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viva

  • La carte postale du jour...

    "L'amour et l'océan nourrissent toutes sortes de poissons."

    - Paul-Jean Toulet, Monsieur Paur, homme public (1898)

    xmal deutschland, viva, anja huwe, cocteau, chants de maldoror, isidore ducasse, comte de lautréamont, cioran, cendrars,

     

    Je me souviens que c'est Jeff - un ami skinhead branché musique (après un bref passage à la légion étrangère son orientation musicale passera de la Oï au Reggae) - qui me fit découvrir le groupe Xmal Deutschland vers 1989, me les décrivant comme les Siouxsie & The Banshees allemand, éveillant ainsi ma curiosité, et qu'il en soit remercié puisque ce groupe m'a longtemps fasciné, surtout sa chanteuse, Anja Huwe, qui, après quatre albums, pratique depuis les années 90 une peinture aussi musicale que colorée et très intéressante, exposant des deux côtés de l'océan, New-York et Hambourg principalement.
    Je me souviens bien d'avoir prêté à ma petite amie de l'époque le premier album d'Xmal Deutschland - Qual -, ainsi qu'Halber Mensch des Einstürzende Neubauten, parce que sa prof' d'allemand voulait faire découvrir des groupes germaniques à sa classe, et que ces disques ne furent pas utilisés parce que trop "spéciaux", ce qui a provoqué ma frustration et mon incompréhension autrefois, situation qui me fait sourire aujourd'hui où je comprends bien mieux l'attitude de l'enseignante en question.
    Je me souviens aussi que c'est par cet album, Viva (dont la production est sévèrement gâtée par un excès de synthés 80s), que j'ai découvert Emily Dickinson dont le superbe poème Will there really be a morning est ici mis en musique, un de mes titres préférés de l'album avec Feuerwek (31. dez) et le magnifique et langoureux Ozean, que j'ai toujours mis en relation avec une forme de romantisme, l'image de l'océan étant l'emblème du sublime représentant un nouveau paradigme esthétique de la sensibilité, l'océan comme infini, comme idée de modernité, s'opposant ainsi à la finitude de la beauté classique. 

    Schau' dich um
    Und sinke mit mir
    Durch das grün
    Durch das blau

    So weit - so tief!
    So weit - so tief!

    Ozean
    Dunkel und warm
    Ist dein Bauch
    Stetig und stark - stetig und stark
    Bestandig und stolz - ewig un wild
    Bist du

    À la même période où je me découvrais une passion pour l'allemand (l'ayant pourtant détesté à l'école) par la musique, je découvrais aussi, coup sur coup, trois livres que je relis régulièrement, à savoir Moravagine de Blaise Cendrars, Sur les cimes du désespoir de Cioran et Les Chants de Maldoror du Comte de Lautréamont, ce dernier acheté aux puces dans une sobre et vieille édition (perdue depuis, tristesse) préfacée par Jean Cocteau dont je retiens encore ces mots qui eurent vraisemblablement une grande influence sur moi : "“Il importe que certaines œuvres vous hantent, bousculent votre confort moral et vous enseignent que la meilleure école est celle des hommes qui règnent en marge des règles apprises." Superbe. Et que dire de ces Chants, source infinie de plaisirs inconnus à laquelle je m'abreuve régulièrement, et dont j'adore ce passage sur l'océan :

     Vieil océan, aux vagues de cristal, tu ressembles proportionnellement à ces marques azurées que l'on voit sur le dos meurtri des mousses ; tu es un immense bleu, appliqué sur le corps de la terre ; j'aime cette comparaison. Ainsi, à ton premier aspect, un souffle prolongé de tristesse, qu'on croirait être le murmure de ta brise suave, passe, en laissant des ineffaçables traces sur l'âme profondément ébranlée, et tu rappelles au souvenir de tes amants, sans qu'on s'en rende toujours compte, les rudes commencements de l'homme, où il fait connaissance avec la douleur, qui ne le quitte plus. Je te salue, vieil océan !
     Vieil océan, ta forme harmonieusement sphérique, qui réjouit la face grave de la géométrie, ne me rappelle que trop les petits yeux de l'homme, pareils à ceux du sanglier pour la petitesse, et à ceux des oiseaux de nuit pour la perfection circulaire du contour. Cependant, l'homme s'est cru beau dans tous les siècles. Moi, je suppose que l'homme ne croit à sa beauté que par amour-propre ; mais, qu'il n'est pas beau réellement et qu'il s'en doute ; car, pourquoi regarde-t-il la figure de son semblable avec tant de mépris ? Je te salue, vieil océan !
     Vieil océan, tu es le symbole de l'identité : toujours égal à toi-même. Tu ne varies pas d'une manière essentielle, et, si tes vagues sont quelque part en furie, plus loin, dans quelque autre zone, elles sont dans le calme le plus complet. Tu n'est pas comme l'homme, qui s'arrête dans la rue, pour voir deux bouledogues s'empoigner au cou, mais, qui ne s'arrête pas, quand un enterrement passe ; qui est ce matin accessible et ce soir de mauvaise humeur ; qui rit aujourd'hui et pleure demain. Je te salue, vieil océan !
     Vieil océan, il n'y aurait rien d'impossible à ce que tu caches dans ton sein de futures utilités pour l'homme. Tu lui as déjà donné la baleine. Tu ne laisses pas facilement deviner aux yeux avides des sciences naturelles les mille secrets de ton intime organisation : tu es modeste. L'homme se vante sans cesse, et pour des minuties. Je te salue, vieil océan !

