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goldfrapp

  • La Carte postale du jour ...

    "Une carte du monde sur laquelle ne figure pas le pays d' Utopie ne mérite pas le moindre coup d'œil."

    - Oscar Wilde

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    Je me souviens de cet album, Felt Mountain, parce que la photo du Mont Cervin figure au dos de la pochette et que cela m'avait particulièrement ému, mais aussi parce que c'est l'un des disques les plus élégants, sensuels et magnifiquement conçu qu'il m'ait été donné d'entendre et aussi parce qu'il a définitivement marqué, pour moi en tout cas, le début des années 2000.

    Je me souviens bien d'avoir découvert la voix d'Alison Goldfrapp sur un maxi d'Orbital, en 1996, dans la version "vocal reprise" du titre The Box, splendidement dramatique et pour le moins envoûtant, sans parler de la performance vocale de Grant Fuldon, très émouvante aussi.

    Je me souviens aussi qu'il ne s'est pas passé un jour, puis un mois, puis, le temps passant, un an, sans que j'écoute Utopia de Goldfrapp, avec son apophtegme délicatement susurrée, "fascist baby... utopia, utopia".

     

    https://vimeo.com/61254780

     

     

    Il fut un temps où l'Europe, l'union européenne donc, était une utopie ; maintenant c'est, au mieux, un constat, au pire, une catastrophe, allez savoir. En tout cas, "utopie" est probablement le dernier mot qui vient à l'esprit quand on entend ceux d'union européenne (le premier étant peut-être "administration"?). Heureusement, David Van Reybrouck vient nous rafraichir l'esprit et raviver l'espoir d'une union utopique entre nations avec ce très beau texte, fruit d'une enquête menée pendant quelques années dans le village de Moresnet-Neutre (le nom changera à de multiples occasions), nommé ainsi en 1816 après un compromis consistant en une absence de compromis entre la Prusse et les Pays-Bas, délimitant des frontières "provisoires" et laissant un triangle dit neutre, n'appartenant ni à l'un, ni à l'autre... et 2016 marque précisément le bicentenaire de cette curiosité du droit international, curiosité située aujourd'hui aux frontières de la Belgique, de l'Allemagne et des Pays-Bas. C'est que pendant près de cent ans, les habitants de ce petit pays sans douane, ni langue officielle, ni monnaie d'ailleurs, vont vivre une véritable utopie réalisée. Des hommes et des femmes viennent s'y cacher, et la population augmente subitement en quelques décennies. Mais le rêve se termine avec les grandes guerres du début du vingtième siècle. Certains habitants se retrouvent alors dans l'armée allemande, d'autre sous le drapeau belge, parfois des frères se retrouvent face à face dans les tranchées - Le cauchemar commence, et s'achèvera bien après la seconde guerre mondiale. Pour nous exposer cela, Van Reybrouck a pu se pencher sur le destin d'Emil Rixen, né en 1903 dans ce curieux mais très attachant petit pays neutre et libre de tout nationalisme ; Emil changera, bien malgré lui, cinq fois de nationalité pour mourir en 1971 (l'année de naissance de David Van Reybrouck justement, et la mienne au passage), et c'est travers ce destin particulier que cet essai - qui se lit d'ailleurs comme un roman tant il est passionnant - nous invite à réfléchir sur la fin d'une utopie européenne et le retour de la territorialité et des frontières, symboles de la résurgence des nationalismes ; reste quand même le souvenir de cet endroit extraordinaire, maintenant conservé grâce au travail méticuleux de l'auteur belge, travail dont le seul souvenir ravive peut-être en nous des envies et des rêves d'utopie - c'est à espérer. Excellent texte.

     

    Extrait de Zinc, de David Van Reybrouck (traduit du néerlandais par Philippe Noble et publié aux éditions Actes Sud)

     

    "Des élections? jamais tenues. Des impôts? Extrêmement faibles et uniques en leur genre, calculés sur la base de la superficie du terrain, du nombre de portes, de fenêtres, de meubles et de personnel de maison que l'on possédait. De monnaie? Aucune. Officiellement, seul le franc français avait cours, mais on acceptait aussi les pièces allemandes, thaler, reichsmark, sou d'argent, ainsi que le franc belge. De langue? Aucune. L'allemand, le français et le dialecte local, le Kelmeser Platt, à mi-chemin du bas allemand et du limbourgeois, se mêlaient joyeusement. La douane? C'était bon pour les autres pays voisins. L'enseignement? Aucune obligation de scolarité. La défense? Pas de service militaire. La justice? Pas de juridiction. Au civil ou au pénal, les affaires devaient être portées devant un tribunal belge ou allemand. Le juge devait alors se remettre à feuilleter son Code Napoléon de 1804 ou son Code pénal de 1810 et prononcer des condamnations pour des délits parfois abolis en tant que tel dans son pays, et ce au nom des lois d'un pays qui, dans l'intervalle, avait lui-même cessé d'exister. Condamné pour vagabondage en 1900? Pas de chance ! Chez nous, ce n'est plus vraiment sanctionné, mais dans l'Empire français d'il y a cent ans, c'était passible de six mois de prison. La mésaventure est arrivée à un homme qui avait mendié à Moresnet-Neutre."

