Cover without a record est une œuvre de João Paulo Feliciano, qui est un clin d’œil à celle de Christian Marclay qui s'intitulait Record without a cover, qui, comme son nom l'indique, consistait en un disque sans pochette, alors qu'ici il s'agit bien d'une pochette sans disque. Et ce vide (ou ces possibilités infinies) colle parfaitement avec ma dernière lecture de l'année, à savoir La conjuration de Philippe Vasset, dont le protagoniste cherche le vide, l'inutile, la ruine dans la ville... et j'aime beaucoup ce passage : "La tête pleine d'images de ruines et de désastre, je me suis arrêté, juste avant la sortie, devant un local retraçant l'histoire du centre. Parmi les photographies et les plans, l'architecte Antoine Grumbach ("marchand de ville", comme il se qualifiait lui-même dans un film diffusé en boucle) avait exposé quelque livres dont la lecture avait supposément inspiré la conception du Millénaire. Parmi ces ouvrages figuraient Molloy de Beckett, Ulysse de Joyce et Je me souviens de Perec. Le visiteur était censé comprendre que l'implantation du Millénaire à Aubervilliers participait de la création contemporaine la plus radicale. Que, bien sûr, c'était un espace d'achat, mais que c'était tellement plus que cela : un laboratoire pour la ville de demain, un jalon dans l'histoire de l'architecture durable, bref, une véritable fresque, presque une vision généreusement offerte aux regards des consommateurs venus remplir leur réfrigérateur ou s'équiper en électroménager.
Ainsi, non seulement on m'avait chassé de ma retraite favorite pour construire un centre commercial, mais on avait poussé le vice jusqu'à le faire au nom d'écrivains que j'aimais (la référence à Georges Perec, que je vénère, n'était ni plus ni moins qu'un affront personnel caractérisé). Une colère froide me submergea et je me mis à gribouiller, rageur, des commentaires hostiles, voire franchement insultants, sur le cahier destiné à recueillir les remarques des visiteurs.
En proie à une fureur allant sans cesse croissant, je rêvais d'une bombe cadastrale qui saurait détruire l'ordonnance de Paris et rendre la ville à l'inconnu. J'appelais sur les façades trop propres du Millénaire à une guerre sourde, à un conflit sans nom capable d'étoiler ces baies vitrées et ces dallages vernissés. Mais, dans Paris caserné, aucun orage ne s'amoncelait jamais sur l'horizon du bâti. incessamment balayées par les caméras et les signaux GPS, les rues étaient vides de tout désordre, et personne n'essayait de forcer un passage dans les défenses de la ville."
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La carte postale du jour ...
pop luxuriante bien (trop?) construite, San Fermin illumine à sa manière cette matinée d'hiver moins grise que prévue. Je m'arrête un moment surprit par la beauté sombre de la voix de baryton d'Allen Tate quand il chante "Yeah we steal in the dark like the thieves that we are. We steal in the dark, when we lose what we lost, it happens", puis je me replonge dans un de mes livres de référence sur la littérature au XIXè siècle, à savoir Une littérature sans écrivain de Basile Panurgias, où je lis, amusé : "Après avoir été caché dans les maisons américaines, question de mode, le livre est réapparu comme une "prop", un objet qui a une fonction évocatrice. Les cafés les plus prestigieux, les plus anciens et les plus littéraires n'ont jamais eu de livres sur leurs murs. Les trois beaux cafés du trottoir nord du boulevard Saint-Germain, Les Deux Magots, Le Flore et Le Rouquet sont vierges de livres. Quand Christian de Portzamparc a conçu le Café Beaubourg, l'esprit des lettres françaises était déjà moribond, il y a placé des étagères avec quelques livres. Il est révélateur que la crasse ait pu s'accumuler pendant trente ans sans qu'on se soucie de leur existence ; la manière positive de voir les choses est de se dire que les ouvrages ont été manipulés, même si personne n'a daigné les voler car la valeur marchande d'un livre s'est effondrée.
