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Musique - Page 35

  • La carte postale du jour ...

    jeudi 20 février 2014.jpg

    ce matin j'ai appris que dans certaine émission radiophonique vous avez trente secondes pour dire ce qu'on veut bien vous autoriser à dire. intéressant concept. il faudrait ainsi "sourire" en parlant de Vie et Destin de Grossman parce que la littérature c'est ludique : "top fun!"... mais sans moi alors. "Pour toi je serais une fleur de tournesol ; entends-tu mon rire ensoleillé? un motif nouveau à se couper l'oreille" chante Diana Orlof, invitée par les Neubauten pour cette version française de Malédiction, alors que je lis dans Minima Moralia d'Adorno :

    "Être sociable, c’est déjà prendre part à l’injustice, en donnant l’illusion que le monde de froideur où nous vivons maintenant est un monde où il est encore possible de parler les uns avec les autres ; tel propos affable et sans conséquence contribue à perpétuer le silence, car les concessions que l’on fait à son interlocuteur le rabaissent doublement – en lui-même et en la personne de celui à qui s’adresse à lui. Dans les rapports affables, il y a toujours eu un principe mauvais qui, avec l’esprit égalitaire, se développe dans toute sa brutalité. Être condescendant ou penser qu’on vaut pas mieux que les autres, cela revient au même. En s’adaptant à la faiblesse des opprimés, on justifie dans une telle faiblesse les conditions de domination qu’on présuppose et l’on développe soi-même ce qui faut de grossièreté, d’apathie et de violence pour exercer cette domination. Quand en plus, dans la phase toute récente où nous nous trouvons, la pose condescendante a disparu et qu’on ne voit plus que le rapprochement égalisateur, alors le rapport de classes qui se trouve ainsi nié ne s’en impose que d’une façon autant plus implacable, car le pouvoir reste complètement masqué. Une solitude intangible est pour l’intellectuel la seule attitude où il puisse encore faire acte de solidarité. Dès qu’on rentre dans le jeu, dès qu’on se montre humain dans les contacts et dans l’intérêt qu’on témoigne aux autres, on ne fait que camoufler une acceptation tacite de l’inhumain. Il faut être du côté des souffrances des hommes; mais chaque pas que l’on fait du côté de leurs joies est un pas vers un durcissement de la souffrance."

  • La carte postale du jour ...

     

    Hildur Gudnadóttir, Luba Jurgenson, Sergueï lebedev, verdier, touch

    que c'est beau d'être encore surpris par mes contemporains, surtout dans le domaine des arts, et particulièrement en musique et en littérature, deux matières qui me sont presque irremplaçables dans la vie. Hildur Gudnadóttir est une violoncelliste (mais pas seulement) de talent née en 1982 et son album Without sinking paru il y a à peine quelques années sous l'égide britannique du label Touch est une magnifique œuvre musicale classique, organique, hypnotique, allant de l'immersion à l'émersion, dotée qui plus est d'un pouvoir métaphorique puissant (surtout sur le titre Erupting light). il en est de même avec cet auteur russe né en 1981 que je découvre sous la couverture jaune des prestigieuse éditions Verdier. c'est un roman au langage remarquable, au récit complexe que l'on pourrait penser - à tord! - laborieux à lire, mais il faut le lire, on en sort grandi (oui, c'est cliché de dire ça, mais là c'est vrai). la traductrice Luba Jurgenson dans un entretien le dit si bien "Nous vivons une époque de lassitude mentale. Avant d’entreprendre quoi que ce soit, par exemple, la lecture d’un livre, on demande trois fois : Qu’est-ce que cela va m’apporter ? Qu’est-ce que je vais en retirer ? Les temps sont difficiles et les gens commencent à économiser leurs forces. Or, ce livre a été conçu pour un lecteur tout autre.". il est donc recommandé d'être cet "autre lecteur" et de découvrir ce beau roman où le lis entre mille et un passage de qualité :

