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mark kozelek

  • La Carte postale du jour ...

    "Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde: je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme"

    - Alexis de Tocqueville, Démocratie comme despotisme (1840)

    dimanche 23 octobre 2016.jpg

    Je me souviens d'être allé au concert de Godflesh, le groupe de Justin Broadrick - plus connu depuis 2004 avec son projet Jesu-, cela se passait en '90 ou '91, à l'Usine, dans la salle PTR qui n'existe plus maintenant, et qu'après deux ou trois titres, je suis sorti prendre l'air, histoire de remettre mes tripes en place, qui avaient été sévèrement remuées par les basses hyper lourdes - d'ailleurs je n'ai pas le souvenir d'avoir croisé plus de quinze personnes à ce concert.

    Je me souviens bien d'avoir d'abord entendu un extrait de ce disque collaboratif entre Sun Kill Moon (Mark Kozelek) et Jesu, mais sans le savoir, à Sounds, et que j'avais été fortement impressionné, mais je devais attendre le mois suivant pour découvrir l'identité des artistes en faisant l'acquisition de ce beau double album - et je parle de la musique, pas de la pochette...

    Je me souviens aussi d'avoir été une fois de plus bluffé par les textes de Mark Kozelek, toujours dans un style autofictionnel, se bornant à raconter ses journées pour les chanter, comme dans l'épique titre A Song of Shadows où le chanteur décrit l'ennui des tournées et combien son (ex?) petite amie lui manque, tout en lisant un livre, celui de John Conolly, intitulé A Song of Sadows, en relatant parfois ce qui s'y passe d'ailleurs, comme une sorte de mise en abyme, ou alors, sortant de l'aéroport et prenant un taxi il apprend la mort du fils de Nick Cave, dans la belle chanson triste Exodus...

    https://www.youtube.com/watch?v=IzKNwhrpJtY

     

    En découvrant ce nouveau livre de Jean-Michel Delacomptée j'ai mis mes autres lectures en mode pause. Lettre de consolation à un ami écrivain s'adresse, comme son nom l'indique bien, à un écrivain désespéré par le manque de lecteurs, l'absence de presse, et que ses livres restent obstinément dans l'ombre d'une production de masse qui n'a en fait rien de littéraire, un auteur qui, lors d'une rencontre en librairie, déclare qu'il arrête, se retire du jeu littéraire, de "cette" société. Aimant les écrits de cet écrivain dont jusqu'à la fin je n'ai pas réussi à identifier l'identité (mais peu importe), Delacomptée décide de lui écrire une lettre pour lui dire à la fois sa compréhension mais aussi son désaccord et, à force d'arguments très bien trouvés, le tout dans un style véritablement habité qui fait honneur à la littérature comme à la philosophie, espère bien faire changer d'avis son ami écrivain. Ce texte rejoint un peu le livre d'Alain Nadaud D'écrire j'arrête, un texte qui permettait de penser la littérature, et c'est bien cela que fait Delacomptée, en allant même plus loin ; en amateur de littérature contemporaine, il n'hésite pas à prendre des exemples, dans ceux qu'il admire (Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Jean Rouaud, Laurent Mauvignier, Marie Ndiaye, Linda Lê, ou encore Philippe Bordas dont il dit grand bien mais que je ne connais pas - mais que je vais découvrir très vite du coup), et ceux qu'il aime moins, voire pas du tout (Christine Angot, Virginie Despentes, Marc Levy, Annie Ernaux, Éric-Emmanuel Schmitt, Daniel Pennac, etc.). Il compare les anciens et les modernes, cherche le pour et le contre, ne se désole pas (trop) de la littérature actuelle, explique pourquoi cela va mal, retrace l'histoire des bouleversements du roman du XVIIe jusqu'à aujourd'hui, cite longuement, vers la fin du livre, Martin Rueff et Rousseau, Richard Millet et Chateaubriand, pour terminer sur ce beau constat : "Car finalement vous savez, comme moi, que dans notre pays la littérature, même attaquée par les démons sonnants et trébuchants, même en butte aux forces dissolvantes, persistera, et qu'avant sa disparition, si elle doit un jour survenir, ce dont je doute, des flots d'œuvres exigeantes couleront encore lentement sous nos ponts."