     

  • La carte postale du jour...

    "La révolution et l'amour sont en fait les biens les meilleurs et les plus plaisants du monde et nous découvrons que c'est précisément parce que ce sont des biens précieux que les cerveaux vieux et sages ont, par mépris, écrasés sur nous les raisins acides du mensonge. Voici ce que je veux croire implicitement : l'homme est né pour l'amour et la révolution."

    - Osamu Dazai, Soleil couchant

    dimanche 31 août 2014.jpg

    Je me souviens d'avoir été clairement décontenancé par la musique de Wall of Voodoo qui représentait - pour le jeune homme de dix-sept ans que j'étais alors - un affreux mélange de new-wave commerciale et de country inaudible, puis d'avoir changé d'avis quelques années plus tard lorsque j'ai découvert que leur musique tenait d'une filiation originale, d'un détonnant et génial mélange entre le son de Johnny Cash (dont ils reprirent Ring of fire) et celui de Suicide.
    Je me souviens bien d'avoir été critiqué par un client du Midnight - club "dark" où j'ai tourné les platines entre 1989 et 1991 - parce que je ne passais pas de Wall of Voodoo, son groupe favori avec les Mission (je déteste ces derniers), mais ce qui me semblait le plus étrange à cette époque c'était d'imaginer ce type, qui travaillait à l'office des poursuites, écouter de la musique gothique / new-wave - comme si un moine écoutait Black Sabbath ou un comptable d'une société d'assurance les Sex Pistols ! -, ça me paraissait vraiment incompatible à l'époque, mais depuis, je dois bien l'avouer : plus rien ne m'étonne.
    Je me souviens aussi d'avoir toujours trouvé que les meilleurs titres de Wall of Voodo étaient Lost weekend, lente dérive lynchéenne, et l'endiablé Mexican Radio, quand Stan Ridgway chante de sa voix nasillarde :

    I feel a hot wind on my shoulder
    And the touch of a world that is older
    I turn the switch and check the number
    I leave it on when in bed I slumber
    I hear the rhythms of the music
    I buy the product and never use it
    I hear the talking of the DJ
    Can't understand just what does he say?

    Dans Viva ce sont Trotsky et Malcolm Lowry qui se croisent, ou presque. C'est un intense roman d'aventure sans fiction, un récit d'amour et de révolution, une fresque du Mexique des années 30. Dans une prose dense qui ne laisse aucun répit au lecteur se télescopent les noms de Frida Khalo, Traven, Diego Riviera, Cendrars, Tina Modotti, Breton, Artaud, Cravan, Maïakovski et tant d'autres encore, tous pris dans une danse macabre, celle de l'Histoire qui va les dévorer. Ce livre de Patrick Deville donne le vertige autant que l'étendue de son génie littéraire, il donne aussi des envies de lectures.

    "Bien sûr il va mourir en exil, Trotsky, ce dernier témoin qui refuse de se taire, menacé par les communistes mexicains et par les fascistes sinarquistas, il s'en doute bien, mais tout recommencera, pour le meilleur et pour le pire. On sait la phrase de Bolivar. "Celui qui sert une révolution laboure la mer." La Revolución nunca se acaba. Dans vingt ans, Ernesto Guevara et la petite bande de clandestins cubains entreprendront en cordée l'ascension du Popocatépetl, viendront endurcir leur corps dans la neige et affermir leur solidarité avant d'embarquer sur la Gramma. Dans quarante ans, de nouveaux sandinistes chasseront la dictature somoziste au Nicaragua. Dans soixante ans, de nouveaux zapatistes se soulèveront dans l'État du Chiapas. Les nacelles montent au ciel et descendent à chaque révolution de la grand-roue Ferris, qui tourne dans le Volcan de Malcolm Lowry comme au-dessus de la Vienne ravagée de Graham Greene."