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Manoeuvres de diversion - Page 35

  • La carte postale du jour ...

    "Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors ; voire et quand je me promène solitairement en un beau verger, si mes pensées se sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps, quelque autre partie je les ramène à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude, et à moi.
    Nature a maternellement observé cela, que les actions qu'elle nous a enjointes pour notre besoin nous fussent aussi voluptueuses ; et nous y convie, non seulement par la raison, mais aussi par l'appétit : c'est injustice de corrompre ses règles." Montaigne, "De l'expérience", Essais, Livre III (1588)

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    Joy of Life fait partie de cette légion de groupes formés dans la continuité de Joy Division, étant plongée dans l'ombre de ces derniers et pratiquant ainsi une musique qu'en cette période (84-88) de moins en moins de personne n'avait envie d'entendre. Si son nom fait moins référence au livre éponyme de Zola qu'à une des vocalistes (difficile de dire "chanteuses" quand même) du groupe punk Crass - Joy de Vivre (très joli) - la musique de Joy of Life explore tout les clichés de la musique post-punk tendance gris sibérien - voix grave, basse en avant, guitare jouée à la lame de rasoir, rythmique martiale, synthé glacial -, mais dispose de tout le talent nécessaire à nous la rendre sympathique. On croirait d'ailleurs que les paroles sont des vulgarisations issues d'un recueil de Nietzsche, ou plus encore de Cioran, notamment sur le martial Warrior Creed où l'on peut entendre : "I have no home: I make awareness my home. I have no life and death: I make the tides of breathing my life and death. I have no divine powers: I make honesty my divine power. I have no means: I make understanding my means. I have no secrets: I make character my secret." ;

    Et de la joie de vivre aux odes à la Nature et à l'Homme de Giono, il n'y a qu'un pas. Écrivain de la terre et de "l’écho en soi de la souffrance de l’autre", j'admire Giono et plus particulièrement son recueil de nouvelles au titre évocateur : Solitude de la pitié, d'où je tire un extrait du texte le plus fantastique de tous - "Prélude de pan" - :

    "ça virait, ça tournait.
     On avait de la poussière jusqu'au ventre, et la sueur coulait de nous comme de la pluie, et c'était sur le parquet de bois un tonnerre de pieds, et on entendait les han, han, du gros Boniface, et les tables qui se cassaient, et les chaises qu'on écrasait, et le verre des verres et des bouteilles qu'on broyait sous les gros souliers avec le bruit que font les porcs en mangeant les pois chiches et il y avait une épaisse odeur d'absinthe et de sirop qui nous serrait la tête comme dans des tenailles.
     À vrai dire, dans tout ça, l'Antoine n'était pas pour grand'chose. Au milieu de tout ce vacarme, on n'entend plus sa musique. Elle était perdue, dans tout ça. On le voyait seulement au hasard des virevoltes, qui brassait son instrument avec la rage qu'on mettait, nous autres, à danser. ça n'était donc pas la musique qui nous ensorcelait, mais une chose terrible qui était entrée dans notre cœur en même temps que les regards tristes de l'homme. C'était plus fort que nous. On avait l'air de se souvenir d'anciens gestes, de vieux gestes qu'au bout de la chaîne des hommes, les premiers hommes avaient faits.
     ça avait ouvert dans notre poitrine comme une trappe de cave et il en était sorti toutes les forces noires de la création. Et alors, comme maintenant on était trop petit pour ça, ça agitait notre sac de peau comme des chats enfermés dans un sac de toile. C'est raconté à ma manière, mais je n'en sais pas plus ; et puis, c'est déjà bien beau de pouvoir vous le dire comme ça, tiré du mitan de cette chamade.
     La colombe s'était posée sur l'épaule de l'homme. Elle caressait du bec son aile malade.

    On dansait, comme ça, depuis, qui sait ? On ne sais pas.
     Et, tout d'un coup, je sentis monter au fond de moi comme une fureur ; l'abomination des abominations."

  • La carte postale du jour ...

