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  • La carte postale du jour ...

    "La moralité d'un homme se reconnaît à son attitude envers la parole."

    - Léon Tolstoï

    samedi 16 avril 2016.jpg

    Je me souviens que lorsque je fis l'acquisition de cet album de raretés du groupe Gravenhurst, début 2015, j'appris le décès (qui datait déjà de décembre 2014) de son chanteur et compositeur émérite : Nick Talbot, alors âgé de seulement 37 ans, si talentueux, rejoignant le clan des musiciens hors pairs partis bien trop tôt, comme Nick Drake, Elliott Smith, Tim Buckley ou Trish Keenan, la chanteuse de Broadcast, groupe qui partageait le même label génial que Gravenhurst : Warp. 

    Je me souviens bien que parmi les influences de Nick Talbot, plutôt variées, puisqu'il aimait Wire et Slowdive, The Cure et Nico, Léonard Cohen et Nick Drake, celui qui incarnait la voix de Gravenhurst aimait plus que tout le groupe de Manchester The Chameleons, qui, au milieu des années 80 fut le chaînon manquant entre Joy Division et The Smiths, Nick Talbot citant la chanson A view from a hill des Chameleons comme sa favorite - tout comme moi d'ailleurs.

    Je me souviens aussi ma joie de découvrir sur cette compilation - Offerings : lost songs 2000-2004 - une version alternative de The Diver (une autre version se trouve sur l'album Flashlight seasons), comportant une partie instrumentale à tomber par terre, et il ne doit pas se passer plus d'une semaine sans que je réécoute ce disque qui me hante autant que le souvenir du regretté Nick Talbot ...

    It's getting darker and i'm still swim
    it hits me again
    I'm getting deeper and i'm still swimming
    it hits me again
    and i am never frightened no i am never afraid
    and you will never understand the lengths i go to light your way

    See, left behind on my own
    i have the ghosts of autumn murders walk me home
    see the girl on the shore
    my ideal, nothing more

    It's getting darker and i'm still swimming
    it hits me again
    the sun is sinking pale blue salt water breathing
    it hits me again
    and i am never frightened no i am never afraid
    and you will never understand the depths i sink to light your way

    See, left behind on my own
    i have the ghosts of autumn murders walk me home
    see the girl on the shore
    It's my ideal
    my ideal
    my ideal
    my ideal

    https://www.youtube.com/watch?v=4B4oX9awyG0

     

    Saluons le travail des petits éditeurs (souvent petits par la taille mais grands pour la littérature) qui nous font (re)découvrir des auteurs importants malencontreusement oubliés car enfouis sous la masse de publications contemporaines (masse qui contient aussi son lot de bons livres et d'auteurs de valeur, soit dit en passant). Ainsi, c'est avec un certain bonheur, une grande jubilation même, que j'ai redécouvert celle que Joseph Brodsky nommait "la conscience de la littérature russe" : Lydia Tchoukovskaïa, que je connaissais à peine de nom pour avoir vu passer un livre d'elle aux éditions Interférences, mais dont j'ai enfin pu savourer la prose intelligente et littéraire par le biais de cette réédition bienvenue aux éditions du Bruit du Temps, ainsi qu'une critique très positive (et là bien méritée) lors de l'émission La Dispute sur France Culture. S'il y a des auteurs qui n'écrivent que pour la notoriété, par le passé comme aujourd'hui (beaucoup de nos jours à vrai dire), ça peut paraître incroyable de se dire que Lydia Tchoukovskaïa n'ignorait pas que son livre ne paraîtrait pas de son vivant. C'est donc une plongée littéraire qu'elle nous propose, une plongée dans les souvenirs, une plongée dans les ombres de l'histoire. En quelque 200 pages d'une narration efficace, subtile et concise, l'auteure met en jeu le rôle ambivalent de l'écrivain sous la dictature soviétique ainsi que presque tous les destins et les attitudes qui doivent faire face, tant bien que mal, parfois en s'en accommodant, à ce qui se passe dans le pays et que seules les longues promenades dans la nature hivernale, une nature d'ailleurs magnifiquement décrite, que seules ces promenades permettent d'oublier, pour un bref moment, comme un temps figé, pour revenir ensuite à la sordide réalité d'un système où la vérité n'existe plus. La plongée est un magnifique livre, un cas d'école, de ce que peut être l'écriture au service de la parole et du souvenir, de l'absence de celui-ci aussi, et ce n'est pas pour rien que Lydia Tchoukovskaïa mêle avec grand habilité ses promenades, ses dialogues et mêmes son monologue intérieur aux poésies et aux textes de Pasternak, Blok, Essenine et tant d'autres grandes plumes russes, car, comme le disait Nietzsche : "Ce qu'il y a de grand dans l'homme, c'est qu'il est un pont et non un but : ce que l'on peut aimer en l'homme, c'est qu'il est un passage et un déclin. J'aime ceux qui ne savent vivre autrement que pour disparaître, car ils passent au delà" - oui, Tchoukovskaïa est un pont entre l'avant et l'après, elle a su disparaître et passer au delà, en laissant une œuvre, petite certes, mais ô combien essentielle.

