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metal urbain

  • La carte postale du jour...

    "Je pense que le terme de loisir en est venu à désigner trois cas de figure complètement différents : avoir le droit de faire quelque chose, avoir le droit de faire tout ce que l'on veut, ou encore (et c'est probablement ce qu'il y a de plus rare et de plus précieux) avoir le droit de ne rien faire. Il ne fait aucun doute que le premier s'est développé de façon importante dans notre vie sociale récente, ce qui est probablement des plus bénéfiques."
    - G. K. Chesterton, Essais choisis

    vendredi 3 avril 2015.jpg

    Je me souviens que Sexy Sushi ont fait leur entrée fracassante dans ma discothèque en 2010, avec le disque Tu l'as bien mérité, principalement à cause du titre L'idole des connes, et que chaque écoute me fait penser qu'ils sont un peu les Métal Urbain / Bérurier Noir du vingt et unième siècle.

    Je me souviens bien que Sexy Sushi sont passés au festival Electron en 2014 (un festival que le monde entier nous envie - fierté des genevois de mauvaise famille) et que, comme d'habitude, tel un flan, je suis resté dans mon canapé ; si je n'étais pas aussi fainéant, je crois bien que je pourrais m'en vouloir.

    Je me souviens aussi que, lorsque le disque Vous en reprendrez bien une part est sorti, j'ai très vite choisi le titre J'aime mon pays pour le passer dans mes soirées Disorder!, mais qu'avec le recul j'aime aussi beaucoup le cyclique et obstiné Calvaire, et aussi le cri de rage de Je refuse de travailler :

     

     Je refuse de travailler,
     ça m'empêche de bouquiner,
     ça m'empêche de me promener et de planer
     en espérant que les abrutis vont crever
     en calculant leurs abattements.

     Je refuse de travailler !
     Oui je refuse de travailler !

     Je refuse de travailler,
     j'ai de la haine pour ma banquière,
     je voudrais qu'elle se coince elle-même
     la tête dans la portière.
     Je voudrais que sa belle voiture
     se foute dans un poteau
     mais qu'avant elle me procure
     pour que j'accède au magot.

     Je refuse de travailler,
     je préfère l'amour en mer.
     C'est une question de tempo,
     Marie-Galante, Acapulco.
     En tous les cas je ne veux rien faire.

    https://www.youtube.com/watch?v=aD4thXRn80M

     

    Quand j'ai vu que François Bégaudeau partageait un entretien avec Iegor Gran dans l'Obs' - parce que leurs livres ont en commun la critique du milieu littéraire (ce qui n'est pas tout à fait le cas de La revanche de Kevin de Iegor Gran à vrai dire, c'est plus fin que ça) -, je me suis précipité sur La Promesse. Au fil des presque 300 pages, l'auteur fait la chronique du milieu du livre auquel il prend part, ou essaie de prendre part, s'y perd ou s'en détache tout en y participant pleinement (c'est parfois difficile à savoir ou à comprendre). Il y a des pages radicales, parfois drôles, de beaux passages aussi (notamment sa rencontre avec Edouard Levé), quelques erreurs (il dit écouter Benjamin Biolay mais retranscrit les paroles de La Forêt de Lescop?!?) ; sa prise avec le réel, l'absence de fiction (pour les deux premiers tiers du roman), son cynisme exacerbé laissent peu de place à l'empathie, et parfois conduisent jusqu'au malaise... Au même titre que Despentes et Houellebecq, auquels je préférerais quand même Eric Laurrent (Les découvertes) ou Nicolas Fargues (La ligne de courtoisie), François Bégaudeau est un observateur de son époque (la nôtre), et en cela : vaut la peine d'être lu, même si - bémol -, le livre est pesant sur la longueur. Pourtant, ce livre n'est pas uniquement centré sur le monde du livre (plus que sur le monde littéraire d'ailleurs), il est aussi une bonne réflexion sur le "travail", ses valeurs actuelles. Et puis reste des pages où l'encre est remplacée par de l'acide, ou bien ces quelques passages qui font allusions au revenu de base, qui permettrait à ceux n'ayant pas envie de travailler de ne rien faire, ou faire ce qu'ils veulent (!), discussion autour de ce thème qui battait son plein à la même période, en Suisse ; et j'acquiesce totalement quand Bégaudeau, lucide, déclare (dans l'entretien), au sujet des salons et foires et autres fêtes du sl... livres, pardon : "Dans un autre livre, j’ai appelé ça TSL: tout sauf les livres. On est dans l’apologie du livre comme point de résistance face à la barbarie. Mais le contenu, c’est le grand absent."

    extrait du La promesse, de François Bégaudeau :

     

