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cécile wajsbrot

  • La carte postale du jour...

     

    mercredi 20 décembre 2017.jpg

     

    Avec une pensée souriante pour Mix & Remix qui va bien me manquer et que je ne manquerais pas de relire à Berlin, Place Walter Benjamin, qui se trouve à quelques pas de notre hôtel habituel où nous étions descendu il y a quelques années encore pour passer un agréable séjour, loin du tumulte, comme dans une chanson de Little Nemo.

    https://www.youtube.com/watch?v=5JIG1pwDx54

    Extrait de Berliner Ensemble, l'un des plus beaux textes écrits à propos de Berlin, de Cécile Wajsbrot (publié dans la collection La Ville Brûle) :

     

    "L'ange de l'histoire, écrivain Walter Benjamin dans un texte inspiré de l'Angelus Novus de Paul Klee - son ultime texte avant de se donner la mort -, "Il a le visage tourné vers le passé... Il voudrait s’attarder, réveiller les morts, rassembler ce qui fut détruit. Mais une tempête souffle du paradis (...) qui l'entraîne irrésistiblement incessamment vers ce futur auquel il tourne le dos. (...) Cette tempête, voilà ce que nous appelons le progrès".

    Nous en sommes là aussi, au carrefour des temps, immobiles ou arc-boutés, incertains, à la recherche d'une direction, pris dans des vents contraires." 

  • La carte postale du jour...

    "Les symphonies ne seront pas vendues. Je ne m'adresserais pas à un éditeur, qui ferait sur elles de l'odieuse réclame, et qui en souillerait la première page avec son nom indifférent. Je les ferais imprimer à mes frais, in-8°, sur papier de luxe, en grands caractères elzéviriens penchés, et le tirage sera de cent exemplaires (...) Pas un exemplaire ne sera mis dans le commerce ; pas un surtout ne sera envoyé aux critiques..."

    - Pierre Louÿs, Journal intime (avril 1890)

    dimanche 11 octobre 2015.jpg

    Parfois je n'ai pas envie d'écrire ; les œuvres parlent d'elles-mêmes dit-on ; je repense à "Bobi" Bazlen, à Trieste et au Stade de Wimbledon adapté au cinéma par Mathieu Amalric où, à la fin du film, Ljuba, vieille dame et grande lectrice qui perd la vue, déclare que seul celui qui n'écrit pas peut se permettre de juger correctement l'écrit ; dans un autre film, celui d'Eugène Green, Le pont des arts, une jeune femme déclare (plus ou moins - je récite de mémoire...) qu'André Breton fut un grand écrivain ; ce à quoi son interlocuteur - un jeune étudiant - répond que s'il avait moins écrit, son œuvre n'en aurait été que meilleure.

    Less is more, écrivait le poète Robert Browning en 1855 déjà... Ainsi Song to the siren de This Mortal Coil (utilisé dans un très beau roman de Cécile Wajsbrot, Totale éclipse) et le petit essai Pour la littérature de Cécile Wajsbrot (again) se passeront de commentaires.

    Reste une pensée pour Marc Dachy qui nous a quitté mercredi dernier et qui avait utilisé, pour son dernier livre, une partie de cette phrase tirée d'une lettre datant de 1917 et adressée par Tristan Tzara à Picabia "Je m’imagine que l’idiotie est partout la même puisqu’il y a partout des journalistes."

     

     

     

  • La carte postale du jour...

    "Ne peut-on repenser le béton en roche primitive ? Dans les gravats des chantiers il y a des sources, elles formeront la pente des vallées fraîches."
    - Peter Handke, Par les villages

    samedi 28 mars 2015.jpg

    Je me souviens d'avoir souvent pensé à cet été 1939 - le plus chaud du siècle dit-on -, celui-là même qu'on voit au début du film de Volker Schlöndorff, Le Tambour, adapté du livre de Günther Grass, et de l'avoir comparé à cet été 1989, où, avec l'insouciance de mes dix huit ans, je ne voyais rien de la catastrophe à venir, de la guerre qui allait ravager l'ex-Yougoslavie, de la chute du communisme qui allait entrainer avec lui ceux, nombreux, qui ne pourraient jamais s'habituer au changement, certains même allant jusqu'à s'immoler dans leurs jardins privatifs, et cette même catastrophe dure encore, avec la constance du marteau qui frappe le fer chaud de l'Histoire sur l'enclume du Temps, et tout ça, et plus encore, je l'entends parfois dans le disque d'Einstürzende Neubauten paru en 1989 : Haus der Luege.