    Un livre remarquable.

     

    Extrait de Lettre de consolation à un ami écrivain, de Jean-Michel Delacomptée (publié aux éditions Robert Laffont) :

    "Voilà quelque temps, Philip Roth s'est résolu à ne plus écrire, considérant qu'il avait tout dit, qu'il n'avait plus l'envie. Sage résolution. J'ignore s'il la tiendra, mais elle a le mérite de la liberté. Aucune vocation congénitale n'oblige à tenir un stylo toute sa vie. Aucun artiste ne l'est fatalement. Le ciel n'a rien à voir là-dedans. Par conséquent, vous êtes certainement libre de tirer un trait sur votre carrière, puisque vous définissez par ce mot l'activité que vous poursuivez depuis votre plus jeune âge. Je ne crois pas que vous fassiez carrière, vos raisons sont bien plus profondes. Si c'était le cas, d'ailleurs, vous coucheriez sous les ponts. Mais en admettant que vous disiez vrai, cette activité échappe à votre emprise. Vous la poursuivez moins qu'elle ne vous poursuit. Ne biaisez pas : vous avez beau le nier, écrire relève pour vous d'un besoin. J'apprécie qu'on ne joue pas à l'artiste forcément condamné à la pratique de son art. Rien de plus risible que ces gens qui s'affichent une mine inspirée pour se vanter de subir leur vocation comme s'il s'agissait d'un carcan magnifique, d'une torture flamboyante. Ils s'enchantent de leur sacerdoce, auréolés d'un devoir surnaturel qui les distinguerait du reste des humains. Inutile d'en rajouter, écartons les invocations mystiques. Vous n'êtes pas de ces poseurs. Et pourtant, la décision de ne plus écrire et de ne plus jamais publier vous désespère. De votre propre aveu, vous vous infligerez une blessure insupportable, jusqu'à en perdre le goût de vivre. Conséquence démesurée, mais que je comprends. Même si vous ne jouissez pas d'une réputation aussi admirable que la sienne, Stefan Zweig s'est suicidé face à la disparition du monde où il trouvait sa place. Et pas seulement lui. Maïakovski, Sándor Márai, Cesare Pavese, Romain Gary, Paul Celan, Sylvia Plath, Virginia Woolf, pour ne citer que ces auteurs parmi les plus fameux. Vient un jour où l'épuisement, le dégoût, obligent à mettre la clé sous la porte. À en terminer avec la solitude, l'anonymat, la dépression. L'écriture et le suicide entretiennent des liens secrets. Sans le moindre doute, pour un écrivain qui n'a jamais vécu que pour écrire, abandonner sa pratique s'apparent à un suicide. Comment continuer à vivre ? Comment ne pas se traîner, écrasé par le sentiment de sa vacuité ? Vous n'avez pas suggéré un quelconque suicide. Si violente soit votre détresse vous n'envisagez sûrement pas de vous supprimer. Vous avez décidé de ne plus écrire, mais se serait un terrible sacrifice - mot que vous n'avez pas davantage prononcé -, et le résultat serait le même : un suicide. Il est épouvantable de se punir d'une faut qui n'en est pas une, de se détester d'un échec dont les responsabilités sont ailleurs. Bannissez cette issue. Puisque vous répugnez au vocabulaire religieux, conservez à votre passion l'énergie d'une pratique vitale. Loin des envolées lyriques, poursuivez votre tâche. Vous avez besoin d'écrire et de publier, tout comme vos lecteurs ont besoin de vous lire. Abdiquer serait vous priver, nous priver, d'un plaisir essentiel. Il est impératif que vous teniez bon. Là se trouve la juste réponse. Et si moi, faible avocat, j'échoue à vous en convaincre, j'aurai tenté de le faire. Peut-être même aurai-je réussi à atténuer la cruauté d'une décision que vous aurez, à contrecœur, jugé nécessaire de prendre."

  • La carte postale du jour...