    "Dimanche prochain la Suisse organise une votation sur le revenu inconditionnel à vie, autrement appelé
     - Long sucré ça va ?
     - Oui.
     Elle s'assoit à côté pour tromper son ennui. À part cafetière elle ne voit pas à quoi elle sert. C'est fréquent d'être payé à rien branler ou c'est juste elle ?
     - C'est fréquent.
     Son contrat prévoit trente heures hebdo mais franchement pour ce qu'on lui demande dix suffiraient. Elle aimerait faire de l'antenne, on ne lui proposera rien. Déjà qu'ils virent les anciens, on les voit mal créer des postes pour les bleus. Elle raccompagne à l'ascenceur un quatuor d'éditorialistes surgis du studio roi de France Inter. Pendant une heure ils ont passé en revue l'actualité. Ce sont des observateurs du pouvoir. Ils ne le lâchent jamais des yeux. Quatre d'entre eux publient aussi des romans. S'ils étaient fonctionnaires ils seraient à la retraite. Dimanche prochain la Suisse organise une votation sur le revenu inconditionnel à vie, autrement appelé revenu de base inconditionnel. Ses initiateurs en escomptent qu'il
     - Vous lisez le Monde ? Vous avez moins de soixante ans pourtant.
    C'est l'animateur. Son ton est assuré, son nom sans particule. Il a lu le même article qu'il trouve abscons.
    - Je vous introduis ?
     Pourquoi pas. Dans le studio, une CDI à tee-shirt cheap rehaussé par son extraction conclut le flash par l'événement culturel de la semaine, la diffusion sur M6 de la saison 5 de Mad Men. On y sera sans faute, ponctue l'animateur. En off il la félicite pour son bronzage de ski pascal.
    - T'étais où ?
    - Courche.
    - Y avait de l'ambiance aux Caves ?
    - Moyen.
     Pull moulant boutonné à l'épaule, il habite le neuvième arrondissement. Il ne va pas tarder à prendre la décision personnelle de se laisser pousser la barbe. Il me trasmet une demande de test micro.
    - Dimanche prochain la Suisse organise une votation sur le revenu inconditionnel à vie, autrement appelé revenu de base inconditionnel. Ses initiateurs en escomptent qu'il révoque les contrôles avilissants auxquels sont soumis les bénéficiaires d'allocations sociales, et que chacun soit libre de jouir de la brève finitude qui lui est échue. ça ira ?
     Derrière la vitre le réalisateur hoche une tête sympa service public. Tiens tant qu'il y pense l'animateur voudrait une adresse pour m'envoyer son premier roman publié en mai.
    - Pour une fois je ne fais pas parler les autres mais moi.
     En s'allumant l'ampoule rouge lui donne une voix profonde. Il annonce d'emblée une petite surprise pour l'invité du jour. D'un bras il lance un morceau de Green Day, sourire farceur comme s'il exhumait une vidéo caméscope où j'ai pissé au lit. Everybody loves a joke. Il écourte pour ne pas casser les oreilles auditrices habituées aux chansons électrifiées a minima. Lumière rouge.
     - C'était une petite madeleine de votre folle jeunesse punk.
    - Bien le prendre est poli et lâche. Mal le prendre est impoli et brave.
    - Vous avez honte de ces années ?
    - J'ai honte pour vous."

  • La carte postale du jour...

    "J’ai le plus profond respect pour le mépris que j’ai des hommes."
    - Pierre Desproges, Fonds de tiroir

    dimanche 22 février 2015.jpg

    Je me souviens d'avoir toujours apprécié Ludwig von 88, groupe punk à l'ironie grinçante, à l'humour décapant, au fiel antigivrant, un peu comme les BD Jean-Claude Tergal que nous lisions entres amis, alternative riante aux lectures sérieuses des Chants de Maldoror de Lautréamont et Sur les Cimes du Désespoir de Cioran, Ludwig von' représentait ainsi une pause, un bol d'air, une gorgée de citronnade fraîche en plein désert, à la musique anglo-saxonne - adulée encore aujourd'hui - avec Closer de Joy Division, If I die, I die... des Virgin Prunes et autre Pornography des Cure, et peut-être était-ce là, finalement, cette harmonie tant recherchée ?

    Je me souviens bien à quel point j'ai ri quand j'ai ouvert pour la première fois le livret de Ce jour heureux est plein d'allégresse, découvrant les collages humoristiques agrémentés de citations détournées, comme celle de Pierre Boulez : "Le jazz n'est qu'une musique de drogués", ou celle de Joseph Staline : "L'amour est le fruit de la décadence bourgeoise impérialiste".