    "Le gardien était assis devant le poêle. Prêt du mur s'empilait des livres de lecture usés et couverts de gribouillis, qui avaient séjourné entre tant de mains d'écoliers : langue russe, quatrième année. Il les prenait un par un, déchirait la couverture, froissait les pages pour qu'elles prennent feu plus facilement et les jetait dans le poêle. "L'école est fermée, dit-il. On n'a plus de bois. C'est comme ça qu'on chauffe, et même là on gèle. La bibliothèque est riche, on tiendra jusqu'en avril."
    Dans cette école fermée, on alimentait le poêle avec la langue russe. Enfant, tu avais détesté ces livres, ces "questions sur le texte", ces paragraphes soulignés : "Teste tes connaissances", ces gros caractères indulgents, arrondis à l'image des angles de pupitres pour que les enfants ne si blessent pas! à présent, tu es près d'éclater en sanglot parce que cela n'a plus aucune importance, parce que l'amertume pâlit à côté d'un vrai chagrin.
    Là-bas, dans ce village de la Volga, parmi les champs parsemés de jeunes bouleaux, je compris ce que signifiait pour l'homme sa langue natale - sans guillemets ni dogmatisme scolaire.
    Bouleaux, neige, bois, ciel, chemin, gel : je répétais mentalement ces mots que je connaissait depuis presque aussi longtemps que ma propre personne. Bouleaux, neige, bois, ciel, chemin, feu, fumée, gel, les mots s’amplifiaient, ils étaient matière comme l'énergie est matière ; les mots s'entrelaçaient formant une sort de symphonie, mais ne se mélangeaient pas, et le gel gelait, les flammes flambaient, la fumée fumait. Les mots devenaient translucides, légèrement froncés tel le feu pure, leurs enveloppes phonétiques vacillaient, révélant la substance nue des significations : ainsi, une manière particulière de réfracter la lumière révèle une bulle d'air au cœur d'une pierre précieuse."

  • La carte postale du jour ...

    jeudi 13 février 2014.jpg

    Un vision, celle d'Yvo Watts-Russel, encore influencé par Joy Division, Pil et Wire, un label - 4ad -, une esthétique du son et de l'image qui, bien sûr, balbutie encore, mais qui n'en est pas moins présente, preuve en est avec ce quarante cinq tours des danois Sort Sol dont le texte quoique trop sobre et répétitif reste largement contrebalancé par un son digne des meilleures productions de Joy Division, tout en profondeur, basse en avant, langueur tranchante de la guitare électrique, voix abyssale, rythme ralenti à l'excès, tant et tant qui font de ce Marble Station un des meilleurs titres de la nouvelle vague du début des années 80, période où une partie de la jeunesse occidentale se pare de noir, où Tito meurt activant le naufrage lent du vaisseau Yougoslavie. On retrouve toute l'ambiance de ces années dans un roman écrit de façon simple, mais qui n'en reste pas moins intéressant car il nous plonge dans deux décennies de l'histoire yougoslave :

