Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mishima

  • La carte postale du jour...

    "Mon intérêt pour la musique a toujours été très personnel et très obsédant. Je ne pense pas apporter le bonheur à l’humanité. J’écris juste une pièce musicale et je la joue."
    - Philip Glass

    lundi 28 mars 2016.jpg

    Je ne me souviens pas exactement quand j'ai découvert Philip Glass, probablement en même temps que Wim Mertens et Michael Nyman, qui sont autant de musiciens que j'associe avant tout avec le cinéma, la musique de Glass, le titre Opening en particulier, résonnant en moi avec le film Le Pornographe (de Bertrand Bonello).

    Je me souviens bien de cet épisode de South Park qui se moque (gentiment) de Philip Glass.

    Je me souviens aussi que c'est le titre Opening, figurant sur cette vieille compilation du label norvégien Unitron, qui a été le déclencheur de son achat, quoique j'aie aussi bien apprécié la pochette ainsi que la citation de Keats qui se trouve à son dos (A thing of beauty is a joy forever), ainsi que la présence de Brian Eno & Harold Budd, Durutti Column et Japan et plein d'inconnus qui le resteront, pour une compilation ambiante et mélancolique avec parfois des passages synthétiques assez vintage et presque désuets, comme si on croisait de la new wave avec du Satie, car oui : on est bien en 1985 ...


    https://www.youtube.com/watch?v=P7NUz5ivqYg


    En 2014, Patrice Robin hésite à accepter une résidence d'écriture dans un hôpital psychiatrique, car sa mère vient de sombrer dans la démence. Il accepte pourtant et note ses allers-retours entre le potager où l'on tente d'occuper les malades et l'hôpital spécialisé où se trouve sa mère qui ne le reconnaît plus. Le ton est humble, sobre, l'écriture est ce que l'on désigne par "blanche", sans fioriture, elle va à l'essentiel, se tient à proximité, mais ni trop près, ni trop loin non plus. On peut éventuellement reprocher l'aspect presque journalistique et finalement pas assez littéraire de ce livre, qui se complait dans une certaine observation sans prendre part, tel un documentaire sans voix off ; reste toutefois une expérience d'une rare intensité émotionnelle pour un auteur qu'on sent perdu des deux côtés de sa vie dont il essaie de retrouver, tant bien que mal, le centre. Pour les néophytes de l'œuvre de Patrice Robin je conseillerais plutôt l'excellent Une place au milieu du monde, paru il y a deux ans et qui se penchait, par le biais de la fiction, sur les ateliers d'écriture ; Des bienfaits du jardinage rappelle néanmoins, et en cela c'est un livre important, que l'écrivain, dans sa survie - survie qui consiste à accepter les animations culturelles, les ateliers d'écritures et les résidences qu'on lui propose -, que l'écrivain donc est constamment ramené à la réalité et que la condition même de la création de fiction, celle-là même qui pourrait être une promesse de liberté totale, eh bien cette liberté est assujettie à l'aspect économique de cette profession bien particulière. Patrice Robin est un exemple parmi tant d'autres, et son nouveau livre l'aboutissement de cette étrange vie qu'est celle de l'écrivain, obligé ici de passer dans une autre réalité, celle de personnes internées en hôpital psychiatrique, toutes différentes, et c'est bien cette multitude étrange qui fait office de jardin sauvage et constitue l'attrait majeur du livre de Patrice Robin.

    Extrait de Des bienfaits du jardinage, de Patrice Robin (publié chez POL) :

    "Je prends souvent un café dans un bar voisin de l'hôpital de jour en attendant l'heure de la séance. Parmi les consommateurs, quelques patients, un buveur de bière au matin, en bonnet de laine, anorak d'hiver, bermuda et baskets sans chaussettes. Il se balance d'un côté sur l'autre, me sourit. Un autre jour, une femme discutant fort avec son compagnon, et moi qu'est-ce que tu veux que je fasse, avec tout ce qu'il y a à payer, le gaz, l'électricité... Ce jour-là, un homme, que je ne connais pas cette fois, s'arrête près de la table où je suis assis, se penche vers moi et me demande s'il a des paupières, si je les vois. Désarçonné, je garde le silence. Il fait de la dysmorphobie, dit-il, ne perçoit pas des parties de son corps parfois. Il a rendez-vous chez son psychiatre, va le lui demander. Je l'approuve. Je le revois la semaine suivante, il me pose la même question. Moins surpris cette fois, je regarde attentivement son visage et le rassure. Il sort de chez son psychiatre qui lui a donné la même réponse. Il dit trois fois qu'on lui fait beaucoup de bien en disant cela, qu'il est content de m'avoir rencontré.
     
