rayon architecture des grandes boutiques, on me disait non, rupture de stock.
    Dépité, je ne manquais pas de remarquer la pile de beaux livres consacrés aux vieilles demeures rénovées par la jeune génération et qui s'entassaient sur le chariot, destination le pilon.
    Je l'ai acheté au marché noir "Cabanes", au double de son prix. Il n'est plus à vendre, je le garde pour tout à l'heure.
    Quelques jours auparavant, le journal La Provence consacrait un article sur les tombeaux du cimetière Saint-Pierre à Marseille et ses monuments souvent finement sculptés par des gens de talent, ces caveaux grands comme des studios T1, ces œuvres ombragées de cyprès jadis traquées par l'acheteur ne trouvent aujourd'hui plus preneur.
    Les caveaux comme les vieux meubles n'ont plus de client, tant mieux, car on l'aura compris, l'enfant réclame la cabane et, dans le dictionnaire du voyage il découvre : la yourte, le gourbi, la paillote... ses joues se fendent d'un sourire, la santé s'améliore, il n'a plus besoin de viande de cheval, il est sur son dos pardi, et au galop.
    À donf!"

  • La carte postale du jour ...

    mardi 22 janvier 2014.jpg

    Il y a un côté Talking Heads chez Tirez Tirez, mais avec une véritable attitude minimaliste qui lorgnerait vers le dépouillement glacial de certains titres de Joy Division ; d'ailleurs sur Razorblade les états-uniens partagent le même désenchantement post-punk que les mancuniens "So you're tired of the rat dance, the mundane, common place, the same old crowd (is much too loud) and the same hangouts". Cela répond presque au narrateur d'Austerlitz du (très) regretté W.G.Sebald : "Pour moi le monde se terminait à la fin du XIXième siècle. Je ne m’aventurais pas au-delà, même si dans l’objet de mes études – l’histoire de l’architecture et de la modernité au siècle de la bourgeoisie – tous les signes convergeaient vers une catastrophe dont les linéaments déjà se dessinaient."