    "La lumière a été verte, puis boyau de lièvre, puis noire avec cette particularité que, malgré ce noir, elle a des ombres d'un pourpre profond." Jean Giono, Un roi sans divertissement (1947)

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    Au milieu des aboiements, des grognements de chiens, des sonneries de téléphones, de craquements, des salves au bruit sec et terrible de mitraillettes, des klaxons de voitures, il est des fragments musicaux d'une innocence feinte qui illuminent l'opacité fascinante de cet album de Psychic Tv ; sur The Orchids lorsque Genesis chante "When all the numbers swim together / And all the shadows settle / When doors forced open shut again / A flytrap and a petal / My eyes burn and claws rush in to fill them / And in the morning after the night / I fall in love with the light" c'est beau comme un Sunday Morning des Velvet Underground. J'ai d'ailleurs rarement écouté un album qui sonne aussi bien plus de trente ans après sa sortie...

    Cette vision artistique, cette quête du dépassement par les bas-côtés, beaucoup d'éditeurs l'ont partagées, souvent de façon chaotique mais toujours avec cette fièvre qu'est la passion ; c'est avec un émerveillement certain que je découvre ainsi, dans le livre de François Dosse : Les hommes de l'ombre, les portraits de Christian Bourgois, Jérôme Lindon ou encore José Corti, dont je retiens cette déclaration à propos des livres de Julien Gracq, l'auteur phare de la maison d'édition Corti :

    "J'ai été content de voir, ces temps-ci, que le Beau Ténébreux intéressait les jeunes. J'ai reçu à ce sujet de curieuses lettres. Ces jeunes gens avec l'impétuosité de leur âge, m'introduise dans leur vie intérieure et me posent d'embarrassantes questions. Cela me confirme un peu ce que j'avais déjà lu quelque part, que la jeune génération ne cherche plus dans la littérature une distraction, mais plutôt une solution aux problèmes qu'elle se pose. C'est assez intimidant."

  • La carte postale du jour ...

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    peut-être le meilleur album de Cocteau Twins et son énigmatique et charismatique chanteuse Liz Fraser, surtout sur Loreleï lorsqu'elle chante "Can't look in, Guilty boy, guilty girl, Cause you're both cursed, Lift up your toes in my mouth, We'll make love and we can go" alors que je me plonge en cette belle journée dans la relecture de 7 femmes, magnifique collection de portraits d'écrivaines par Lydie Salvayre dont j'apprécie tant les livres :

    "Emily Brontë : "une femme très jeune et qui a l’audace de questionner l’énigme du Mal."
    Djuna Barnes : "elle y mit de sa vie ce qu’il fallait. [..] Elle y mit enfin son sens de l’élégance, son ironie, sa brutalité et ses lancinantes désillusions."
    Sylvia Plath, dominée par son mari le poète Ted Hughes : "Vivre et créer sont pour elle, décidément, des entreprises colossales. Comment trouver un équilibre entre les enfants, les sonnets, l’amour et les casseroles sales ?"
    Colette : "elle déclare à qui veut l’entendre qu’elle n’a pas la vocation, qu’elle n’est pas faite pour écrire, mais alors pas du tout, qu’elle n’aime pas ça, qu’écrire exige une patience dont elle est dépourvue."
    Marina Tsvetaeva : "Seul ce dont personne n’a besoin a besoin de poésie." Ce cri qui donne le frisson fut celui d’une écorchée vive qui affirma, avec une intransigeance folle, que là où il y avait la poésie il y avait le monde."
    Virginia Woolf : "Il est dans ma nature de n’être jamais assurée de rien; ni de ce que je dis, ni de ce que disent les autres, et de toujours suivre aveuglément, instinctivement, avec l’impression de franchir d’un bond un précipice, l’appel de … l’appel de …"
    Ingeborg Bachmann : "elle ne recule devant rien dans ses pensées [...]. Elle est à cent pour cent dans ses poèmes"."

  • La carte postale du jour ...