     

    "J’aime le mot « croire ». En général, quand on dit « je sais », on ne sait pas, on croit. Je crois que l’art est la seule forme d’activité par laquelle l’homme en tant que tel se manifeste comme véritable individu. Par elle seule il peut dépasser le stade animal parce que l’art est un débouché sur des régions où ne dominent ni le temps, ni l’espace. Vivre, c’est croire ; c’est du moins ce que je crois."

    - Marcel Duchamp, Duchamp du signe, Écrits

    lundi 19 octobre 2015.jpg

    Je me souviens qu'au début du film Youth, de Paolo Sorrentino, lorsqu'apparaît Mark Kozelek et sa guitare, oui, je me souviens clairement de ce sentiment de joie qui s'est emparé de moi à l'idée que Mark soit là, qu'il gagne des sous et touche peut-être un plus large public, après toutes ces années, ses probables errances et doutes et ses dizaines de disques, parus sous son nom ou Red House Painters et Sun Kill Moon... (à la fin du film ne restait plus que Mark Kozelek pour sauver un tant soit peu ce naufrage sur-esthétisé... quel dommage...)

    Je me souviens bien d'avoir été étonné par cet album où l'habituelle guitare laisse la place à l'électronique subtile et minimale de Jimmy Lavalle (The Album Leaf), compositions synthétiques d'une grande homogénéité et qui servent parfaitement les longs textes très intimes de Mark Kozelek, donnant au final un disque pour fin de soirée d'automne, un album dont la fausse simplicité est, au fond, un véritable et salutaire raffinement.

    Je me souviens aussi de cette sensation d'écouter de la littérature, comme si Perils from the sea était une autre manière de combler l'absence par les sons, mais aussi par le texte, comme si Kozelek plongeait un regard sentimental dans un rétroviseur nostalgique pour nous donner sa version de la Recherche du temps perdu, sans garantir pour autant que ce temps est réellement existé...

    (...)

    My girlfriend asked had I heard from that guy from Mexico?
    I said you mean Gustavo?
    And I just laughed and I said no
    Not since he called from the Tijuana pay phone
    Really I don’t give much thought to Gustavo
    I love to go out to the mountains, though
    And in the fall, feel the breeze blow
    And in the winter, watch the falling snow
    And in the spring, love the rainbows
    And in the summer smell the roses
    White and red and yellow

    https://www.youtube.com/watch?v=3nSuTSyymvU

     

    Ce dernier livre d'Enrique Vila-Matas s'inscrit dans la veine du précédent, le très intéressant Impressions de Kassel, réalisé à la suite de son (non)séjour durant la Documenta de Kassel - un livre où l'auteur barcelonais nous entretenait de l'art contemporain, "un art qui se confond avec la vie, et qui passe comme la vie". Il en va presque de même avec ce petit - mais essentiel - Marienbad électrique, ouvrage qui tient du journal intime, de l'essai, comme de la correspondance, de l'échange, avec l'artiste Dominique Gonzales-Foerster, qui se définit elle-même comme une "prisonnière littéraire dans un triangle formé par Enrique Vila-Matas, Roberto Bolano et W.G. Sebald". Bien sûr, la conversation de ces deux artistes tourne autour du livre, de la littérature, de l'art contemporain et de ses grandes questions, mais il parle aussi d'image et de cinéma, le titre fait d'ailleurs référence au film L'année dernière à Marienbad, dont l'étrange scénario fut écrit par Alain Robbe-Grillet ; on est alors tenté d'avoir des réserves devant l'accumulation constante de références, ce "name-dropping" trop à la mode aujourd'hui (quand on a rien à dire), mais comme souvent avec Vila-Matas, les références n'étouffent pas le lecteur, au contraire, elles le transportent. 

    Pour ceux qui connaissent l'œuvre de Vila-Matas, ce nouveau livre ira prendre place près des merveilleux Journal volubile et Voyageur le plus lent, pour les autres il est une excellente introduction à son travail littéraire. Pour moi, Marienbad électrique aura été une façon de rencontrer l'œuvre de DGF, sa scénographie, son génial "tapis de lecture", et quelle rencontre magnifique.

