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  • La carte postale du jour ...

    "J'ai cherché en vain, dans la mer sans fond des plaisirs comme dans les profondeurs de la connaissance, une place où jeter l'ancre. J'ai senti la force presque irrésistible avec laquelle un plaisir tend la main à l'autre plaisir ; j'ai senti la sorte de fausse exaltation qu'il peut faire naître ; j'ai senti aussi l'ennui, le déchirement qui le suit. J'ai goûté les fruits de l'arbre de la connaissance et bien souvent, j'ai éprouvé la joie de les déguster. Mais cette joie était seulement dans l'instant de la connaissance et ne laissait aucune marque profonde derrière elle. C'est comme si je n'avais pas bu à la coupe de la sagesse, mais était tombé dedans." - Soren Kierkegaard (1835)

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    Je me souviens, quoiqu'imprécisement, perdre peu à peu le goût de la nouveauté, ce sentiment exaltant qui, de mon adolescence jusque dans le courant des années 2000, suscita en moi une passion sincère et parfois immodérée pour des artistes ou groupes peu ou pas du tout connus, avec ce désir de les faire découvrir à mon entourage mais pas seulement, sentiment qui se transorma succinctement en méfiance et finalement en désintérêt total, ce qui ne m'empêche pas, de temps à autre, de laisser sa chance à un groupe, un disque, comme ici, celui des Warpaint. Je me souviens à la première écoute avoir pensé que des disques que j'adore -  Mezzanine de Massive Attack, Heaven or Las Vegas de Cocteau Twins ou Disintegration de The Cure - portaient en eux le germe de cette musique qui suinte l'ennui, cet ennui de l'adolescence, celui du film Lost in translation de Sofia Coppola (que je n'aime pas trop), me laissant perplexe, angoissé presque, avec cette question lancinante : j'aime ou j'aime pas ?!? Je me souviens aussi d'avoir souvent souri devant la naïveté des textes anglophones, mais qui fonctionnent si bien avec ce genre de musique, et de noter quand même que ce disque était produit par Flood, assistant de Martin Hannett pour le premier album de New Order, Movement, et producteur d'un grand nombre de groupes et d'albums qui ont compté à un moment donné (pour moi), comme le premier album de Nick Cave, le premier Nine Inch Nails ou encore le merveilleux et peut-être sous-estimé Seventh Tree de Goldfrapp, donnée non négligeable qui me permet d'écouter avec une certaine bienveillance ce disque de Warpaint, surtout quand Theresa Becker Wayman fredonne de manière presque apathique sur l'excellent titre Feeling allright

    "My mind is made of simple thoughts, I'm going up to start this day, Soon you see me now".

    Forte impression aussi avec ce nouveau livre de Vila-Matas, rédigé pendant et autour de son passage à la Documenta 13 de Kassel. Une fois de plus lire le Barcelonais ce n'est pas simplement lire de la littérature, c'est lire LA littérature. Récit en forme de tour de babel, Vila-Matas brille toujours plus sous cette forme journalistique que par ses romans ; clin d'oeil à Kafka, Borges, Benjamin, Duchamp etc. et donc bien sûr aussi à l'imposture (littéraire de préférence), c'est un écrivain angoissé par la peur de s'ennuyer qui se "livre" ici, et accomplit un travail brillant, une réflexion exemplaire sur le monde de l'art, et la fonction de l'écrivain.

    "Moi, je savais pourquoi j'avais accepté mais il n'était pas question de l'avouer. Outre l'originalité et le côté littéraire de la manière dont j'avais été invité, j'avais accepté parce que je n'avais jamais pensé que ce qu'on m'avait proposé serait un jour à ma portée - comme si on m'avait invité à jouer dans mon équipe de football préférée : quelque chose que, ne serait-ce qu'à cause de mes soixante-trois ans très récents, on ne me proposerait jamais plus -, et aussi parce que, depuis quelque temps, depuis que je m'étais remis d'un collapsus provoqué par ma vie dissolue, je faisais l'expérience d'un rétablissement sur tous les plans et, au sein de ce processus, mon écriture s'était ouverte à d'autres arts que la littérature. Autrement dit, la matière littéraire avait cessé de m'obséder et j'avais ouvert le jeu à d'autres disciplines."

  • La carte postale du jour ...