     La femme aux cigarettes, me voyant un matin penché au-dessus du parterre où sont plantés les thyms dont j'ai entrepris d'établir la liste comme je l'ai fait pour les pélargoniums et menthes, me propose spontanément de m'en dicter les noms. Nous passons une dizaine de minutes ainsi, elle parle, je note, Thym Capitatus, Thym Atticus, Thym Doré, Camphré, Serpolet, Résineux, Hirsute, Laineux, Foxley, Golden King... Puis elle s'interrompt et s'en va aussi brusquement qu'elle était venue.

     Un jeune homme vient me saluer au début d'une séance puis s'éloigne. Lors de la suivante, il me confie qu'il a été rédacteur en chef du journal de son lycée, m'a apporté un article qu'il veut me faire lire. Il y traite du 11 septembre 2001, date de la séparation de ses parents, précise-t-il. À peine ai-je terminé qu'il me donne deux autres textes de quelques pages. Les roses qui éclosent, les roses qui implosent. Je les lis également. Il tente, dans le premier, de raconter sa vie d'avant sa dépression et, dans le second, sa vie d'après, y parle à nouveau du divorce de ses parents et du 11 septembre, de la guerre en Afghanistan, de la présence de Le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2002, met la grande histoire et la sienne sur le même plan. Son écriture est alerte, je lui dis."

  • La carte postale du jour...

     

    "Nous sommes ceux qui viennent après. Nous savons désormais qu'un homme peut lire Goethe ou Rilke, jouer des passages de Bach ou de Schubert, et le lendemain matin vaquer à son travail quotidien, à Auschwitz."
    - George Steiner, Langage et silence

    dimanche 24 mai 2015.jpg

    Je me souviens que Death In June est le fruit de multiples influences allant de Throbbing Gristle et Joy Division à Ennio Morricone et Scott Walker pour la musique, Les Damnés de Visconti et (surtout) Portier de Nuit de Liliana Cavani pour le cinéma, Yukio Mishima et Jean Genet pour les textes et l'homoérotisme troublant que dégage ce projet, qui, avec le punk G.G. Alin peut-être, fait partie des groupes de musique pop (pour peu qu'on puisse encore désigner ainsi une musique épurée au maximum et au pessimisme qui vous plonge dans un malaise constant!) les plus radicaux de ces dernières trente années.

    Je me souviens bien à quel point Death In June porte en lui toutes les questions liées au dépassement des normes, à la transgression, au lien entre éthique et esthétique,  à la banalisation du mal, et qu'il est difficile de juger son oeuvre sans devoir s'en expliquer préalablement pour éviter un tant soit peu la polémique ; mais je me rappelle aussi de moments amusants comme cette discussion privée (que je me permets de retranscrire ici - vingt ans après, il y a prescription, je crois) où Doug' ne cachait pas que son fantasme était surtout de faire l'amour avec un camionneur australien, ou encore, dans un entretien paru à la fin des années '90, répondant à la question de savoir quel message il aimerait donner à ses fans du sexe opposé, Doug' disait en riant : "Merci de m'envoyer des photos de vos grands-pères avec leurs adresses!"

    Je me souviens aussi que cette compilation intitulée Corn Years fut le premier CD réalisé par Death In June à la fin des années 80, et que cette magnifique réédition contenant deux vinyles colorés (gris-vert, évidemment) est un peu ternie parce que réalisée directement depuis le CD, ce qui donne un son un peu plat, mais heureusement, restent ces chansons où désir et désespoir s'entrecroisent comme sur le morriconesque Come before Christ and murder love, le froid et obsédant To Drown a rose ou encore - mon titre préféré après toutes ces années -, le martial et épique Torture by roses...

     

    Lost the will?
     A germ in foreign blood
     A glimmer of the past
     Power and misery
     Pathetic whore
     To the ignorance of life
     This is the best
     It will ever be
     Think of the things
     That will never be
     Sorrow, the empty well?
     Hollow and useless
     Consume to the inside
     Something I will not hide
     My love wilts on
     My comrade in tragedy
     This is the best
     It will ever be
     Think of the things
     That will never be

    Your image is burnt
     You are dead
     You are nothing
     Yes, I love you

    https://www.youtube.com/watch?v=u_YJQ5iydX4

     