    Je me souviens bien à quel point l'album Haus der Luege porte Berlin en lui ; par l'utilisation de son d'une manifestation à Kreutzberg en 1987 (sur le titre Fiat Lux), et surtout dans le texte de Feurio! où Blixa Bargeld cite Marinus (van der Lubbe), l'incendiaire présumé du Reichstag dans le Berlin de '33 ; Marinus l'anarchiste, qu'on retrouve sous le nom de Fish dans la pièce de Brecht intitulée Résistible Ascension d'Arturo Ui - et Blixa d'ajouter "Du warst es nicht, es war König Feurio!".

    Je me souviens aussi que Feurio! et le titre Haus der Luege sont restés deux de mes titres favoris des Neubauten, mais surtout, oui, surtout Haus der Luege, qui à mon avis est le meilleur texte de Blixa, et l'un des titres le plus impressionnant (et représentatif) de ce groupe de Berlin ouest :

     Viertes Geschoss:
     Hier wohnt der Architekt
     er geht auf in seinem Plan
     dieses Gebäude steckt voller Ideen
     es reicht von Funda- bis Firmament
     und vom Fundament bis zur Firma

    https://www.youtube.com/watch?v=JZ4Q9_bDwLY

     

    J'aime Trieste, Leipzig, Bruxelles, mais c'est le plus souvent à Berlin que je reviens. Cette-fois avec deux livres sur la capitale allemande chez l'éditeur La Ville Brûle, déjà responsable il y a environ trois ans de L'Autre Guide de Berlin, décrite alors comme la ville où tout est possible, phrase à laquelle s'ajoute maintenant : mais pour combien de temps encore ? (à ce sujet lire l'excellent petit essai paru chez Allia de Francesco Massi : Berlin, l'ordre règne) Avec délicatesse, en passant par Kafka, Walter Benjamin, en usant de distance, en se laissant dériver aussi, Cécile Wajsbrot décrit le Berlin dans lequel elle a vécu de nombreuses années, consciente des changements actuels, toujours plus rapides d'ailleurs. Le regard qu'elle porte sur cette ville est d'une originalité toute personnelle, c'est l'histoire d'amour d'une artiste envers le Genius Loci (l'esprit du lieu). De son côté, Christian Prigent nous offre lui un texte plus didactique peut-être, mais pas moins intéressant, c'est sûr. Il liste les endroits (souvent détruits pendant la guerre) où ont habité des artistes, et nous invite à suivre des fantômes dans les couloirs du temps et de l'histoire. Deux ballades forcément complémentaires et hautement recommandées. Des initiatives de cette qualité on aimerait en lire sur Trieste, Leipzig, Bruxelles - eh oui.

    extrait de Berlin sera peut-être un jour, de Christian Prigent :

     

    "On fait tout politiquement et architecturalement parlant, pour que cette ville rendue à son leadership administratif soit une sorte de laboratoire d'urbanisme futuriste. Mais Berlin est plus évidemment une ville au conditionnel passé : à Berlin on voit surtout ce qu'on aurait pu, voulu, aimé voir - et qu'on ne voit plus. Les monuments qu'on voit "en vrai" sont pour la plupart des résidus totémiques (l'église cassée du Ku'Damm, les restes théâtraux de la façade d'Anhalter Bahnhof, les pans de murs graffités de Mühlenstrasse, les ex-ambassades auprès du Reich, en état de décrépitude avancée parmi des bouillons de buissons sales et des jonchées de gravats...). Ou bien se sont des carcasses vidées, déplacées et re-remplies (ainsi le musichall Esplanade, où j'entendis Jacques Derrida conférencer sur Paul Celan devant des fresques modern style, a quitté, monté sur roulettes, l'orée de l'ancien quartier des ambassades pour se nicher dans un immeuble neuf de la PotsdamerPlatz). Et quand ce ne sont ni des ruines pathétiques ni des cubes déplacés sans vergogne, se sont souvent des reconstructions façon Viollet-Le-Duc (ainsi une bonne partie du château Charlottenburg), à la manière de ces sites archéologiques qu'on peut voir au Pergamonmuseum dans l'île aux Musées : l'autel de Pergame tout beau tout réparé, le marché de Milet remis sans complexe à neuf, la porte d'Ishtar à Babylone pétant mieux la couleur qu'en scope Hollywood. En quoi ce musée à la fois passionnant et kitsch-péplum est comme une mise en abyme de Berlin tout entier.
    Dit autrement : Rome est un cut-up, un énorme collages de bribes de siècles. Manhattan est une ode musicale, l'érection à la fois sauvage et réglée d'un rêve de grandeur gris-rosé, un poème pongien orgueilleux et sériel. Berlin est un sonnet mallarméen détruit. Comme si cette ville était La Ville - en tant qu'absente de toute ville, et d'abord d'elle-même. Et comme si elle était du coup aussi une sorte de (pur) temps historique, absente de toute (petite ou grande) histoire."

