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Blog - Page 46

  • Voyage en Serbie (3)

    Mercredi 18 juillet, veni, vidi, Dimitri …

    Il faut donner du temps au temps dit Cervantès, et Proust déclare aussi justement que les jours sont peut-être égaux pour une horloge, mais pas pour un homme. Deux journées à Belgrade auront suffi à me faire perdre la notion de ce temps qui me manque tant à Genève. Le rêve. Je suis en mode aléatoire, en pleine dérive, et cette nouvelle journée peut commencer par un vrai déjeuner qu'il me faut alors quérir sur la Knez Mihailova, la rue piétonne où se côtoient boutiques chics et galeries d'art ainsi que de nombreux musées en phase de ré-ouverture annoncée parfois depuis quelques années. Knez Mihailova est aussi le lieu favori d'une sorte de jet-set belgradoise dont la représentation type est la jeune fille en fleur se distinguant par le port d'une robe ravissante, à l'allure inabordable, lunettes noires sur le nez dans une pose impériale. En bordure de cette rue c'est le nom d'un café qui  attire subitement mon attention : Petit Prince (Mali Princ). J'y vois un signe, je m'y assieds et, ô bonheur, la carte propose de nombreux pains maison, sandwichs divers et croissants appétissants. C'est Byzance à Belgrade, ce qui, au regard de l'histoire, est, somme toute, parfaitement normal.

    Après avoir comblé mon estomac, c'est mon désir de culture qu'il s'agit de satisfaire et je pars découvrir le musée Zepter et sa collection d'art contemporain serbe. Une erreur d'appréciation des bâtiments me fait entrer dans une galerie qui expose, à ma grande surprise, Petar Omcikous, peintre serbe dont nous possédons quelques tableaux à la librairie. L'ahurissement parvient à son comble lorsque je tombe face à face avec le portrait de Dimitri, de son vrai nom Vladimir Dimitrijevic, grandP1020231.JPG éditeur (L'Âge d'Homme) et propriétaire de la librairie, décédé le 28 juin 2011 dans un accident de voiture. Je vais immédiatement demander le droit de me prendre en photo près du tableau, ne négligeant aucun détail quant à cette heureuse coïncidence qui me fait me retrouver là juste devant le portrait de celui qui m'a engagé deux ans et demi plus tôt, me faisant immédiatement l'éloge du peintre Petar Omcikous. Plus ennuyé que médusé par mon histoire, le gardien se contente d'une réponse laconique : Faites donc ce que vous voulez ... ce que je m'empresse de faire, puis je visite l'exposition composée principalement de portraits réalisés depuis les années 50 jusqu'au plus récent, effectué en 2010 si mon souvenir est bon. Passé du figuralisme à l'abstraction, pour revenir au figuralisme, le style d'Omcikous approche son paroxysme dans ses portraits. J'aime particulièrement celui de l'écrivain genevois Georges Haldas en rêveur mélancolique qui cherche ses pensées perdues dans un halo verdâtre de fin de journée de juin. C'est une belle exposition qui me donne envie, dès mon retour à Genève, de me plonger dans la lecture du livre sur Omcikous signé Milija Belic et édité à l'Âge d'Homme. Après ça, le musée Zepter, pour intéressant qu'il soit, ne me laissera pas de grands souvenirs. Par contre à sa sortie je jette un oeil à la petite librairie qui jouxte l'entrée du musée et j'y découvre un excellent choix (en serbe) de littérature. W.G.Sebald, Hannah Arendt, Walter Benjamin, et bien d'autres grands noms, honorablement exposés à l'instar des nouveautés vulgaires qui encombrent habituellement les étals des libraires peu inspirés... chapeau  bas.