    "La récente histoire berlinoise récapitule le basculement de la modernité dans un monde post-politique organisé par des images. "

    - Francesco Masci, L'ordre reigne à Berlin (Allia 2013)

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    Je me souviens de mon premier contact avec Berlin durant les années 80 par le film Moi, Christiane F. ... 13 ans, droguée, prostituée, et des quelques titres de Bowie qui y sont utilisés, dont Heroes, qui reste l'un de mes favoris de toute sa carrière, son audition m'évoquant ainsi Berlin, Berlin m'évoquant à son tour Bowie.. Je me souviens de découvrir dans un reportage diffusé par Arte ces images de Neubauten recevant la visite, après leur premier concert à Berlin-Est en décembre 1989, la visite donc du ministre français Fritz Lang ainsi que du dramaturge Heiner Müller, dans les backstage ! Je me souviens aussi ma surprise quand je découvre que pour cet ensemble musical composé pour un documentaire sur Berlin - disque que je considère comme l'un des meilleurs du groupe Einstürzende Neubauten - un de mes passages favoris de L'Ange de l'Histoire de Walter Benjamin a été utilisé, convenant en effet parfaitement avec l'atmosphère mélancolique que peut dégager parfois cette Babylone des temps post-modernes :

    "Ein Engel ist darauf dargestellt, der aussieht, als wäre er im Begriff, sich von etwas zu entfernen, worauf er starrt. Seine Augen sind aufgerissen, sein Mund steht offen und seine Flügel sind ausgespannt. Der Engel der Geschichte muß so aussehen. Er hat das Antlitz der Vergangenheit zugewendet. Wo eine Kette von Begebenheiten vor uns erscheint, da sieht er eine einzige Katastrophe, die unablässig Trümmer auf Trümmer häuft und sie ihm vor die Füße schleudert. Er möchte wohl verweilen, die Toten wecken und das Zerschlagene zusammenfügen. Aber ein Sturm weht vom Paradiese her, der sich in seinen Flügeln verfangen hat und so stark ist, daß der Engel sie nicht mehr schließen kann. Dieser Sturm treibt ihn unaufhaltsam in die Zukunft, der er den Rücken kehrt, während der Trümmerhaufen vor ihm zum Himmel wächst. Das, was wir den Fortschritt nennen, ist dieser Sturm.“

    J'ai visité Berlin à plusieurs reprises depuis le début des années 90, j'ai vu changer cette ville austère et grise - surtout l'hiver! - en capitale post-moderne colorée et cosmopolite, mais j'ai surtout adoré revisiter son histoire récente, et surtout la période dite "Die Wende" (le Tournant) à travers la chronique "Une année allemande" (Actes Sud 1990) de Cees Nooteboom, infatiguable randonneur urbain, voyageur impénitent et observateur érudi. Avec "L'ordre règne à Berlin" de Francesco Masci (Allia 2013), ce livre de Nooteboom est l'un de mes favoris sur Berlin Babylon.

    "En 1810, Mme de Staël déplorait l'absence à Berlin de monuments gothique, la ville ne lui paraissait pas assez ancienne. "On y voit rien de ce qui retrace les temps antérieurs." On ne peut plus en dire autant aujourd'hui, depuis deux siècles et surtout depuis cinquant ans, on a produit ici une telle quantité d'histoire que l'air en est comme saturé ; et je ne parle même pas de ce qu'on y a construit, mais surtour de ce qui a disparu, du pouvoir des lieux vides, de la force d'attraction des choses évanouies - places, ministères, bunkers du Führer, chambres de torture souterraines -, du no man's land de part et d'autre du mur, du banc de sable mortel entre deux murs que l'on appelait Todesstreifen, "couloir de la mort", de tous ces lieux où se sont engloutis hommes et souvenirs. Berlin est la ville du "non-être", de ce qui a été anéanti sous les bombes, rejeté ou mystérieusement interdit. Il n'en est pas de meilleur symbole que les traces de balles que l'on voit encore si souvent, de petits cavités, des endroits où manquent la pierre qui devrait y être, de l'absence, de même que les gens sont absents des stations de métro murées. On les traverse, et on se trouve soudaint dans un territoire hanté, un monde abandonné de ses habitants ou dévasté par la peste. Les quais sont vides, balayés d'une lumière fantomatique, de la rame on voit le prodigieux silence qui y règne, on sait que, si l'on descendait, on se retrouverait immédiatement changé en un très vieux monsieur, avec un journal de 1943 dans sa poche. Les bâtiments "anciens", comme le Reichstag ou le musée de Pergame, produisent une curieuse impression, il semble s'être échoué là par hasard, grands navires échappés de quelque ère préhistorique, qui ont apparemment du mal à se rappeler leur passé et leur fonction."

  • La carte postale du jour ...