     

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    si 1984 évoque Orwell, c'est aussi l'année où disparurent Henri Michaux, François Truffaut et Julio Cortázar dont je découvre la tombe dans ce beau livre de Cees Nooteboom : Tumbas, l'équivalent des "tombeaux" en musique. "Le lecteur devant la tombe de son poète, voit ce que nul autre ne voit" écrit l'écrivain hollandais, alors que Guidon Kremer, dont l'interprétation avec la Kremerata Baltica de "Darf Ich..." d'Arvo Pärt me transporte, disait pour sa part "...Words irritate. Gestures mislead. Emotions dissolve. Only sounds speak a language that might be understood. If one open the heart, would there be someone receptive enough ? But who is listening ? Who is able to feel it ? Often i do ask myslef, where does heartbreak identical to mine exist ? And the attempt of an answer is : out there, on the other end of my own sound". Et il est beau de lire ces lignes sur Cortazar et sa compagne Carol Dunlop de la plume de Nooteboom, à propos du livre "Les autonautes de la cosmoroute ou un voyage intemporel Paris-Marseille" :

    "Les dernières photos du livre sont celles de leur arrivée, "épuisés, mais vainqueurs". "Ce fut, écrit-il dans sa postface, un jeu pour l'Oursine et le Loup, et ce fut le cas pendant trente-trois jours fantastiques." Puis vient le post-scriptum de 1982 : "Lecteur, tu le sais peut-être déjà, Julio, le Loup, finit et compose seul ce livre qui fut vécu et écrit par l'Oursine et par lui, comme un pianiste joue une sonate, les mains unies dans un même souci de rythme et de mélodie." Il dit qu'après leur retour, ils ont repris leur "vie militante" et sont parti au Nicaragua pour participer à la lutte de "Ce petit peuple qui, infatigablement, poursuit sa route vers la dignité et la liberté". Puis ils rentrèrent à Paris, pleins de projets : finir leur livre et céder leurs droits d'auteur au peuple du Nicaragua. Deux mois plus tard elle entreprenait ce voyage solitaire "où, dit-il, je ne pouvais plus l'accompagner, et le 2 novembre elle s'échappa d'entre mes mains comme un filet d'eau, sans accepter encore que les démons aient le dernier mot". Sur la dernière page, un dessin gracile, avec une route qui monte vers les nuages, un minibus Volkswagen ailé, et tout en haut, du côté du soleil et du ciel, quelque chose qui doit être un ange."

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    pour moi, deux évènements importants se sont produits en 1971 : ma naissance, dont on aurait pu se passer, et l'enregistrement de cet album de Neu dont il est, au contraire, difficile de se passer. "Motorik", lancinant, expérimental, répétitif, ambiant souvent, dérangeant parfois, ce disque aux surprises sonores infinies est la preuve - pour citer Baudelaire - qu'il faut plonger "au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau". Le titre Weissensee, d'ailleurs, avec son tempo lent où s'accroche une basse lancinante, fait merveille en cette journée trop grise où je profite d'un congé pour lire Cannibale lecteur, de Claro, où je tombe sur ce joli passage :

    "Dès que j'ouvre un roman, j'attends de lui qu'il me dise : écoute, je suis autre chose, je suis la poésie perdue et la technique impossible, je suis le commentaire déraisonné et la description infinie, je suis ailleurs, un allié - et non qu'il me dise : Regarde, je suis en train d'aller où je vais et où je t'annonce que je vais.
    Alors, non, je n'aime pas les livres que je sais que je ne lirai sans doute pas. Et si d'aventure, par insouciance ou défi, je m'y aventure, j'en épuise l'absence de charme en même temps que croît ma rage de n'y point trouver un peu de ce bouillonnement qui m'anime.
    "Tu ne sais pas ce que tu rates", dit la doxa, qui n'est pas heureusement que doxa. Bien sûr. Mais, ô lecteur, entre dans une librairie, une vraie, une librairie qu'à sculptée un libraire à force de patience, de passion et de grands éclats de rire, ouvre un livre, entends le chant riche et soutenu de l'auteur qui a enfin trouvé demeure et tu auras gagné tes galons d'explorateur."