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mathieu amalric

  • La carte postale du jour...

    "Si je regarde l'obscurité à la loupe, vais-je voir autre chose que l'obscurité ?"
    - Clarisse Lispector

    jeudi 17 mars 2016.jpg

    Je me souviens d'avoir acquis un coffret CD de Wim Mertens qui contenait plusieurs de ses albums, de ses débuts en 1983 jusqu'à 1989 ; le design était affreux et me semblait très éloigné de l'image que je me faisais de la musique de ce musicien belge que je rangeais (à tord peut-être) quelque part entre la new-wave expérimentale de Tuxedomoon ou The Durutti Column et la musique minimaliste de Philip Glass ; j'ai d'ailleurs perdu ce coffret depuis longtemps, mais mon attachement à la musique de Wim Mertens est resté, presque intact.

    Je ne me souviens pas bien quand cela a commencé, mais j'ai un jour décidé que les petit-déjeuners du dimanche matin se ferait sur fond de Whisper me qui - chance! - est un titre qui s'étale dans une lent mouvement progressif sur plus de dix-huit minutes et occupe la totalité de la face B du maxi - il suffit donc de remettre le diamant sur la ceinture du vinyle pour écouter à nouveau ce titre de musique contemporaine dont, décidément, je ne me lasse pas (le goût de la marmelade et du café y sont peut-être pour quelque chose).

    Je me souviens aussi qu'un titre de Wim Mertens, Close Cover, a été une sorte de hit à la radio belge (en 1983 je crois), passant environ trois fois chaque nuit pendant plusieurs mois, ce qui est incroyable pour un titre instrumental ; j'adore aussi son travail en tant que producteur sur le titre intitulé Pardon up here, couplé (en guise de seconde partie) à une très belle chanson des autres belges Bernthøler, My Suitor ; et puis j'aime aussi énormément Struggle for pleasure, l'autre "tube" de Wim Mertens, popularisé grâce à son utilisation dans la musique du film de Peter Greenaway, Le ventre de l'architecte ; mais au final, mon favori reste encore et toujours Whisper me...

    https://vimeo.com/66930444

    Je dois à Mathieu Amalric la découverte de l'écrivain Daniele Del Giudice. En effet, l'acteur-cinéaste français a brillamment adapté, en 2002 et de manière rocambolesque (il faut absolument voir les bonus dans la version DVD) le Stade de Wimbledon, un livre de 1983 qui retrace l'enquête littéraire d'un étudiant (une étudiante dans le film ; interprétée par Jeanne Balibar) sur les traces de Roberto Bazlen, l'écrivain triestin sans œuvres mais d'une influence durable puisqu'on le retrouve dans de nombreux livres, dont ceux de Vila-Matas ou Jouannais par exemple. Si le livre de Del Giudice est excellent, le film est lui aussi formidable : grâce à son rythme particulier, son ambiance nouvelle vague, c'est un exemple de réussite d'adaptation de roman sur grand écran (et les exemples sont rares, sans vouloir être trop négatif) ; et lorsqu'un livre me plait, je pars à la découverte du reste de l'œuvre de son auteur, et voilà qu'en feuilletant le catalogue de la collection La librairie du XXIè^siècle (où a été publié le Voyage d'hiver de Perec, et qui est l'édition qui propose le plus de titres de Del Giudice), je tombe sur ce titre intriguant : Dans le musée de Reims. Allez savoir pourquoi, à la lecture de la première phrase de ce court roman, phrase que je reproduis ici "Quand j'ai su que je deviendrais aveugle, j'ai commencé à aimer la peinture", j'ai pensé à un film que je n'ai toujours pas vu (mais dont j'ai lu et entendu des descriptions quand même) : Le dos rouge. Peut-être parce que Jeanne Balibar y est présente, aussi parce qu'il se passe dans un musée et probablement parce qu'on y décrit des peintures et parce que le protagoniste central, Bertrand Bonello, cherche à voir, à comprendre, à trouver quelque chose dans les peintures. Et c'est là tout l'enjeu du livre de Del Giudice. Qu'est-ce qu'on voit quand on ne peut plus voir ? Et comment expliquer une peinture à un homme atteint de cécité ? C'est là deux questions parmi beaucoup d'autres qui font de ce livre une magnifique expérience de lecture autour d'un homme qui perd la vue, d'une fille qui murmure à l'homme les descriptions des peintures, et d'une peinture en particulier, celle de David : La Mort de Marat (ou Marat assassiné), dont on apprendra tout, ou presque... une merveille ce livre car en peu de pages il va vers un essentiel qui - le croirait-on à tord - en demanderait dix, vingt ou cent fois plus. Tristesse que cet écrivain soit gravement malade et si peu connu.