    Je me souviens aussi d'avoir toujours eu un faible pour les vieilles boîtes à rythmes, avec ici un son bien clinquant comme j'aime grâce à la production d'Éric Débris (ex-Métal Urbain!), surtout sur mon titre favori, New Orleans, mais aussi sur Sous le soleil des Tropiques, dont on reprend le texte tous en coeur :

     Sous le soleil des tropiques
     J'irai claquer tout mon fric
     Je dépenserai des millions
     A t'égorger des visons
     Et quand le soir t'attendant
     Je penserai au bon vieux temps
     J'effeuillerai les marguerites
     A grands coups de dynamite

     

    Vous voulez écrire un premier roman ? Lisez vite La Revanche de Kevin, c'est une merveille d'humour à la Desproges et d'imposture littéraire bien digérée où rira bien qui rira le dernier, comme on dit. Iegor Gran est le roi - trop méconnu peut-être - de l'humour noir, du second degré, de la répartie sagace, on lui doit le très bon L'écologie en bas de chez moi ainsi que L'Ambition, roman sur les (petites) mœurs contemporaines, dont j'avais dis grand bien dans une précédente carte postale (du 19.10.2014). Ici il s'agit donc de Kevin, maudit de naissance à cause de son prénom, dont la revanche n'est pas celle qu'on pense, d'où l'importance de lire ce roman jusqu'à son aboutissement, bouquet final après un feu d'artifice de rebondissements inattendus qui poussent tour à tour le lecteur un peu plus loin dans les marais brumeux de l'imposture. Qui trompe qui et de quelle façon et pour quel résultat ? Ce nouveau roman de Iegor Gran est grande joie, je vous le dis ! Journalistes, agents littéraires, écrivains, la mère de Charlotte, le monde du travail, les vacances en Grèce, un magazine de mode, Kevin, bien sûr, mais aussi Tanizaki, Proust et Céline, tout ce petit monde se percute dans ce roman, pour le meilleur et surtout pour le pire.

    "- Je ne sais pas moi! Débrouillez-vous, c'est vous l'expert. Moi, voyez-vous, ce qui me touche chez eux, vous l'avez dit vous-même l'autre jour, c'est leur manière très sensible d'inviter des écrivains. On peut dire tout ce que l'on veut sur leur probité journalistique, il reste ces pages où l'on défend la vraie littérature. À ce propos, il se trouve que j'ai, dans mes tiroirs, un petit texte assez percutant sur la décoration intérieure, "Personnages en quête de design". Postmodernisme. Dualité.
     On le voyait venir : il voulait caser son éjaculat d'écriture dans une revue prestigieuse. Ça se comprenait, et Kevin mieux que quiconque entendait dans le discours de son patron les gémissements d'une vanité émoustillée.
     "Quand minable rime avec bac à sable", pensa-t-il.
     Oui, du sable, à la radio autour de lui, partout où portait son regard, de gros grains, empâtés et froids, crissait sous les pieds avec une belle unanimité de gravier, s'affairant à construire des barrières invisibles sur lesquelles s'écrasent les Pradel et tous les écrivains subtils, incapables de percer la carapace de l'indifférence et du goût comme il faut.
     Il ne fallait pas chercher plus loin les véritables causes de son suicide, pensait Kevin. Pauvre Pradel !
     - Que ça reste entre nous, hein, dit encore Descaribes dans un sourire débordant de crasseuse connivence.
     Jamais Kevin n'avait autant détesté ce milieu où il pataugeait. Son orgueil d'être différent était cependant une bouée sur laquelle il pouvait compter : un doigt d'honneur lui poussa spontanément au creux de la main, vigoureux comme un premier crocus printanier. Il se dépêcha de le dissimuler dans la cave de sa poche.
     Fort opportunément, l'affaire d'un ministre véreux vint pimenter l'actualité et fit passer le déjeuner avec Life & Style au second plan. La rédaction eut soudain plusieurs pommes de terre à éplucher. Des personnalités à interviewer, des tables rondes à organiser, une pluie de déclarations à copier-coller pour le site internet. On connut aussi de remarquables pics d'audience que Kevin s'employa à valoriser auprès des annonceurs par un astucieux barème de bonus-malus. Puis Descaribes reçut une décoration lors d'une émouvante cérémonie au ministère de la Culture. Puis il partit en vacances.
     À son retour, il raconta la Grèce et l'on s'émerveilla de ses coups de soleil, des coquillages qu'il avait rapportés, on compara le prix d'un litre de lait sur l'île d'Andros et à Paris XV, on discuta des avantages respectifs des systèmes de protection sociale, sujet sur lequel chacun se sentait une âme d'expert, on admira enfin la carte postale qu'il avait fait parvenir à Marie-Louise, en tant que représentante du personnel, et l'on décida de l'épingler solennellement sur le tableau d'affichage "pour faire rêver"."