  • La carte postale du jour ...

    "J'ai cherché en vain, dans la mer sans fond des plaisirs comme dans les profondeurs de la connaissance, une place où jeter l'ancre. J'ai senti la force presque irrésistible avec laquelle un plaisir tend la main à l'autre plaisir ; j'ai senti la sorte de fausse exaltation qu'il peut faire naître ; j'ai senti aussi l'ennui, le déchirement qui le suit. J'ai goûté les fruits de l'arbre de la connaissance et bien souvent, j'ai éprouvé la joie de les déguster. Mais cette joie était seulement dans l'instant de la connaissance et ne laissait aucune marque profonde derrière elle. C'est comme si je n'avais pas bu à la coupe de la sagesse, mais était tombé dedans." - Soren Kierkegaard (1835)

    jeudi 29 mai 2014.jpg

    Je me souviens, quoiqu'imprécisement, perdre peu à peu le goût de la nouveauté, ce sentiment exaltant qui, de mon adolescence jusque dans le courant des années 2000, suscita en moi une passion sincère et parfois immodérée pour des artistes ou groupes peu ou pas du tout connus, avec ce désir de les faire découvrir à mon entourage mais pas seulement, sentiment qui se transorma succinctement en méfiance et finalement en désintérêt total, ce qui ne m'empêche pas, de temps à autre, de laisser sa chance à un groupe, un disque, comme ici, celui des Warpaint. Je me souviens à la première écoute avoir pensé que des disques que j'adore -  Mezzanine de Massive Attack, Heaven or Las Vegas de Cocteau Twins ou Disintegration de The Cure - portaient en eux le germe de cette musique qui suinte l'ennui, cet ennui de l'adolescence, celui du film Lost in translation de Sofia Coppola (que je n'aime pas trop), me laissant perplexe, angoissé presque, avec cette question lancinante : j'aime ou j'aime pas ?!? Je me souviens aussi d'avoir souvent souri devant la naïveté des textes anglophones, mais qui fonctionnent si bien avec ce genre de musique, et de noter quand même que ce disque était produit par Flood, assistant de Martin Hannett pour le premier album de New Order, Movement, et producteur d'un grand nombre de groupes et d'albums qui ont compté à un moment donné (pour moi), comme le premier album de Nick Cave, le premier Nine Inch Nails ou encore le merveilleux et peut-être sous-estimé Seventh Tree de Goldfrapp, donnée non négligeable qui me permet d'écouter avec une certaine bienveillance ce disque de Warpaint, surtout quand Theresa Becker Wayman fredonne de manière presque apathique sur l'excellent titre Feeling allright

    "My mind is made of simple thoughts, I'm going up to start this day, Soon you see me now".

    Forte impression aussi avec ce nouveau livre de Vila-Matas, rédigé pendant et autour de son passage à la Documenta 13 de Kassel. Une fois de plus lire le Barcelonais ce n'est pas simplement lire de la littérature, c'est lire LA littérature. Récit en forme de tour de babel, Vila-Matas brille toujours plus sous cette forme journalistique que par ses romans ; clin d'oeil à Kafka, Borges, Benjamin, Duchamp etc. et donc bien sûr aussi à l'imposture (littéraire de préférence), c'est un écrivain angoissé par la peur de s'ennuyer qui se "livre" ici, et accomplit un travail brillant, une réflexion exemplaire sur le monde de l'art, et la fonction de l'écrivain.

    "Moi, je savais pourquoi j'avais accepté mais il n'était pas question de l'avouer. Outre l'originalité et le côté littéraire de la manière dont j'avais été invité, j'avais accepté parce que je n'avais jamais pensé que ce qu'on m'avait proposé serait un jour à ma portée - comme si on m'avait invité à jouer dans mon équipe de football préférée : quelque chose que, ne serait-ce qu'à cause de mes soixante-trois ans très récents, on ne me proposerait jamais plus -, et aussi parce que, depuis quelque temps, depuis que je m'étais remis d'un collapsus provoqué par ma vie dissolue, je faisais l'expérience d'un rétablissement sur tous les plans et, au sein de ce processus, mon écriture s'était ouverte à d'autres arts que la littérature. Autrement dit, la matière littéraire avait cessé de m'obséder et j'avais ouvert le jeu à d'autres disciplines."