    "La solitude ne m'est pas donnée, je la gagne. Je suis conduit vers elle par un souci de beauté. J'y veux me définir, délimiter mes contours, sortir de la confusion, m'ordonner." - Jean Genet, Journal d'un voleur (1949)

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    Je me souviens d'avoir mis un certain temps à comprendre que les albums de This Mortal Coil étaient en fait composés, pour une bonne partie, de reprises, et d'avoir associé ainsi pendant quelques années la chanson Song to the siren aux Cocteau Twins, alors que c'est un titre originalement composé par Tim Buckley, et Alone à This Mortal Coil alors qu'elle était de Colin Newman. Je me souviens quelle satisfaction j'ai eu quand j'ai retrouvé le nom de Colin Newman comme producteur des disques de Minimal Compact, Virgin Prunes ou encore Alain Bashung, d'avoir soudainement une nouvelle idole à ranger dans mon panthéon de musiciens et producteurs de génie. Je me souviens aussi d'avoir discuté longuement avec un ami fanatique de musique comme moi, par une belle soirée d'été du milieu des années 90, de toutes ces chansons fantastiques perdues sur des albums parfois moyens, et d'avoir évoqué Alone de Colin Newman, et m'être vaguement remémoré son texte

    "Alone, with too much generosity, A theatre mask of hostility attracts, Assaults occur, infrequently, And those who come, to conquer? Need strength, But damage accumulates, Still moving him to tears, Retained a sense of humour"

    J'ai retrouvé un peu de cette atmosphere, de cette force tranquille, de cette inquiétante étrangeté, dans le petit livre de Michael Ferrier qui évoque aussi des formes de solitude, le fait d'être exclu non pas dehors, mais en dedans. Kizu, en japonais, désigne en effet la fissure, mais aussi le trouble de l'âme :

    "Étrangement, je ne peux comparer ce vertige éprouver à côtoyer les lignes de l'abîme qu'à l'état amoureux, quand quelqu'un vous entre dans la peau et, quels que soient vos efforts et l'indifférence que cet être vous témoigne, n'en sortira pas. Les tentatives de ma raison ne pouvait rien contre le lent envahissement qui se propageait à tous les gestes de mon existence : dans le train, le métro, dans la rue, je pensais à elle. Au moindre évènement de ma vie quotidienne, elle se trouvait mêlée immédiatement et, même lorsque je l'oubliais pour quelques instants, je savais que c'était pour y mieux repenser quelques minutes après, qu'elle reviendrait plus forte, mieux armée, que je n'avais en fait cessé de songer à elle - sournoisement - que pour mieux la retrouver, plus fraîche, plus belle, plus noire. Je ne pouvais aller nulle part sans que son souvenir me hante, sa douleur et sa douceur formaient un fond indifférencié qui poussait chaque jour un peu plus loin son empire. Elle s'était logée au plus profond, m'accompagnait comme une ombre radieuse. La fêlure était en moi, elle ne me lâchait pas."

  • La carte postale du jour ...

    "L'excellent Lichtenberg a déclaré : ce qui m'importe ce ne sont pas les  opinions de quelqu'un, mais ce que les opinions font de lui.— Certes les opinions ont malgré tout une grande importance, mais la meilleure opinion ne sert à rien si elle ne fait pas quelque chose d'utile de ceux qui la partagent. La meilleure tendance est fausse, sil elle n'indique pas l'attitude par laquelle on doit s'y conformer. Et l'écrivain ne peut l'indiquer que là où il fait vraiment quelque chose : c'est à dire quand il écrit. La tendance est la condition nécessaire jamais la condition suffisante pour que les œuvres possèdent une fonction d'organisation. Elle exige en plus de l'auteur un comportement qui donne des directives et instructions. Et aujourd'hui, on doit plus que jamais l'exiger. Un auteur qui n'apprend rien aux écrivains n'apprend rien à personne. Ce qui est déterminant c'est la caractère de modèle de la production, qui est apte premièrement à guider d'autres producteurs vers la production, deuxièmement à mettre à leur disposition un appareil amélioré. Et cet appareil est d'autant meilleur qu'il entraine plus de consommateurs à la production, bref qu'il est à même de faire des lecteurs ou des spectateurs des collaborateurs."