    Extrait de Dans le musée de Reims, de Daniele Del Giudice (publié en 2003 aux éditions La Librairie du XXiè siècle / Le Seuil) :

    "... La nature sera ce qui me manquera le plus, mes camarades, au premier embarquement, me disaient : "Tu ne te rends pas compte comme ton visage change en mer", et ils souriaient, il me manquera certains bleus et certains rouges à perte de vue, il me manquera la perte de vue, et le sentiment d'espace et de sécurité et de quiétude qui donne la perte de vue. Comment vais-je faire sans couleur ? Dans cette obscurité, la nuit, parfois je me concentre et surgit alors de je ne sais où un orange chaud, ou un bleu, des couleurs pures sans aucune forme, comme si elles étaient vendues par plaques de couleur pure, qui sait si, quand je serais complètement aveugle, je garderais cette capacité de m'inventer les couleurs que je ne vois pas, certains turquoises brillants, certains jaunes aveuglants, certains bruns pleins de résonances basses, profondes, certains verts si délicats... C'est comme avec la musique, il doit y avoir pour elle aussi un dépôt dans l'esprit, et quand il fait si noir, avec un effort, j'arrive à réentendre des morceaux entiers, c'est une machine difficile à mettre en mouvement au début, mais ensuite on ne peut pas l'arrêter, elle commence seulement avec le thème, diverses trames, et les accents s'y ajoutent, les harmonies entrent, la musique se gonfle, elle passe de la tête aux oreilles, mais non par une voie intérieure, elle passe du dehors, comme si vraiment je l'écoutais. C'est une température chaude, de même que la température des couleurs est chaude, et en des heures comme celle-ci elle prend à la gorge et accélère la respiration..."

  • La carte postale du jour...

    "Les symphonies ne seront pas vendues. Je ne m'adresserais pas à un éditeur, qui ferait sur elles de l'odieuse réclame, et qui en souillerait la première page avec son nom indifférent. Je les ferais imprimer à mes frais, in-8°, sur papier de luxe, en grands caractères elzéviriens penchés, et le tirage sera de cent exemplaires (...) Pas un exemplaire ne sera mis dans le commerce ; pas un surtout ne sera envoyé aux critiques..."

    - Pierre Louÿs, Journal intime (avril 1890)

    dimanche 11 octobre 2015.jpg

    Parfois je n'ai pas envie d'écrire ; les œuvres parlent d'elles-mêmes dit-on ; je repense à "Bobi" Bazlen, à Trieste et au Stade de Wimbledon adapté au cinéma par Mathieu Amalric où, à la fin du film, Ljuba, vieille dame et grande lectrice qui perd la vue, déclare que seul celui qui n'écrit pas peut se permettre de juger correctement l'écrit ; dans un autre film, celui d'Eugène Green, Le pont des arts, une jeune femme déclare (plus ou moins - je récite de mémoire...) qu'André Breton fut un grand écrivain ; ce à quoi son interlocuteur - un jeune étudiant - répond que s'il avait moins écrit, son œuvre n'en aurait été que meilleure.

    Less is more, écrivait le poète Robert Browning en 1855 déjà... Ainsi Song to the siren de This Mortal Coil (utilisé dans un très beau roman de Cécile Wajsbrot, Totale éclipse) et le petit essai Pour la littérature de Cécile Wajsbrot (again) se passeront de commentaires.

    Reste une pensée pour Marc Dachy qui nous a quitté mercredi dernier et qui avait utilisé, pour son dernier livre, une partie de cette phrase tirée d'une lettre datant de 1917 et adressée par Tristan Tzara à Picabia "Je m’imagine que l’idiotie est partout la même puisqu’il y a partout des journalistes."