    Un petit tour à la plage puis retour en ville pour mon premier rendez-vous avec les autochtones, à savoir Bojan, jeune accordéoniste du formidable groupe de post-rock baroque Orkestar "Gradovi utočišta" (voir Vendredi 20 Juillet), qui m'emmène sur les remparts de la forteresse Kalemgdan qui surplombe le Danube et la Save, bel endroit ouvert toute la nuit et possédant quelques terrasses avec des cafés. Ce soir-là a lieu le vernissage du CD 2titres artisanal de Lula Mae, une formation où Bojan joue de l'harmonica. Si l'originalité de Lula Mae n'est pas à chercher dans sa musique qui digère bien les influences pop indé' anglo-saxonnes comme de très lula mae.jpgnombreux groupes européens, sa saveur se trouve plutôt dans la voix de sa chanteuse et la langue, le serbe, dont les sonorités se font ici plus délicates. Mais ce soir le groupe ne joue pas. En effet Milica, Zorana et Bojan se relaient aux platines pour une sélection musicale incluant bien sûr leurs propres titres, mais aussi Elliott Smith, Johnny Cash, The National et bien d'autres jolies choses. La soirée se prolonge juqu'à minuit, à boire des canettes de bière sans manger dans une ambiance sympathique, à parler de la Suisse et de la Serbie avec Bojan et ses amies Mina et Maria. Passablement éméché je vais me prendre un Giros plein de frites au retour. Le lendemain j'ai un peu mal aux cheveux et le Giros au poulet laisse quand même un drôle de goût dans le bec...

    À suivre ...

  • Voyage en Serbie (2)

    Mardi 17 juillet, vélo, risotto, et à l’eau … 

    Déjeuner à Genève c’est le plus souvent poser son postérieur au café du coin, commander un café, ou un espresso, un croissant, éventuellement une tartine, un pain au chocolat les jours de fêtes. C’est simple, et bon. En Serbie le déjeuner c’est plutôt une assiette de charcuterie (voir la note vendredi 20 juillet pour une plus ample description), du yogourt, une omelette. Mais moi j’ai envie d’un pain au chocolat – après tout : c’est les vacances. Je descend donc au bas de ma rue dans un café-bar lounge réputé pour ses gâteaux, ses sièges cossus, sa musique électronique fade qui n’a rien à envier à celle que nous rabattent chaque été nos djs locaux branchés soit dit en passant fin de la parenthèse,  et ses blondes péroxydées qui viennent le soir chercher un partenaire musclé qui aurait réussi dans les affaires. Déception : à cette heure pas de blondes peroxydées. Pire encore, pas de croissant ni de pain au chocolat. Je vais donc engloutir une tranche de forêt noire très riche en calorie, très cacaotée puisque même la crème chantilly habituellement blanche est noire ! Avec un espresso minuscule, c’est un déjeuner tout à fait atypique qu’il m’est donné de consommer, n’empêche : c’est drôlement bon. Mais après ça, place au sport…

     

    Pont sur BelgradeUn vélo pour la journée coûte à Belgrade au bas mot dix fois moins cher qu’ici, en Suisse, et c’est à vous dégoûtter de rentrer au pays. Il n’est pas demandé de payer à l’avance, ni quand est-ce que vous comptez rendre le vélo. Ce dernier est dans un parfait état et une longue ballade au bord du Danube peut commencer en remontant d’abord la Save sur environ deux kilomètres jusqu’au premier pont reliant le centre-ville et Novi Belgrade. Là il est proposé de prendre un ascenceur pour grimper sur la passerelle de béton, une idée qui vous économise un énorme trajet ainsi que le trafic routier intense aux abords du pont en question. À ma grande surprise je découvre qu’il y a un monsieur dans l’élevateur qui est là pour appuyer sur le bouton, et accessoirement faire signe aux cyclistes de se dépêcher de monter. Il n’a pas l’air tellement heureux, il faut dire qu’appuyer sur monter et descendre une journée entière ça doit carrément donner envie de rendre son petit-déjeuner. Je le remercie et file à vive allure rejoindre la rive opposée, puis j’accompagne la Save jusqu’au Danube et remonte celui-ci sur une piste cyclabe joliment disposée dans un immense parc de gazon partiellement brûlé par le soleil estival. Les ombres des arbres épars sont comme autant d’oasis de fraîcheur et le spectacle des barges qui font office de clubs et restaurants, flottants tout au long des deux fleuves, est une expérience inédite. À cette heure-ci la plupart sont bien sûr fermés, prenant des airs délaissés, coquilles vides qui ne demanderaient qu’à se laisser aller le long du Danuble et son lent cours immuable. Cette jolie ballade me mène enfin à Zemun, jolie bourgade coincée entre Novi Belgrade et le Danube et qui garde un aspect rural, et même austro-hongrois d’après le guide touristique. Cette pause à Zemun sera l’occasion pour moi de déguster un très bon risotto à la seiche et de me rappeller être tombé dans les années 90 et par le plus grand des hasards sur l’émission culinaire d’Alfred Bioleks : Alfredissimo!  un joli nom évocateur, bien que Achtung kochen! aurait été amusant aussi, mais peut-être moins convenable pour la télé allemande. L’invité ce jour là n’était autre que Blixa Bargeld, du groupe allemand mythique Einstürzende Neubauten, compositeur de la plus géniale chanson qu’il m’ait été donné d’entendre depuis la fin des années 80 : Haus der Luege. Il fut aussi guitariste au sein des Bad Seeds de Nick Cave, lorsque celui-ci faisait encore de la bonne blixa.jpgmusique…  Pour celles et ceux qui ignorent tout de Blixa Bargeld, de son vrai nom Christian Emmerich, sachez que c’est un sympathique et original dandy toujours de noir vêtu à la voix proche de celle de l’acteur Otto Sanders* et qu’il est un aussi un amateur de bonne chair. Durant cette émission* Blixa prépara un risotto à l’encre de seiche du plus bel effet, accompagné d’un pinot blanc de la région de Baden. Moi le mien sera de la région de Vrsac si je me souviens bien, un lieu réputé pour ses vignobles, dans la partie serbe proche de la Roumanie. Un régal, le vin, comme le risotto noir.