    Extrait de La plongée, de Lydia Tchoukovskaïa (publié aux éditions du Bruit du Temps) :

    "Mais malgré tout, la première plongée a eu lieu aujourd'hui. Ce fut seulement une tentative de courte durée. Je ne faisais encore qu'essayer et me persuader de ne pas avoir peur. Je voyais encore la chambre, je regardais encore ma montre de temps en temps. Le claquement d'une porte, en bas, me faisait encore tressaillir. L'imperméable masse d'eau qui protégerait mon âme de toute invasion ne s'était encore refermée au-dessus de ma tête, ne s'était pas encore interposée entre le monde et moi.

    Mais j'étais sûre maintenant qu'elle se refermerait.

    ... N'était-il pas étrange que cette plongée au fond, en compagnie de Leningrad, de Katioucha, de la Neva nocturne, que cette musique secrète, audible pour moi seule, surgie d'une rencontre entre ma mémoire et le silence, puisse prendre corps, plus tard, et recevoir le nom si ordinaire, si courant, si accessible à tous, de "livre" ?"

     

     

     

  • La carte postale du jour...

    "Lorsque l'ambitieux s'aliène tous les partis qui l'ont porté au pouvoir, il ressemble à un imprudent qui, montant une échelle, briserait les bâtons après s'en être servi : s'il tombe, c'est dans un abîme."
    - John Petit-Senn, Bluettes et boutades (1846)

    dimanche 12 avril 2015.jpg

    Je me souviens d'avoir beaucoup apprécié First Light de Django Django, groupe qui m'était jusqu'alors inconnu, parce qu'il me rappelait à la fois New Order, Stone Roses The Wake et Beach Boys.

    Je me souviens bien d'avoir été peu étonné de retrouver les Beach Boys sur cette collection de titres choisis par Django Django vu que... (voir plus haut)

    Je me souviens aussi que Gulp est LE groupe qui sortait du lot sur cette bonne compilation de la collection LateNightTales à la magnifique pochette et à l'orientation musicale plutôt funk et pop psyché' ; parce Game love de Gulp me fait penser (un peu) à Broadcast, que j'aime beaucoup, parce que le titre est intrigant, parce qu'il y a une boîte à rythme minimale tout le long, et puis son texte court mais convaincant et la voix suave de Lindsey Leven aussi, ce qui me laisse penser, à l'instar de Django Django, que Gulp est un groupe à suivre....

     Sweet, is the life that you lead
     Next to mine
     And we roll the dice of love
     And we hope it's enough

     Silence won't protect the one you love
     That's your job fool, your job fool
     And we play the game of love
     And we hope it's enough

    https://www.youtube.com/watch?v=2jBMAPx_Pdo

     

    Je dois la découverte d'auteurs et / ou de textes à beaucoup d'amis, de connaissances. Et il en est ainsi de ce génial recueil de nouvelles de Julio Cortázar qui ne me serait probablement jamais tombé entre les mains si je n'avais entendu une amie en parler (salut Céline, et merci!). Cortázar ne se contente pas d'écrire des nouvelles, il use de la métalepse, procédé narratif dont Genette explique dans son livre Figures III qu'il est une "figure par laquelle le narrateur feint d'entrer (avec ou sans son lecteur) dans l'univers diégétique". On peut comparer ceci à la mise en abyme utilisée avec génie par l'auteur italien Italo Calvino dans Si par une nuit d'hiver un voyageur ; roman (qui vient de reparaître) dans un roman dans un roman dans un roman dont le lecteur est - pour ainsi dire - l'acteur-auteur. Mais derrière le procédé technique, Cortázar brille par son imaginaire - et c'est dire si, aujourd'hui, en pleine époque de la "panne de l'imaginaire" ce recueil tombe comme un fruit mûr dans mes mains. J'ai adoré ce texte où un homme va tous les jours observer les axolotls pour subitement glisser dans la "peau" d'un de ces êtres larvaires, sans pour autant perdre le "savoir", devenant l'observateur de l'homme (qui observe les axolotls). J'ai adoré aussi La fanfare, texte dédié à René Crevel. L'ensemble de ce petit recueil est un véritable plaisir de lecture, avec en introduction la superbe nouvelle, Continuité des parcs, exemple type de métalepse, histoire géniale en deux pages, fantastique dans tous les sens du terme.