    - Walter Benjamin, Essais sur Bertold Brecht (1930-1940)

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    Je me souviens avoir découvert la musique de Joy Division durant mon apprentissage de disquaire en 1988, et d'avoir, peu après, acheté une guitare électrique très bon marché dans l'idée de monter un groupe, avec un bassiste aussi dilletante que moi et une boîte à rythme qui relevait un peu le niveau, groupe que j'ai nommé du titre de cette dixième et dernière chanson, probablement la plus sombre de l'album Unknown pleasures : I remember nothing. Je me souviens avoir cru pendant près d'un an cette légende racontée par une connaissance comme quoi Ian Curtis s'était pendu sur scène à la fin d'un concert, jusqu'à lire dans un article ou une biographie, je ne sais plus trop, qu'il s'était en fait pendu dans sa cuisine, cette information contradictoire me faisant sur le moment regretter la première version, bien plus plus proche de mes attentes romantiques de cette époque de mon adolescence. Je me souviens aussi qu'avec ceux de Morrissey, le chanteur des Smiths, les textes de Ian Curtis sont ceux qui m'ont le plus appris sur son auteur, et probablement le plus touchés, comme sur I remember nothing lorsqu'il chante "Me in my own world, the one that you knew, For way too long, We were strangers, for way too long."

    Les plaisirs inconnus, Patrick Roegiers nous les fait traverser avec une érudition et un génie sans pareil. Utilisant uniquement sa propre bilbiothèque comme point de départ, il dévellope des listes à foisons où l'on apprend ce que mange les écrivains, comment certains se sont suicidés, et où, qu'elles rapports avaient certain d'entre eux avec la voiture, l'avion, ou encore combien de pages d'autres écrivent par jours, mois, années, et combien de textes sont jetés à la poubelle.  Roegiers propose aussi neuf biographies généreuses et drôles  Beckett, Céline, Michaux, Claude Simon ou encore Roland Barthes, c'est un feu d'artifice pour qui aime les livres qui parlent de livres, de leurs auteurs, de la littérature. J'adore la conclusion :

    "Atteind d'un cancer du poumon qu'il nomme pudiquement "une tumeur des bronches", Georges Perec décède le 3 mars 1982, vers huit heures du soir, à quarante-cinq ans, à l'hôpital Charles-Foix d'Ivry. Peu auparavant, il a pris soin de participer à l'émission de France Cutlure "Les cinquant choses que je voudrais faire avant de mourir". Entre autres celle-ci : "Ranger une fois pour toute ma bilbiothèque." Claude Simon souffre d'insuffisance respiratoire. Sa santé décline. Les séjours à l'hôpital se succèdent. Il meurt d'un malaise cardiaque, le mercredi 6 juillet 2005, vers midi, à quatre-vingt-onze ans. Son décès n'est annoncé qu'après son inhumation, au cimetière de Montmartre, le samedi 9 juillet. Alain Robbe-Grillet a le coeur malade. Deux ans après avoir subi un triple pontage, il est conduit d'urgence à l'hôpital de Caen. Il décède d'une crise cardiaque, dans son sommeil, le lundi 18 février 2008, à trois heures cinquante du matin, à quatre-vingt-cinq ans, et est incinéré le vendredi 22 février au crématorium de Caen. Le 17 octobre 1984, Henri Michaux sent des douleurs insoutenable dans la poitrine. On le transfère à l'hôpital international de l'université de Paris, à la cité universitaire. Perfusion, oxygène, morphine. Il décède le vendredi 19 octobre, à cinq heures trente du matin, des suites d'un infarctus, à quatre-vingt-cinq ans. Après un déjeuner organisé autour de François Mitterand, en se rendant au Collège de France, Roland Barthes est renversé par une camionnette de teinturerie au coin de la rue des Écoles et de la rue Saint-Jacques. On le transporte à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière où sa santé se dégrade. Il sombre dans un coma et meurt à soixante-quatre ans, le mercredi 26 mars 1980, à treize heures quarante, d'une infection mosocomiale. Il est enterré à Urt, auprès de sa mère Henriette, décédée le 25 octobre 1977. Michel Leiris dit ne plus pouvoir écrire depuis la mort de Zette à l'automne 1988. Ses derniers mots à une infermirère qui lui propose une tisane au petit déjeuner : "Non ! Du thé !" Il décède d'un malaise cardiaque dans sa maison de Saint-Hilaire, dans l'Essonne, le dimanche 30 septembre 1990, à quatre-vingt-neuf ans. Incinéré le 4 octobre à onze heures quarante-cinq au columbarium, il rejoint son épouse et son beau-père dans le caveau de la 97° division du Père-Lachaise où ses parents sont enterrés. Ah, qu'il est difficile de quitter la scène ! Finir comme Molière, quoi de plus beau ? Dernier rappel. Ultime salut. "C'est un moment grave. Je meurs", se gausse Roland Dubillard le mercredi 14 décembre 2011, à quatre-ving-huit ans. "De l'intérieur à l'extrétieur, le cercueil muet s'exprime par son monument funéraire." Adieu, le locataire solitaire de La Maison d'os ! "Quoi de plus silencieux que le souvenir d'un grand bruit ?" Rideau. Installé au bord de l'immobile, du silence et de l'attente, Samuel Beckett décède le vendredi 22 décembre 1989, à l'âge de quatre-vingt-trois ans, à la résidence le Tiers-Temps. Il est enterré au cimetière de Montparnasse dans la plus stricte intimité, le lendemain de Noël 1989, à huit heures et demie du matin. "Fini, c'est fini, ça va finir... " Quoi de plus con que mourir ? "La feuille de papier blanc, c'est ma pierre tombale." yant écrit la veille la dernière page de Rigodon, Louis-Ferdinand Céline, âgé de soixante-sept ans, décède d'une rupture d'anévrisme le 1er juillet 1961, à dix-huit heures, après une chaude journée d'été...