    Extrait de Marienbad électrique, de Enrique Vila-Matas (édité chez Bourgois) :

     

    "Ce n'est pas pour me justifier mais cette attirance envers ce type de chambre unique, d'espace fermé, est logique. C'est la sorte de pièce qui attire é cause de ce qu'elle représente fondamentalement, car elle est le lieu mythique où se déroule toujours le grand drame humain, non exempt à l'occasion de lumière. Tout compte fait, une chambre est l'espace central de toute tragédie - l lieu où Hölderlin sombra dans la folie, où Juan Carlos Onetti médita sur le monde et décida qu'il valait mieux ne plus sortir du lit, où Emily Dickinson s'enferma avec ses mille sept cents poèmes -, mais aussi l'endroit ou Vermeer connut l'expérience de la plénitude et de l'indépendance du moment présent.

    Une chambre fermée est probablement, comme dit un ami, le prix à payer pour parvenir à voir la luminosité. Elle était mon lieu préféré pour trouver ma vie à l'intérieur des textes que je lisais. Il y a ainsi, par exemple, une scène de Tolstoï que j'ai intériorisée et dans laquelle je me vois moi-même en train de lire : celle où un personnage est dans un train, un livre dans les mains, tandis que dans le compartiment, une lumière éclaire sa lecture. Pour moi, c'est une image du bonheur que seule la littérature peut probablement donner. Car il faut savoir que la littérature permet de penser ce qui existe, mais aussi ce qui s'annonce et qui n'est pas encore advenu. Penser aussi, par exemple, que le monde est un texte, une grande fiction que DGF lit passionnément tous les jours.

     Le monde est un passage, celui-ci est notre vie et il est dans les livres. Nous ne vivons vraiment qu'au fur et à mesure que nous lisons notre histoire en la transcendant. Parce que seule la littérature est vraiment transcendante, elle nous fait découvrir les autres et nous demander comment il se peut que les signes sur une tablette d'argile, les signes tracés par une plume ou un crayon soient capables de créer une personne (un don Quichotte, un Gregor Samsa, une Béatrice, un Jakob von Gunten, un Falstaff, une Anne Karénine), dont la substance excède dans leur réalité, leur longévité personnifié, la vie elle-même.

     Il n'est pas d'énigme plus grande que celle de la pièce unique. Dans ce cabinet, aussi paradoxal que cela puis paraître, nous finissons tous pas ressemblér à Robinson Crusoé. Les vagues alentour, l'eau infinie comme l'air, la chaleur de la jungle derrière : "je suis retranché du nombre des hommes ; je suis un solitaire, un banni de la société humaine." "

     

     

     

     

     

     

  • La carte postale du jour...

     

    "La véritable élégance consiste à ne pas se faire remarquer"
    - George Bryan Brummel

    vendredi 1 mai 2015.jpg

    Je ne me souviens pas clairement quand j'ai découvert Red House Painters, mais ayant toujours été un grand admirateur du label 4ad (autant que Factory et pour des raisons similaires, esthétiques principalement), j'avais acheté ce disque en format digipak-CD il y a longtemps déjà (et trouvé récemment en vinyle - joie!), et plus les années passaient, plus j'adorais leur musique qui était - peut-être à cause de ses lenteurs forcées et des impressions d'entendre l'écho lointain de cette musique, plus que la musique elle-même -  la bande sonore parfaite pour le Berghof , le sanatorium où Hans Castorp - protagoniste de la Montagne magique, le roman de Thomas Mann - réside sept ans dans une torpeur toute particulière.

    Je me souviens bien que ce groupe qui piétinait à la porte du grunge au début des années 90, se désolant que personne ne fasse attention à eux - leur musique étant trop lente, trop triste peut-être -, avait en désespoir de cause donné une de leurs cassettes démo au chanteur Mark Eitzel, qui l'avait ensuite donnée à Ivo, le directeur du label 4ad, qui l'avait écoutée dans sa voiture sur le chemin de son bureau, et qui en avait été si étonné, en était tombé si éperdument amoureux, qu'il l'avait immédiatement rembobinée pour la réécouter avant de téléphoner au chanteur des Red House Painters - Mark Kozelek - pour lui proposer un contrat, surprenant ce dernier dans son bain alors qu'il ignorait tout ou presque du label 4ad, mais heureux qu'enfin le groupe puisse réaliser un premier disque.