Depuis la mode récente de rénovation à l'ancienne de cafés parisiens - fauteuils Thonet en osier et carrelage métro en faïence aux joints noirs -, les livres qui se sont multipliés dans les troquets sont plus lisibles que ceux des Éditeurs, café du VIè arrondissement, et ceux du Café Beaubourg. Au Fumoir, le poche est mis en valeur, la tranche orange des Penguin, et le bleu ciel des Feltrinelli. Chez Panis, quai de Montebello, et au Rubis, avenue du Maine, ce sont les premiers livres de poche, ceux de l'avant-guerre, avec leur couverture minimaliste ocre clair qui depuis a été rigidifiée pour donner cet effet si typique de l'édition française. Ici j'ai passé des heures à feuilleter les ouvrages de Boisleve et d'Axel Munthe, provoquant des regard surpris de la part des serveurs, et oui, les livres sont faits pour être lus ! Quelle frustration de devoir partir après le premier chapitre de L'Homme invisible de H.G. Wells..." -
La carte postale du jour ...
l'une des mes pochettes de disque favorites et celle du second album de Joy Division. en opposition, l'un des couverture de livre qui m'a le plus répugnée cette fin d'année - et ce probablement pour longtemps! - est celle de Pop Yoga, un livre, pourtant, qui redonne envie de s'intéresser à la culture pop, des Beatles à Joy Division en passant par les films de Kurosawa (Kiyoshi donc). Pop Yoga c'est comme superposer les lectures de Lipstick traces de Greil Marcus et celle du Matin des magiciens de Louis Pauwels et Jacques Bergier ! Et alors que Ian Curtis déclame sur Atrocity Exhibition "And I picked on the whims of a thousand or more, Still pursuing the path that's been buried for years, All the dead wood from jungles and cities on fire, Can't replace or relate, can't release or repair, Take my hand and I'll show you what was and will be" je lis dans le livre de Pacôme Thiellement : "À quoi peuvent bien "servir" le suicide de Marylin Monroe, l'assassinat de J.F.Kennedy ou la mort accidentelle de Catherine Ballard, la femme de l'auteur (J.G. Ballard), si ce dernier ne peut pas les transfigurer dans une œuvre d'art qui en détourne la puissance sinistre et les magnifie éternellement ? Comme le dit un des personnages du roman (Crash) : "Il tente de relier toutes les choses entre elle - avec cette affaire Kennedy, par exemple. Il veut tuer Kennedy une nouvelle fois, mais d'une façon qui, cette fois, ait un sens." Il y a un écho de cette ambition dans la musique de Joy Division, que Genesis P.Orridge comparera à un jihad esthétique. Le jihad est la guerre que l'homme fait contre lui-même et contre ses instincts pour répondre à l'appel de dieu. Le jihad esthétique est le combat de l'artiste contre ses propres déterminations pour accomplir son œuvre, dans toute sa grandeur et son inactualité, à travers toutes les impossibilités qu'il rencontre, qu'elles viennent du dehors, comme du plus profond de lui-même. Face à ça, la mort n'est plus guère qu'un accident de parcours, une rencontre malheureuse..."
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La carte postale du lundi 23 décembre
alors voilà : le prochain nécrophile qui me demande un livre sur ou de Mandela je lui plante le ciseau à friser le ruban (pour cadeau) dans la tête. sinon dans un registre plus calme je suis bien heureux d'écouter les ambiances de James Blackshaw (guitare douze cordes) et Lubomyr Melnyk (piano), tout en lisant la troisième partie de la biographie de Jean Rouaud (à paraître en 2014, merci Alodie pour cette copie en avance!), un auteur qui se penche à la fois sur la guerre 14-18 et sur son éditeur - Jérôme Lindon des éditions de Minuit - : "Mais ses considérations formalistes n'étaient que secondaires pour moi. Je pensais déjà que l'écriture est la transcription fidèle de son auteur. Pour peu qu'on en use honnêtement avec elle, elle est le meilleur bureau de renseignement sur soi. Dans son reflet, je m'étais d'abord senti corseté, j'avais vu mon chant entravé. Comment rendre mon chant plus libre et plus libre mon esprit ? Car c'est la même opération, bien sûr. ce qui ne relève nullement de la rhétorique ou d'un remaniement de la syntaxe, comme le croient ceux qui s'appliquent à faire des phrases en espérant qu'on y verra que du feu (la seule information contenue dans leur livre dit ceci : pourvu que le lecteur ne s'aperçoive de rien - ce qui est souvent le cas). C'est un travail de dépouillement, d'abandon, de reddition, pour lequel il n'y a ni bon ni mauvais profil, ni lignes de défense, ni parades, ni poses. Juste la recherche du rien. Si on s'y adonne, l'écriture livrera alors un relevé précis des étapes de cet affranchissement. Et m'aurait-on alors demandé où je voulais en venir, j'aurais répondu que je voyais très bien, à ceci près que j'avais défini comme le seul art poétique qui vaut la peine : Écrire comme ça me chante. L'écriture aura été le papier carbone de ma vie (le papier carbone était cette pelure colorée, noire de suie ou bleu nuit, qui, glissée entre deux feuilles blanches, permettait de reproduire les gribouillages de l'une sur l'autre). Autrement dit, ce que lisait l'éditeur, c'était ma vie."