     NON

                                                  NON

                                                  NON

      sur ma tombe ma seule épitaphe

                                                  NON

    Pan ! Ernest Hemingway, le chasseur de mots, craignant d'être impuissant, se tire une balle de carabine en pleine tête le lendemain. La mort de Céline n'est connue que le 3 juillet. On l'inhume le 4.

    Quel asticot."

  • La carte postale du jour ...

    "Une des raisons de l'atmosphère asphyxiante, dans laquelle nous vivons sans échappée possible et sans recours ... est dans ce respect de ce qui est écrit, formulé ou peint, et qui a pris forme, comme si toute expression n'était pas enfin à bout." - Antonin Artaud, Le théâtre et son double (1938)

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    Je me souviens découvrir le clip de cette reprise de Joy Division par les Américains de Swans sur MTV, dans l'émission 120 minutes, en 1990, et les ériger immédiatement au plus haut rang dans mon panthéon musical. Je me souviens de leur concert Zurich en 1995, d'un final épique, puissant et très long, bruyant mais pas trop, fort mais supportable, fascinant, au point que j'ai écouter leurs disques en boucle pendant les semaines qui suivirent et ne jurer que par eux. Je me souviens avoir lu que Michael Gira regrettait d'avoir fait cette reprise de Joy Division, que c'était une demande de leur producteur de l'époque pour répondre aux attentes de leur major (Island), et pourtant, ce maxi contient deux superbes titres acoustiques : Our love Lies et Trust me, ballades austères et désespérées, qui accompagnent merveilleusement le superbe texte de Ian Curtis que Gira nous transmet de sa voix gutturale "When routine bites hard, And ambitions are low, And resentment rides high, But emotions won't grow, And we're changing our ways, taking different roads."

    Transmission aussi du côté du livre de Martin Page : Manuel d'écriture et de survie, ouvertement inspiré de Lettres à un jeune poète de Rilke. L'auteur y adresse des lettres à une jeune écrivaine, un ami prend forme, Martin Page y livre des anecdotes, son parcours artistique, son expérience, des conseils aussi, beaucoup de citations et de réflexions sur la littérature, qui permettent de se faire une idée - un portrait, presque - de son interlocutrice. C'est beau, honnête, souvent juste, et j'aime ce passage :

    "Chère Daria,

     Tu as raison : nombre d'artistes ont une vie misérable. Mais c'est le cas de beaucoup de personnes qui n'étaient pas artistes, tu ne crois pas ? Le cliché de l'artiste malade, pauvre et alcoolique sert à effrayer les aspirants. La pédagogie de la peur est une technique de contrôle mental.
     Nous n'allons pas mourir pour notre art, car ce serait faire une offrande à la société. À la question de Rilke dans Lettre à un jeune poète : "Explorez la raison qui vous commande d'écrire. Examinez si elle plonge ses racines au plus profond de votre coeur. Faites-vous cet aveu : devriez-vous mourir s'il vous était interdit d'écrire?", R.O. Blecman, le dessinateur du New-Yorker, répond : "Je ne serais pas un martyr de mon art. Si on m'empêchait de dessiner, je chanterais, je jouerais du piano, je tournerais un film, j'écrirais un roman. Mais je ne mourrais pas. Je serais comme la rivière bloquée par un obstacle: je changerais de chemin et créerais un nouveau canal. L'énergie créatrice ne peut pas être arrêtée."
     Plus facile à dire qu'à faire, certes. Il ne s'agit pas d'abandonner au premier obstacle, au contraire il faut être pleinement engagé. mais en se gardant de grands sentiments photogéniques. L'art est un paganisme et une pharmacopée. Y associer l'obligation de souffrance est le signe d'une obéissance masochiste à la morale majoritaire. On peut faire le choix de ne pas s'y conformer. Je ne dis pas qu'être artiste est simple : je dis que les douleurs viennent de la société et non de l'art, et qu'être fasciné par la souffrance c'est obéir."