    Continuité des parcs, tiré de Fin d'un jeu, de Julio Cortázar :

     

    "Il avait commencé à lire le roman quelques jours auparavant. Il l’abandonna à cause d’affaires urgentes et l’ouvrit de nouveau dans le train, en retournant à sa propriété. Il se laissait lentement intéresser par l’intrigue et le caractère des personnages. Ce soir-là, après avoir écrit une lettre à son fondé de pouvoir et discuté avec l’intendant une question de métayage, il reprit sa lecture dans la tranquillité du studio, d’où la vue s’étendait sur le parc planté de chênes. Installé dans son fauteuil favori, le dos à la porte pour ne pas être gêné par une irritante possibilité de dérangements divers, il laissait sa main gauche caresser de temps en temps le velours vert. Il se mit à lire les derniers chapitres. Sa mémoire retenait sans effort les noms et l’apparence des héros. L’illusion romanesque le prit presque aussitôt. Il jouissait du plaisir presque pervers de s’éloigner petit à petit, ligne après ligne, de ce qui l’entourait, tout en demeurant conscient que sa tête reposait commodément sur le velours du dossier élevé, que les cigarettes restaient à portée de sa main et qu’au -delà des grandes fenêtres le souffle du crépuscule semblait danser sous les chênes.

    Phrase après phrase, absorbé par la sordide alternative où se débattaient les protagonistes, il se laissait prendre aux images qui s’organisaient et acquéraient progressivement couleur et vie. Il fut ainsi témoin de la dernière rencontre dans la cabane parmi la broussaille. La femme entra la première, méfiante. Puis vint l’homme le visage griffé par les épines d’une branche. Admirablement, elle étanchait de ses baisers le sang des égratignures. Lui, se dérobait aux caresses. Il n’était pas venu pour répéter le cérémonial d’une passion clandestine protégée par un monde de feuilles sèches et de sentiers furtifs. Le poignard devenait tiède au contact de sa poitrine. Dessous, au rythme du coeur, battait la liberté convoitée. Un dialogue haletant se déroulait au long des pages comme un fleuve de reptiles, et l’on sentait que tout était décidé depuis toujours. Jusqu’à ces caresses qui enveloppaient le corps de l’amant comme pour le retenir et le dissuader, dessinaient abominablement les contours de l’autre corps, qu’il était nécessaire d’abattre. Rien n’avait été oublié : alibis, hasards, erreurs possibles. À partir de cette heure, chaque instant avait son usage minutieusement calculé. La double et implacable répétition était à peine interrompue le temps qu’une main frôle une joue. Il commençait à faire nuit.

    Sans se regarder, étroitement liés à la tâche qui les attendait, ils se séparèrent à la porte de la cabane. Elle devait suivre le sentier qui allait vers le nord. Sur le sentier opposé, il se retourna un instant pour la voir courir, les cheveux dénoués. À son tour, il se mit à courir, se courbant sous les arbres et les haies. À la fin, il distingua dans la brume mauve du crépuscule l’allée qui conduisait à la maison. Les chiens ne devaient pas aboyer et ils n’aboyèrent pas. À cette heure, l’intendant ne devait pas être là et il n’était pas là. Il monta les trois marches du perron et entra. À travers le sang qui bourdonnait dans ses oreilles, lui parvenaient encore les paroles de la femme. D’abord une salle bleue, puis un corridor, puis un escalier avec un tapis. En haut, deux portes. Personne dans la première pièce, personne dans la seconde. La porte du salon, et alors, le poignard en main, les lumières des grandes baies, le dossier élevé du fauteuil de velours vert et, dépassant le fauteuil, la tête de l’homme en train de lire un roman."