    "À Belgrade, on a jamais joué de meilleur rock qu'après la mort de Joseph Broz Tito. Avec son éternel amour et haine, Maria, mon copain Bané Yanovitch créait des groupes, très nouvelle vague, qui s'appelaient "Ombre acoustique", "Jeunes mais gros", "Estropiés par la peur" et, pour finir, "Lézards sauvages".
    Avec cette "nouvelle vague", se libéra dans notre ville un tel concentré d’enthousiasme, que même les statues s'étaient réveillées. Dans les rues de Belgrade. On pouvait entendre des claquements de dents fiévreux. Les yeux étincelaient. Je pouvais dire : Tout ceci est une chose qui m’appartient. Enfin ma ville m'appartient. C'est une chose qui fait partie de ma planète.
    Tout a commencé par la manière dont Bané Yanovitch saisit une médaille de la seconde guerre mondiale, pour acte de vaillance. Il ouvrir un briquet à essence et flamba une des agrafes. Il pinça fort un de ses mamelons et accrocha la décoration dans la chair nue. Il grinça des dents et dit :
    - Allons-y !
    C'est en ces termes qu'il exprimait son image d'artiste, de la façon la plus brève :
    1) Je suis désespéré.
    2) Je n'ai pas de copine.
    3) Je ne sais pas faire de la musique.
    4) Il y en a beaucoup qui le savent, mais il n'ont rien à dire.
    5) Je veux dire quelque chose, mais j'ignore comment.
    ...
    L'idée me traversa que, précisément, c'était ça, la nouvelle vague belgradoise - une conquête de soi. Jamais de ma vie je n'avais vu Bané aussi sérieux. Il était le chef indien Cheval fou. Il était un derviche dans sa transe tournoyante. Bané tenait le micro à deux mains et, d'un pied, il marquait le rythme. J'ai ressenti de la fierté et de la jalousie. Il osait ce que ne n'avais jamais osé, moi. Il osait être ce qu'il était. Sur la scène, Bané était désormais un homme qui danse sur des charbons ardents. Il était désormais le prophète qui, d'un regard, ouvre les cieux et, de ses talons, fait jaillir des sources. De Bané se déversait de la fumée.
    De lui s’échappait la chose la plus merveilleuse et la plus terrible de l'univers. En l'observant au cours du concert, je compris que toutes les institutions de ce monde ne sont que des murs de protection élevés autour du charisme. Cette puissance prophétique a le pouvoir de métamorphoser un désert en oasis, celui de faire se relever les infirmes, de mettre en fureur les indolents, de remplir les yeux de larmes.
    Le projecteur changea de couleur, Bané également. Maintenant, il était vert, semblable à un esprit du peyotl. Était-ce l'homme auprès de qui j'avais grandi? Des fourmillements descendirent le long de mon dos lorsque Maria, en courant, fit son apparition sur scène, avec son saxophone. Elle aussi, elle s'était métamorphosée.
    Bané était fier de lui et tragiquement grave. Sa poitrine, portant la médaille pour acte de bravoure, se gonflait. De la sueur ruisselait le long de ses tempes. Il ne chantait plus. il regardait Maria, c'est tout. Elle leva le saxophone et souffla. Et ce fut comme lorsque Béhémoth siffla, dans le Maître et Marguerite. Elle souffla et un vent terrible se leva. Elle souffla et les rideau flottèrent. Elle souffla dans les voiles de nos âmes. Une énorme bourrasque nous emporta. Maria se tordait en arrière, pareille à un marin sur un voilier et le timbre du saxophone nous soulevait. La salle remplie d'une foule qui exultait était devenue le vaisseau du Hollandais Volant. Maria soufflait das les voiles d'un vaisseau qui survolait la ville et le monde. Tous, nous avions la certitude qu'ensemble nous allions nous
    envoler vers un univers qu'habitent des méduses urticantes, des géants et les esprits du peyotl."

  • La carte postale du jour ...

    dimanche 9 février 2014.jpg

    Fabuleuse ré-édition du premier album de Durutti Column dont la musique douce et mélancolique contraste avec sa pochette recouverte de papier sablé - clin d’œil affirmé aux situationnistes -, pochette dont l'objectif était de ruiner tous les autres disques avec lesquels elle rentrait en contact ; et pendant que Vini Reilly égrène ses notes de guitares sur Sketch for Winter, je relis pour la énième fois Autoportrait d'Édouard Levé, picorant de-ci de-là les lignes suivantes : "J'ai pleuré en lisant Perfecto de Thierry Fourreau. Toutes les musiques de Daniel Darc, Durutti Column, Portishead, des Doors et Dominique A me conviennent. Je regarde des films à la télévisions sans l'avoir prévu, il est donc exceptionnel que je voie un film en entier. Je ne crois pas au cinéma de fiction, seuls quatre films m'ont marqué, La vie à l'envers d'Alain Jessua, Le Diable probablement de Robert Bresson, La Maman et la Putain et Une sale histoire de Jean Eustache, certains autres films m'ont distrait ou ému, mais je ne leur accorde pas de crédit. Mes musiciens préférés sont Bach et Debussy. Adolescent je croyait que La Vie mode d'emploi m'aiderait à vivre, et Suicide mode d'emploi à mourir. Je peux me passer de musique, d'art, d'architecture, de danse, de théâtre, de cinéma, je me passe difficilement de photographie, je ne me passe pas de littérature. J'aime imiter l'accent d'un Allemand d'origine vietnamienne s'efforçant de parler anglais. Je passais devant une galerie dont je ne savais pas qu'elle avait fait faillite, depuis le trottoir j'ai vu une installation qui m'a immédiatement donner envie d'entrer, un mannequin de vitrine grossièrement transformé en évangéliste prodigait la bonne parole à d'autres mannequins habillés en tenues supposées contemporaines, autour, il y avait, on ne sais pourquoi, une charrue, un coucou, et un poster de la Jamaïque, ce n'est qu'une fois entré que j'ai compris que la galerie avait été remplacée par un centre mormon, et que l'"installation" n'étais pas une parodie."

