alors que Michael Gira des Swans chante "when, when we were young, we had no history, so nothing to lose", Roland Jaccard écrit dans cette biographie où l'on croise de nombreux et sympathiques nihilistes "1961, l'année de mes vingt ans. en ce temps-là, Elvis Presley et Allen Ginsberg étaient les rois du sentiment et le mot amour avait la même force que le mot tuer. j'en faisais l'expérience. Leonard Michaels aussi. je ne savais rien de lui. il aura fallu un demi-siècle pour que je découvre son amour pour Sylvia, pour que je lui dise : désolé, mais votre roman (il s'intitule Sylvia), c'est moi qui aurait dû l'écrire."
Manoeuvres de diversion - Page 44
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La carte postale du jour ...
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La carte postale du jour ...
alors que Blixa chante "wer bin ich in einer anderen sprache? kommen die metaphern mit mir mit", François Dominique écrit "nous sommes là, tous, dans le récit, dévoilés-secrets, fuyants, immobiles, vertigineux, dans le quotidien toujours moment final, tous, inspirés, ivres, en détresse, portés plus haut comme à la mort, ou courbés, chacun tourné vers un autre, dans un inépuisable respect, parlés, lus, inséparables personnes, la métamorphose impossible ; notre beauté".
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Manifestation de notre désintérêt, par Jean Rouaud
"longtemps on a pensé que la seule voie pour corriger les états désastreux du monde était de s'emparer des commandes du pouvoir. de là, appuyant sur les boutons et actionnant les manettes, il serait possible de modifier la figure des choses, réduire l'injustice, éradiquer la misère. et quand la prise de pouvoir semble une perspective trop lointaine on invente de se glisser dans ses rouages pour le subvertir de l'intérieur. mais rien à faire. on ne se subvertit que soi-même."
Le livre est petit, l'écriture soignée, d'une intelligence vive, ça respire la poésie, un certain romantisme. On serait presque tenté de le comparer au petit livre à succès de Stéphane Hessel mais cela serait manquer d'originalité. Pour ma part le livre de Jean Rouaud m'a surtout procuré la même émotion que le petit essai intitulé La taille de l'Homme, de notre grand écrivain suisse-romand Ferdinand Ramuz, qui écrivait : "il ne suffit pas de fuir, il faut fuir dans le bon sens". C'est ce que fait Jean Rouaud. Il nous invite à fuir dans le bon sens avec cette Manifestation de notre désintérêt: désintérêt pour les marchés qu'il faudrait rassurer, désintérêt pour les nouvelles technologies, sensées nous rendre la vie plus simple, et j'en passe... c'est que, comme l'indique finalement l'auteur : "pour ce qui nous intéresse, disons qu'il y a de la marge". En peu de pages (24!), Jean Rouaud s'adresse à ceux que ce monde n'enchante plus guère et les invite à se désintéresser du "progrès" dont parlait si bien Walter Benjamin dans ses Thèses sur le concept d'histoire : "Il a le visage tourné vers le passé. Où paraît devant nous une suite d'événements, il ne voit qu'une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d'amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s'attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s'est prise dans ses ailes, si forte que l'ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse incessamment vers l'avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu'au ciel devant lui s'accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès".
Espérons seulement que, contrairement à Indignez-vous!, la grande majorité des lecteurs n'iront pas acheter leurs exemplaires dans une Fnac, ou pire encore, sur Amazon...
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This record is dedicated to Ian Curtis
Ah, l'importance des "liner notes", ces informations qui se trouvent au dos des pochettes de disques, ou à l'intérieur parfois (en fichier joint au Mp3 pour celles et ceux qui usent et abusent de ce format quelque peu bâtard mais si pratique). Oui : l'importance des "liner notes" pour lire la musique, et aller au-delà pour mieux revenir à la source.
Et pourtant tout semble énoncé sur ce maxi 4 titres qui paraît au début des années 80 : Holger Czukay et Jaki Liebezeit sont des membres de l'influent groupe de Krautrock allemand Can, quant à Jah Wobble il est le bassiste fraîchement échappé de Public Image Ltd, groupe fondé par John Lydon après la dissolution des Sex Pistols, se démarquant de ces derniers par un son hautement inspiré des autres krautrockers allemands de Neu! (pour avoir une idée plus précise écoutez Hero de leur album de 75 par exemple).