    Nicole Malinconi fait partie de ces auteurs qui n'ont pas passé le cap du premier livre aux éditions de Minuit, car oui : elle a fait paraître son très durassien premier roman au mitan des années 80 sous la prestigieuse étoile des éditions de Minuit. Malheureusement Jérôme Lindon ne validera pas le manuscrit suivant, ce qui vaudra à l'auteur de faire paraître ses livres à un rythme régulier, certes, mais chez (trop) de différents éditeurs. Pour ma part je l'ai découverte il y a quelques années pour son magnifique roman À l'étranger, qu'il faut lire absolument car il raconte - avec cette écriture du réel qui lui est chère -, le retour aux pays d'exilés italiens ; un retour voué à l'échec, un retour voulu par le mari, regretté par son épouse, un retour "vu" par la petite fille qui est la narratrice de ce court mais admirable roman - c'est un livre bouleversant. C'est donc avec plaisir que je découvre Un grand amour, paru aux éditions l'Esperluette. Je retrouve son écriture sensible, serrée, son souci de traiter le réel sans fioriture. Partant du livre de la journaliste Gitta Sereny paru dans les années septante  (un livre d'entretiens avec Franz Stangl, ex-commandant du camp d'extermination de Treblinka, qui avait réussi à s'échapper avec l'aide de l'église catholique pour l'Amérique du sud, où il vécut seize ans avant d'être enfin arrêté et remis à la justice allemande), Nicole Malinconi se met dans la tête de la femme de Franz Stangl, Theresa Stangl, qui, par amour pour lui, est toujours restée à ses côtés tout en condamnant ses actes. C'est donc un livre qui revient sur la guerre, la découverte des atrocités commises par les nazis, du point de vue de cette femme dont le seul désir est de vivre près de son mari, de leurs enfants, mais qui, à l'arrestation de Franz, est obligée de faire face au resurgissement du passé. Un grand amour est un livre perturbant, bien écrit, efficace, qui pose les bonnes questions dont celle de la responsabilité de chacun, presque égal à la puissance dramatique du roman philosophique de Georges Steiner "Le transport d'A.H." (1981)  dont je ne peux que recommander la (re)lecture. 

    extrait de Un grand amour, de Nicole Malinconi :

     

    "Tenter d'approcher ensemble une vérité, m'a dit la journaliste. Moi, à force de lui parler, je croyais que ma vérité c'était notre amour à lui et moi, que l'amour m'avait guidée durant toutes nos années et même après, même là devant elle, tandis que je parlais. La force de l'amour, elle devait l'avoir comprise déjà, quand ils s'étaient rencontrés ; elle l'avait entendu lui dire combien il avait de désir pour moi, combien je lui manquais. Autrement, elle ne m'aurait pas posé sa question, à la fin, ou bien il lui en serait venu une autre : elle n'aurait pas pensé justement au pouvoir de l'amour, à ce qu'il peut exiger quelquefois que l'on fasse ; ni donc supposé qu'ainsi, à cause de l'amour, j'aurais pu demander à mon mari de choisir entre Treblinka et moi, lui dire de quitter Treblinka sans quoi moi et les enfants nous allions le quitter. Elle ne se serait pas demandé non plus ce qu'il aurait alors décidé, en réponse, ni ne m'aurait demandé à moi ce que je croyais qu'il aurait décidé, si je le lui avais dit.

    Elle me l'a demandé."

  • La carte postale du jour...

    "Ah ! vous le pouvez bien croire, que si ma main vouloit écrire, ce seroit pour vous assurément ; mais j’ai beau lui proposer, je ne trouve pas qu’elle veuille. Cette longueur me désole. Je n’écris pas une ligne à Paris, si ce n’est l’autre jour à d’Hacqueville, pour le remercier de cette lettre de Davonneau, dont j’étois transportée ; c’étoit à cause de vous ; car pour tout le reste, je n’y pense pas. Je vous garde mon griffonnage ; quoique vous ayez décidé la question, je crois que vous l’aimez mieux que rien : tout le reste m’excusera donc"
    - Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné,  8 mars 1676

     

    dimanche 8 mars 2015.jpg

     

    Je me souviens d'avoir d'abord adoré la boîte à rythme, puis le hoquet de la basse, puis la voix, belle et chaude, et ce texte qui nous dit que l'amour ne tue plus mais qu'il fait toujours aussi mal, et le refrain répétitif - On ne meurt plus d'amour -, et finalement le synthé joliment vintage, tout ça sonnait désespérément so eighties, c'était parfait, j'allais pouvoir caller ce titre de Robi entre Wax & Wane de Cocteau Twins et So long my love de Tomorrow's World.

    Je me souviens bien de mon bonheur quand je suis tombé sur ce quarante-cinq tours (récemment en fait, mais il est paru en 2012 déjà), parce qu'il est sobre et beau, et aussi parce que sur la face B j'ai découvert la reprise de la chanson triste intitulée Il se noie composée par les coldwaveux français Trisomie 21 et qui se trouve sur leur premier disque datant de 1983, revisitée ici par Robi dans une version respectant l'originale, l'égalant même.