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La carte postale du jour ...
plus de chauffage depuis trois jours, le temps est au beau, mais l'air est glacial ; rien de mieux pour réchauffer l'atmosphère que d'écouter mon titre préféré des Mountain Goats, "Against pollution", où John Darnielle chante "A year or so ago, I worked at a liquor store, And a guy came in, Tried to kill me so I shot him in the face, I would do it again, I would do it again. When the last days come, We shall see visions. More vivid than sunsets, Brighter than stars. We will recognize each other, And see ourselves for the first time, The way we really are." tout en relisant ce bon observateur des mœurs contemporaines, adepte de la phrase longue et qui plus talentueux langagier, Éric Laurrent : "J'étais invité le soir même à un raout privé, donné tout près de chez moi, dans un bar à la mode de la rue Oberkampf (elle-même fort en vogue depuis quelques années, ayant vu en une demi-décennie à peine, par ce phénomène de gentrification que connaissent tous les anciens quartiers ouvrier de Paris depuis le milieu des années 1950, la plupart de ses boutiques et ateliers céder la plcve à des cafés et des restaurants, essentiellement destinés à cette frange de la population œuvrant dans les secteurs émergents de l'activité économique, tels les nouvelles technologies, la publicité ou le design, et que la vulgate sociologique désigne par le terme de "bourgeoisie bohème", établissement où, dans une pénombre enfumée, bruyante de conversations et de musique émise à fort volume, de jeunes et jolies serveuses à l'accent provincial vous apportent de mauvaise grâce, tarifés aussi lourdement qu'ils sont chichement mesurés, des vins de Californie, des spiritueux slaves, des cocktails sud-américains, ainsi que, préparés par des immigrés sri-lankais dont on aperçoit dans le cadre du passe-plat les silhouettes affairées en cuisine, des mets tout ce qu'il y a de plus rustique), pour célébrer le lancement d'une revue de luxe, aujourd'hui défunte, dont la promotion de la "transversalité des cultures et des sexes" constituait la raison d'être.
Illustrant parfaitement l'assouplissement récent des codes vestimentaires en vigueur jusque-là, lequel se traduisait par l'ennoblissement de nippes ressortissant au plus grand négligé, ainsi que par leur association, que l'on eût tenue naguère encore pour une faute de goût, avec des éléments très habillés pour eux, telle que celle d'une robe fourreau et de chaussures de sport, d'un smoking et de brodequins, d'un tailleur et de tongs, d'une bleu de chauffe et de souliers à boucle, d'un jogging et de bottines vernies, d'un jean baggy et d'escarpins, d'une jupe au genou droite et de collants résille, d'un blouson de motocycliste et d'une chemise à jabot, d'un sweat-shirt à capuche et d'un pantalon à pinces, ou bien encore d'un chemisier et d'un paréo, d'un maillot de peau à bretelles et d'une cravate, d'un tee-shirt et d'une jaquette, d'un battle-dress et d'un caraco, se doublant en prime (cet assouplissement des codes vestimentaires, donc) d'un relâchement très net des règles de la bienséance, lesquelles semblaient désormais autoriser l'exhibition des nombrils, la monstrations des soutiens-gorge (dont on distinguait les bonnets et bretelles sous des débardeurs en tricot, aux mailles très ajourées, ou des tuniques de tulle à demi transparentes), voire des petites culottes, des slips et des caleçons (dont on surprenait la bordure de dentelle ou le galon élastique au creux de nombreux reins), ainsi que le port de jeans sales, pour ne pas dire crasseux, le fussent-ils artificiellement, ou de pantalons oversized, qui bâillaient sous les fesses et s'affaissaient en accordéon sur les chevilles, jusqu'à trainer par terre, deux cent personnes environ se pressaient là, sous la grande et haute verrière, aux carreaux translucides, tavelés de rouille et de lichens, de cet ancien atelier de métallurgie, dans une atmosphère appesantie et moite par la perspiration des chairs promiscues et les vapeurs alcoolisées des eaux de toilette et des haleines."