    extrait de Berlin Ensemble, de Cécile Wajsbrot :

    "Tandis que le Palais de la République - construit par la RDA à la place du Château, symbole de l'autocratisme prussien - continue de se déstructurer, devenu carcasse métallique ouvrant des perspectives inconnues, bouclant la boucle des temps - des ruines du château est né le palais devenu ruine d'où naîtra un château reconstruit à l'identique une fois l'argent trouvé -, tandis que le Palais continue de tomber, désossé au centre de la ville, symbole des grandeurs déchues - le forum romain apparut ainsi à Joachim du Bellay lorsqu'il méditait sur le caractère éphémère des empires (mais qui médite aujourd'hui, les voitures passent sans s'arrêter, les ouvriers s'activent à la destruction et parmi eux, peut-être, les fils des bâtisseurs, et les passants doivent batailler contre le bruit et le mouvement s'ils veulent avoir une chance d'accéder à la contemplation de ruines qui n'ont rien de romantique, de poétique - où plutôt si, la poésie urbaine, celle du métal et du chaos, celle du béton et de l'amiante, et des moteurs assourdissants) ? -, tandis que le Palais continue de tomber, succombant sous les coups de ceux qui ne veulent plus voir, qui ne veulent pas savoir, de ceux qui n'ont rien appris, rien oublié, pendant ce temps, les trains continuent de rouler, imperturbablement."

  • La carte postale du jour...

    "La musique, la vraie musique, ne peut jamais être l'arrière-fond de quelque chose d'autre. Elle doit nous remplir — nous vider — de tout."
    - Marguerite Duras, La Passion suspendue (Entretiens avec Leopoldina Pallotta della Torre)

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    Je me souviens d'avoir arpenté les rues de Genève avec un pulls gris-noir où j'avais tagué dessus le nom du groupe de Gavin Friday : Virgin Prunes, de manière très artisanale (un peu de travers donc), et ce souvenir d'un moi se promenant avec l'inscription Prunes Vierges sur la poitrine me fait sourire maintenant, mais je regrette juste de ne pas me rappeler des réactions des passants, dommage.
    Je me souviens bien d'avoir retrouvé ce burlesque, cet attrait pour le cabaret, le théâtre de la cruauté, l'influence d'Oscar Wilde et de Brel, que Gavin Friday aime tant, dans la musique d'Antony & The Johnsons, jusqu'à me demander s'il n'y avait pas plagiat parfois, quand Antony arborait, comme Gavin Friday, son boa sur scène, à ses débuts, et surtout à cause d'une chanson au titre énigmatique - Hitler in my heart - qui figure sur le premier album éponyme d'Antony - et qui me rappelle très clairement l'inscription The "Love Hitler" Cometh..., tout aussi énigmatique, figurant au centre du second album vinyle des Virgin Prunes et qui était aussi un titre inédit joué en concert avant leur séparation, faisant référence non pas à un amour éperdu pour le petit moustachu fan de Wagner mais plutôt au Night of the Hunter (La Nuit du Chasseur), le film de 1955 (dont Gavin est un fan).
    Je me souviens aussi qu'avec Marc Almond de Soft Cell, Morrissey des Smiths, Kristin Hersh des Throwing Muses ou encore Neil Halstead de Slowdive, Gavin Friday fait partie des ces artistes dont j'ai suivi la carrière solo quelques années, pour le perdre de vue, puis le retrouver avec un plaisir décuplé, surtout sur ce magnifique You take away the sun qui évoque un amour perdu :

    You take away the sun for me
    Every time you walk away from me.
    You take away ... I'm alone ... Come Home ...
    You've taken everything from me
    There's nothing left, can't you see
    I'm alone ...
    There was a time when life, it was a bed of roses
    And now time ... Time has taken ...
    You walk into the fire, that keeps burning ... The fire ...
    Oh! my yearning,

    to be holding hands with the one I love

    as the sky turns black there is no above.
    You take away the sun for me.
    Every time you walk away from me.