    Je me souviens que lors de ma dernière soirée Disorder! au bar Le Cabinet, en janvier dernier, ne sachant plus trop quoi passer en fin de soirée, j'ai remis ce disque de Robi pour la seconde fois (quand on aime on ne compte pas) et les deux jeunes punkettes qui dansaient juste devant moi ont repris en cœur le refrain, c'était vraiment bien...

     j’avance nue
     mes larmes brûlent
     je me relève
     au levant
     un peuple est seul
     ceux qui me veulent
     m’auront
     autant qu’avant
     j’ai rien appris
     rien chaque fois
     sinon qu’on n’en meurt pas
     sinon qu’on n’en meurt pas
     c’est la nuit
     ô triste jour
     on ne meurt plus d’amour

     

    J'ai découvert Marguerite Yourcenar il y a longtemps par cet essai sur Mishima, auteur japonais suicidé en 1970 ; ce dernier était alors l'une de mes obsessions parce que cité comme influence majeure - avec Jean Genet - de nombreuses chansons du groupe Death In June sur deux albums sorti dans la seconde moitié des années 80 et que j'écoutais beaucoup. Peu après j'avais découvert L'Œuvre au noir de Yourcenar, magnifique roman initiatique que j'avais lu à la suite de Narcisse et Goldmund d'Hermann Hesse, je ne sais plus trop pour quelle raison d'ailleurs. Et puis j'avais visité la Villa d'Hadrien à Tivoli, près de Rome, et, à mon retour, acheté les Mémoires d'Hadrien de Yourcenar, son "classique", que j'avais lu avec beaucoup d'ardeur. Je m'étais alors intéressé à la vie de cette écrivaine et appris qu'elle disposait, chez elle, dans sa maison à Petite Plaisance, aux Etats-Unis, de nombreuses peintures, de sculptures, de gravures, de statuettes antiques, de milliers de livres et de photographies, formant ainsi le "puzzle iconographique" d'une vie ; elle disait d'ailleurs que "les murs d'une maison, c'est presque un recueil de souvenirs. Des documents sur ce qu'on a fait". Dans ce "musée imaginaire" que je fantasmais probablement plus que de raison, se trouvait une reproduction d'une Méduse comme on peut en voir au musée des Thermes ; j'étais fasciné par cette figure à l'œillade assassine, séductrice et fascinante, et qui revenait sans cesse me hanter : la Méduse du Caravage qu'on découvre furtivement au commencement du film La grande menace (je préfère son titre anglais : The Medusa Touch), une chanson nommée Medusa sur le premier album solo (The Eye of the Hunter, 1999) de Brendan Perry, l'effrayante Tête sur tige de Giacometti qu'il m'avait été donnée de voir dans un musée, certaines œuvres du belge Fernand Khnopff et particulièrement l'Aile bleue... Succession de clin d'œil, de rappels, de truchements, que je nomme mes "correspondances" avec Yourcenar et qui me ramènent ainsi sans cesse vers cette écrivaine, qui, au fil des années, est devenue rien moins que mon idole, et particulièrement pour ce petit mais essentiel livre sur Mishima que je me fais une fête de relire, bien souvent ; Yourcenar disait d'ailleurs "J'aime beaucoup lire, j'aime aussi beaucoup relire, comme les amateurs de musique aiment à rejouer un même morceau, à faire de nouveau tourner un même disque"."

     

    "COMMENT SE FAMILIARISER AVEC LA MORT ou L'ART DE BIEN MOURIR. Il y a chez Montaigne des messages analogues (on en trouverait aussi de tout contraires) et, chose plus curieuse, un paragraphe au moins de Madame de Sévigné, méditant sur sa propre mort en bonne chrétienne, qui rend quelque peu le même son. Mais c'était encore l'époque où l'humanisme et le christianisme regardaient sans ciller leurs fins dernières. Toutefois, il semble ici qu'il s'agisse moins d'attendre la mort de pied ferme que de l'imaginer comme l'un des incidents, imprévisible dans sa forme, d'un monde en perpétuel mouvement dont nous faisons partie. Le corps, ce "rideau de chair" qui sans cesse tremble et bouge, finira déchiré en deux ou usé jusqu'à la corde, sans doute pour révéler ce Vide que Honda n'a perçu que trop tard et avant de mourir. Il y a deux sortes d'êtres humains : ceux qui écartent la mort de leur pensée pour mieux et plus librement vivre, et ceux qui, au contraire, se sentent d'autant plus sagement et fortement exister qu'ils la guettent dans chacun des signaux qu'elle leur fait à travers les sensations de leur corps ou les hasards du monde extérieur. Ces deux sortes d'esprits ne s'amalgament pas. Ce que les uns appellent une manie morbide est pour les autres une héroïque discipline. C'est au lecteur de se faire une opinion."