Public Image Ltd est cité à raison comme l'un des groupes les plus influents de la mouvance post-punk. En effet, et dès le début en 1978, Public Image Ltd sauve leur punk-rock rabaché jusqu'à la nausée avec des influences aussi diverses que le rock progressif et le dub, expérimentant bien souvent à la façon de Can (écoutez par exemple le titre Quantum physics tiré de l'album Soon over Babaluma, 1974). Cette originalité chez Public Image va prendre son principal essor avec les albums Metal Box et Flowers of Romance, respectivement parus en 1979 et 1981. Mais c'est une tendance qui se retrouve chez de nombreux groupes à cette époque : A Certain Ratio, Rema Rema, The Clash, et même New Order (écoutez les Peel sessions de 1982 et le titre Turn the heater on, ou bien le superbe Truth sur leur premier album, Movement, paru en 1981!).
Et 1981 c'est l'année de la sortie de ce disque sans titre où l'on trouve ainsi réunis, pour le meilleur et sans le pire, Jaki Liebezeit, Holger Czukay et Jah Wobble. La pochette est sobre, paysage noir-blanc en forme de voie de garage qui évoque plus un disque de Throbbing Gristle (le 7" United, non?) qu'un disque de dub... mais loin d'une longue déclinaison de gris, le disque se révèle hautement coloré dès la premiêre écoute, alchimie réussie de sonorités new-wave, post-punk, expérimentales, dub, etc., surtout sur How much they cost avec son rythme électronique syncopé et sa basse au son si chaud. La voix de Jah Wobble fait penser à Shaun Ryder des Happy Mondays, mais c'est déjà une autre histoire... En dehors de ce premier titre, le plus compatible avec les pistes de danse d'ailleurs, les trois autres titres sont nettement plus sombres mais gardent un certain éclat dû à la qualité de l'enregistrement. Si le son si distinctif de Joy Division a été créé par Martin Hannett, c'est ici Conny Plank qui est aux commandes depuis son mythique studio près de Cologne - pour l'anecdote, ce studio qui a vu passer la crème de la crème du Krautrock, puis des groupes comme DAF, Ultravox, Killing Joke et Gianna Nannini (on ne choisit pas toujours qui on produit...), et ce jusqu'à la disparition de Conny Plank en 1987, a été démantelé et ré-installé en 2007 au Rock & Pop Museum de Gronau, en Allemagne bien sûr, où il est possible de venir enregistrer encore aujourd'hui !
Mais les liner notes dans tout ça, me direz-vous ? Eh bien j'y arrive, puisque pour clôturer celles-ci, sur le verso, on trouve cette ligne : "This record is dedicated to Ian Curtis". Jah Wobble a en effet vu Joy Division en 1979, durant le festival post-punk Futurama. Après le suicide de Ian Curtis, Jah Wobble, visiblement très touché, confiera son admiration pour Joy Division, et surtout pour son chanteur. Ainsi la boucle est bouclée, et ce EP est une perle à (re)découvrir pour tout fan de musique post-punk...
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Partir en guerre, d'Arthur Larrue (Allia)
"Guerre était célèbre pour avoir dessiné un phallus de soixante-cinq mètres de haut par vingt-sept mètres de large sur un pont en face du quartier général des services secrets. Pour avoir partouzé à six dans une salle du Musée Biologique de Moscou le jour de l'élection de Dimitri Medvedev. Pour avoir retourné dix-huit voitures de police sous prétexte que le ballon de Kaspar s'était glissé dessous et qu'il fallait le lui rendre. Pour avoir lâché vingt-sept chats dans le McDonald de la Place Rouge. Pour avoir volé un poulet cru dans un supermarché, en le cachant à l'intérieur du vagin d'une poétesse qui s'appelait Léna."
Partir en guerre est le récit des 91 jours qu'à passé l'auteur à Petersbourg il y a un an, partageant le même appartement que les membres de Voïna : guerre en russe. On peut faire un paralèle avec le passage en Russie des protagonistes de Moravagine, le roman de Blaise Cendrars : cent ans plus tard, la même radicalité, la même folie, et cette lutte incessante contre la peur. Et puis ce huit-clos forcé qui mène à la rancoeur, la jalousie, la folie... l'amour aussi. La police chasse, la voisine dénonce. C'est aussi une bonne réflexion sur l'art comme vecteur de changement dans nos sociétés : alors qu'ici c'est on joue "la révolution avec la permission de la préfecteure", pour reprendre les mots d'Umberto Eco, en Russie l'art peut être une provocation qui mène directement en prison. L'exemple le plus proche de nous restant les très médiatisées Pussy Riot, dont une membre est une ancienne du groupe Voïna. Arthur Larrue est une belle découverte, sans parler du photographe Raphaël Lugassy dont l'une des photos, tirée de la collection Monde paralèlle, illustre merveilleusement la couverture de ce petit livre paru chez Allia.