    Le reste de la journée s’est passé sur le vélo, puis à Ada Ciganlija, la plage et le lac artificiels de Belgrade très en amont sur la Save. Un endroit agréable pour les chaudes journées pour peu que vous aimiez la musique. En effet chaque buvette / bar qui s'y trouve, à environ vingt mètres  d'intervalle, propose de la techno, musique latino, turbo-folk etc ambiance club med’ garantie. J’y ai pris un café glacé, un bon bain ainsi qu’un coup de soleil. La routine en somme…

    À suivre …

    * L'émission avec Blixa : http://www.youtube.com/watch?v=PdBrATEMPjM

    ** Otto Sanders joue, entre autres, dans Les Ailes du Désir de Wim Wenders

  • Voyage en Serbie (1)

    Lundi 16 juillet, bienvenue en Serbie …

    Mon seul et unique visa, en dix ans de passeport...La Serbie c’est un peu plus de 7 millions d’habitants, à peine plus grand que la Suisse et puis c’est tout juste trois heures de vol depuis Genève via Zürich ; Destination moyennement prisée des touristes, celle-ci fait en effet hausser les sourcils de vos amis, la surprise laissant rapidement place à l’inquiétude et parfois même à la suspicion. Pour moi la Serbie ça commence par le contrôle obligatoire à la douane en arrivant à l’aéroport Nicolas Tesla près de Belgrade. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas Nicolas Tesla, celui-ci a servi de modèle à l’excellente fiction biographique de Jean Echenoz : Des éclairs, et comme dit John Ford : entre la vérité et la légende je choisirais toujours la légende - je préfère moi aussi m’en tenir à celle-ci, donc au roman de Jean Echenoz, un auteur que j’estime beaucoup par ailleurs… mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos barrières que sont nos frontières, qu’il s’agit de franchir, passage douanier obligatoire. Mon passeport est longuement étudié puisque j’y ai disposé il y a longtemps de cela une photo où j’ai franchement l’air d’un vendeur d’armes, ce qui, pour le coup, parait être un bon choix lorsqu’on se rend dans les Balkans, un avis visiblement peu partagé par mon douanier serbe qui me demande si c’est la première fois que je viens en Serbie, ce à quoi je réponds par l’affirmative. Il me souhaite ensuite welcome in Serbia, ce qui me réjouit beaucoup et me motive à répondre par un souriant remerciement en Serbe : Hvala! Quand le douanier me regarde d’un air médusé et réitère sa question, je comprends mon erreur… il ne me souhaite pas la bienvenue mais veut savoir ce que je viens faire dans son pays – why do you come in Serbia ? Tourisme et visite à des amis musiciens. Mon passeport est à nouveau longuement étudié. C’est qu’il échoue en janvier 2013 et ne possède aucun visa, de quoi décontenancer la plupart des douaniers d’Europe. Finalement mon précieux sésame m’est rendu en compagnie d’un have a good stay modérément sympathique, et, évidemment, plutôt expéditif.