  • La carte postale du jour ...

    mercredi 5 février 2014.jpg

    bonjour ô monde cruel... la bande sonore angoissante des Tindersticks colle à merveille avec ma lecture du moment, à savoir Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal, un petit livre beau et tragique ( je recherche une copie du film - avec Noiret - désespérément ! ) : "Les ouvriers déchiraient les paquets, en tiraient des livres tout neufs, arrachaient les couvertures et jetaient leurs entrailles sur le tapis ; et les livres, en tombant, s'ouvraient ça et là, mais personne ne feuilletait leurs pages. C'était du reste bien impossible, la chaîne ne souffrait pas d'arrêt comme j'aimais à en faire au-dessus de ma presse. Voilà donc le travail inhumain qu'on abattait à Bubny, cela me faisait penser à la pêche au chalut, au tri des poissons qui finissent sur les chaînes des conserveries cachées dans le ventre du bateau, et tous les poissons, tous les livres se valent... Enhardi, je me hasardai à grimper sur la plate-forme qui entourait la cuve ; oui, vraiment, je m'y promenais comme à la brasserie de Smichov où l'on brasse en une fois cinq cents hectolitres de bière, appuyé à la rampe comme sur l’échafaudage d'une maison en construction je baissais les yeux sur la salle ; comme dans une centrale électrique, le tableau de commande brillait d'une dizaines de boutons de toutes les couleurs, et la vis tassait, pressurait ces rebuts avec autant de force que lorsqu'on serre un ticket de tram entre ses doigts sans y penser. Épouvanté, je regardais autour de moi ; le soleil éclairait les vêtements des ouvriers, leurs pulls, leurs casquettes se perdaient dans une débauche de couleurs, criardes comme les plumes d'oiseaux étranges et bariolés, des perroquets, des loriots ou des martins-pêcheurs. Ce n'était pas cela qui me glaçait ; en l'espace d'une seconde, je sus exactement que cette gigantesque presse allait porter un coup mortel à toutes les autres, une ère nouvelle s'ouvrait dans ma spécialité, avec des êtres différents, une autre façon de travailler. Fini les menues joies, les ouvrages jetés par erreur ! Fini le bon temps des vieux presseurs comme moi, tous instruits malgré eux ! C'était une autre façon de penser... Même si l'on donnait, en prime, à ces ouvriers un exemplaire de tous les chargement, c'était ma fin à moi, la fin de mes amis, de nos bibliothèques entières de livres sauvés dans les dépôts avec l'espoir fou d'y trouver la possibilité d'un changement qualitatif. Mais ce qui m'acheva, ce fut de voir ces jeunes, jambes écartées, main sur la hanche, boire goulûment à la bouteille du lait ou du coca-cola ; elle était bien finie, l'époque où le vieil ouvrier, sale, épuisé, se bagarrait à pleines mains, à bras-le-corps, avec la matière ! Une ère nouvelle venait de commencer, avec ses hommes nouveaux, ses méthodes nouvelles et, quelle horreur, ses litres de lait qu'on buvait au travail alors que chacun sait qu'une vache préférait crever de soif plutôt que d'en avaler une gorgée."