    Je me souviens d'aussi avoir lu dans un livre sur le graphiste attitré (autrefois) de 4ad, Vaughan Oliver, qu'à la base ce dernier voulait utiliser une photographie de sabot de vache (!) pour la pochette de Down Colorful Hill, mais que Mark Kozelek avait préféré cette photo' d'un lit dans une chambre, prise par Simon Labalestrier, et dont le ton général rappelle pas mal de pochettes des Pixies, alors que l'ambiance qu'elle dégage a quelque chose d'intime et presque solennel, illustrant à merveille ce disque dont les chansons sont délicates et profondes, avec durée moyenne de huit minutes pour chacune d'elles, captivant (ou pas) l'auditeur, surtout sur le magnifique titre introductif, 24 :

    So it's not
    Loaded stadiums or ballparks
    And we're not kids on swing sets
    On the blacktop

    And i thought at fifteen that i'd
    Have it down by sixteen
    And 24 keeps breathing at my face
    Like a mad whore
    And 24 keeps pounding at my door

    Like a friend you don't want to see
    Oldness comes with a smile
    To every love given child
    Oldness comes to life

    The youth, they dream suicide
    Oldness comes with a smile
    To every love given child
    Oldness comes to life


    https://www.youtube.com/watch?v=1vhtpAIbIpQ


    On est certain de sortir des livres de Pascal Quignard avec une liste de disques à écouter, de livres à lire, de notes à contrôler - c'est toujours enrichissant, quoique exigeant. Ayant quitté il y a quelques années le comité de lecture de Gallimard pour ne plus avoir à juger les écrits des autres et se consacrer à sa propre écriture seulement, sa production a augmenté sensiblement. C'est ainsi que, parallèlement à la sortie du très intéressant Critique du jugement paru chez Galilée, le flâneur littéraire trouvera sur les tables des librairies bien achalandées ce petite texte paru aux éditions Arléa : Sur l'idée d'une communauté de solitaires. Pascal Quignard fait l'éloge de la rareté en évoquant à la fois ses souvenirs d'enfance dans les ruines de Port-Royal et en puisant dans son érudition, musicale notamment. Si comme moi vous êtes adeptes de citations vous ne serez pas en reste : "Monsieur de Pontchâteau avait toujours ce mot de l'Imitation à la bouche : "Quaesivi in omnibus requiem, et nusquam inveni nisi in angulo cum libro." Je vous le traduis en français : J'ai cherché partout dans ce monde le repos - le requiem -, un abandon, une halte, et je ne l'ai nulle part trouvée que dans un coin avec un livre." Ce que propose Pascal Quignard est singulier, poétique, il y développe une pensée généreuse, qui prend son temps, ce qui est forcément rare aujourd'hui. C'est aussi un petit livre où j'ai cru entendre l'écho de la musique de John Downland, particulièrement la pièce intitulée "In Darkness Let Me Dwell" - et c'est plutôt bien les livres qui résonnent en nous, non ?

    extrait de Sur l'idée d'une communauté de solitaires, de Pascal Quignard :

     

    "Spinoza à la fin de Ethica rêve d'une communauté de rares, de difficiles, de secrets, d'athées, de dessillés, de lumineux, de luminescents, d'Aufklärer. Fonder un club antidémocratique fermé aux prêtres, aux magistrats, aux philosophes, aux politiques, aux éditorialistes, aux professeurs, aux galeristes. Il faut peut-être retourner à une diffusion plus solitaire et plus clandestine de l'œuvre d'art. Horror pleni, error pleni. Il faudrait mettre au point un moyen de montrer les œuvres comme jadis la musique savante à l'écart de la Cour. Comme jadis Sainte Colombe. Comme jadis Johann Jakob Froberger et les suites françaises. Comme jadis Esprit, La Rochefoucauld, Madame de Sablé, les portraits, les maximes, les fragments, les romans : à l'écart de Versailles et à l'écart du droit. Réserver une poche à la rareté quand elle est devenue extrême, une loge au cœur de la solitude, une crevasse à la non reproductibilité."