    Une rue de belgrade

    Rentrer dans Belgrade depuis l’aéroport et par l’autoroute cela signifie avant tout traverser Novi Belgrade, ville nouvelle sortie de terre durant le vingtième siècle pour parer à l’augmentation de la population. C’est un long défilé de blocs grisâtres aux formes disparates quoique souvent étonnantes, cité moderne de type soviétique, dont le plan a, semble-t-il, été influencé par ceux de Le Corbusier. Je ne vais pas m’attarder dans la description, n’ayant pas eu l’occasion de visiter cette partie de Belgrade. Je passe en effet le pont, au-dessus de la Save, pour pénétrer dans le centre-ville. Si l’incertitude était longue et semblait permanente en traversant la nouvelle ville, l’ancienne fait l’effet d’une certitude brutale : le touriste, pour informé qu’il soit, ne pourra jamais cerner cette capitale! Ici un hôtel particulier du plus grand style, là une fabrique abandonnée, là le résultat malheureux de la politique de Milosevitch et des bombardements de l’Otan de 1999 sous la forme de bâtiments officiels éventrés dont certaines parties pendent nonchalamment dans le vide, puis des bâtiments culturels, des magasins, encore des ruines, des maisons dépouillées de toute activité humaine alors qu’elles sont si belles, et puis l’ambassade des États-Unis, reconnaissable par son drapeau bien sûr, mais surtout parce que toute ses fenêtres sont murées, transformant cette belle bâtisse en bunker discret. Il faut lire ces quelques lignes du Nobel de littérature Ivo Andric pour comprendre un tant soit peu Belgrade… 

    Cette grande ville, paraît-il, a toujours été comme ça: déchirée, dispersée, comme si elle n’était jamais tangible et réelle, mais toujours en création, en restauration. D'un côté, la ville se développe et grandit et d’autre elle est fanée et ruinée. Elle est toujours émouvante et vague, jamais en repos. La paix et la tranquillité n’y existent pas. La ville de deux rivières, la grande surface,  serrée par les vents.

     

    MythiqueLa capitale serbe est en somme un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme, pour reprendre les mots de Winston Churchill à propos de la Russie. Cette ville n’est ni réellement accueillante, ni totalement repoussante, et il faudra plusieurs jours pour découvrir ses multiples facettes, bonnes et mauvaises. Il s’y dégage une atmosphère propice à la flânerie, à l’errance, à une forme de dérive qui fait écho au procédé des situationnistes, se définissant comme une technique du passage hâtif à travers des ambiances variées. Après avoir dérivé le flâneur finit par échouer sur la terrasse de l’un des nombreux cafés de la ville. Les bières y sont bon marché, ainsi que la nourriture, dont les célèbres cevapcici, héritées de l’empire Ottoman. Qui dit Cevap, dit restaurant Walter Sarajevo. Le nom intrigue, plus encore lorsque vous découvrez son panneau extérieur représentant un homme muni d’un fusil en joue ! Il me faudra attendre quelques jours pour en apprendre plus sur le nom de ce restaurant et son logo invraisemblable. Il s'inspire du film yougoslave très populaire de 1972 : Valter brani Sarajevo (Walter sauve Sarajevo). Inconnu (et introuvable) dans nos contrées, le film a eu un succès monumental dans la Chine communiste avec plus de 350 millions de spectateurs. Son héros – Valter – passe son temps à dégommer des soldats allemands pendant la seconde guerre mondiale. Le protagoniste a réellement existé. Mort en 1945 à Sarajevo, il est devenu l’image même de la résistance à l’occupant nazi. Le jour avant mon départ pour la Suisse je vais trouver une copie DVD de Valter brani Sarajevo et la rapporter comme souvenir de ce voyage surprenant.

    à suivre ...

     

     

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