     

    Eclipse totale également avec ce nouveau roman de Cécile Wajsbrot, composé de quinze chapitres en forme de bande sonore pour évoquer un amour perdu et un amour à venir. Un roman musical certes, mais aussi photographique : description d'un lieu parisien mais aussi d'un personnage désiré qui est à la fois le souvenir et le futur amant. Cécile Wajsbrot réussit un roman dont l'histoire progresse avec douceur, comme cet escalier sur la couverture, qui mène vers l'ailleurs, l'inconnu, ce qui ne se distingue pas encore, mais qui s'imagine. Pour illustrer son histoire, l'auteur convoque et décrit avec beaucoup de passion, de talent, de dextérité, la musique, ou plutôt des chansons, des albums, bien précis, celles et ceux de Leonard Cohen (Famous blue raincoat), This Mortal Coil (Song to the siren), Radiohead (Kid A), Amy Winehouse (Rehab) ou encore Patti Smith (Because the night), pour ne citer qu'eux. Totale Éclipse est une belle réalisation, très originale, presque indispensable pour se dégager du bruit de la rentrée littéraire, en musique, évidemment...

    "À quoi sert une chanson si on ne peut l'écouter dix, quinze fois de suite, si elle n'exprime pas ce qu'on ressent au moment où on l'entend, si elle n'exprime pas mieux qu'on ne le pourrait des choses enfouies ou à fleur de peau, une partie de notre vie ? De retour chez moi j'avais mis un refrain qui me taraudait, une sorte de confidence presque murmurée, once upon a time I was falling in love, now I am just falling apart - autrefois je tombais amoureuse, maintenant je tombe en morceaux. Je n'y peux rien. Totale éclipse du cœur. Rien faire d'autre qu'entendre cette chanson pour la centième fois, trop fort, me laisser submerger par l'orchestration, la voix rauque, et attendre. Attendre qu'il revienne, espérer. Ai-je jamais attendu ainsi ? Quelqu'un que je ne connais pas ? Je croyais avoir renoncé, m'être consacrée à l'art, faire de mon mieux, rendre mon travail unique, en tout cas repérable, voir des expositions, être en contact avec d'autres photographes en pensant toujours à l'art, au métier, atteindre un jour, peut-être, la célébrité, au moins une renommée. Je croyais avoir décidé de donner la priorité aux images et non à ma vie, je faisait des conférences sur l'histoire de la photo, je montrais les premiers reportages, le témoignage lointain de la guerre de Crimée, 1855, la tour de Malakoff prise par Langlois, un fort en ruine et une petite maison de bois qui semble dominer un paysage désertique, une plaine dévastée. Un télégraphe rudimentaire et des ciels retouchés, un ensemble présenté dans un panorama sur les Champs-Élysées - un panorama ? C'est une rotonde où sont exposées des photographies ou des dessins qui permettent de voir un paysage sur 360 degrés. Ou bien Roger Fenton, le photographe anglais apportant son lourd matériel en Crimée, toujours, et cette prise de vues intitulée Valley of the Shadow of Death, vallée de l'ombre de la mort, dont il existe deux versions, l'une où la route est encombrée de boulets de canon, l'autre où la route est vide et les boulets sur le bas-côté. Ont-ils été placés sur la route dans un deuxième temps, pour figurer la présence de la guerre - ainsi que le suggère Susan Sonntag dans une célèbre analyse - ou la photographie vide a-t-elle été prise avant l'autre, les boulets n'étant pas encore tombés ? L'ordre des photos , outre son importance historique, aiderait à déterminer si la photographie des boulets sur la route est une mise en scène - et du point de vue contemporain, une falsification - ou si le reportage montre une réalité. Il m'arrivait de poser ces questions devant un auditoire, et quand je les posais, de m'y intéresser, il m'arrivait de décrypter la fameuse photographie de la prise du Reichstag et du drapeau soviétique flottant sur Berlin, d'Evgueni Khadei, dont on sait aujourd'hui qu'elle ne fut pas spontanée, que le soldat s'y reprit à plusieurs fois pour monter et brandir le drapeau symbole de victoire. Je parlais de guerres que je n'avais pas connues, d'un matériel que je n'utilisais pas, au nom de l'Histoire et de la nécessaire connaissance du passé, mais devant cette ombre d'homme, rien ne tenait plus. Total Eclipse of the Heart, au milieu du refrain - Once upon a time I was falling in love - la pluie avait cessé. And now I am falling apart. Je retourne au café chaque matin en espérant qu'il reviendra. J'y suis à l'ouverture et je n'ose pas partir."