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Musique - Page 31

  • La carte postale du jour ...

    "L'adolescence est comme un cactus"
    Anaïs Nin, Une espionne dans la maison de l'amour (1954)

    dimanche 8 juin 2014.jpg

    Je me souviens d'avoir découvert The Cure dans un lot de cassettes léguées par mon frère bien plus âgé alors que moi j'avais 14 ans à peine, décelant  ainsi, pêle-mêle, la pop avec basse en avant matinée d'électronique de New Order, la new-wave baroque de Siouxsie (suivi en fin de bande de quelques titres des français Baroque Bordello, ça tombait bien), le lyrisme victorien deThe Smiths, mais je me souviens surtout d'avoir à maintes reprises rembobiné la cassette avec The Cure sur la première face, et d'avoir subitement trouvé mon remède aux craintes adolescentes puis d'avoir régulièrement claqué l'argent donné pour acheter des tickets restaurant pour me procurer les disques de ce groupe anglais atypique. Je me souviens de débarquer chez mon médecin avec le maxi 45tours de Boys don't cry ressorti en 1986 et de l'entendre dire avec un regard interrogateur en regardant la pochette du disque : les garçons ne pleurent pas puis de lacher un ah bon? amusé. Je me souviens aussi d'avoir été étonné par le titre Three imaginary boys, qui fait figure d'ovni dans cette compilation des tous premiers titres de The Cure à cause de son évidente mélancolie, notamment dans le texte de Robert Smith quand il chante

    "Close my eyes
     And hold so tightly
     Scared of what the morning brings
     Waiting for tomorrow
    Never comes
     Deep inside
     The empty feeling
     All the night time leaves me
     Three imaginary boys"

    C'est trois filles imaginaires du Havre de 1978 que dépeint Maylis de Kerangal dans ce court mais beau roman rock intitulé Dans les rapides. Trois filles qui ne pleurent pas mais croisent la musique de Blondie et vont, pour un court moment, comme d'autres l'ont fait avant avec Bowie ou Roxy Music, ou après avec The Cure et Joy Division, marcher dans les pas de leur idole d'un moment, ne vivre que pour et par elle. Maylis de Kerangal a écrit un véritable hymne à la jeunesse, dans une langue puissante et très imagée, c'est le New York fin septante, celui du mythique CBGB's, une époque en état de siège où l'on croise les Ramones, Modern Lovers, mais aussi Kate Bush, qui supplantera peu à peu l'influence de Blondie, les "lignes parallèles" se mueront en voies divergentes ; tout cela est si bien (d)écrit qu'on verse facilement dans la nostalgie de sa propre adolescence, avec un certain plaisir...

    "Puisque nous avons peur - nous ne nous racontons pas d'histoires : nées de la dernière pluie, nous sommes en état d'alerte permanent. De ce côté-ci, on dit que c'est sombre et chatoyant, peuplé de jeunes types rageurs et goguenards, de junkies romantiques, de dandys trash, de crétins, de petites frappes frustes et électriques, d'abominables petits poseurs bidons, de chiens fous, de macs qui sniffent la bonne pioche et se pourlèchent les babines devant cette jeunesse qui ne respecte rien, irrévérencieuse, jusqu'au-boutiste, tellement vivante, par là ça chante sans voix et sans solfège, à toute allure, des trucs binaires ultra-primaires, par là ça sent la sueur et l'animal, la drogue, l'alcool, la violence et le sexe, par là ça se fout du monde mais ça s'y plante au milieu pour le faire savoir. Une mythologie gonflée de bière qui reconduit la toute-puissance virile de jeunes mâles et encolle nos doigts tel un sparadrap indifférent aux secousses. Ce n'est pas la petite maison dans la prairie, pas un endroit pour fifilles, on est prévenues, on en rigole. À l'automne 1978, nous pénétrons la terre rock via la canyon Blondie avec la fébrilité naïve d'un orpailleur tamisant les rapides. Quinze ans ai-je dit, bientôt seize, il est temps."

  • La carte postale du jour ...

    "Certes, il est pénible de vieillir, mais il est important de vieillir bien, c’est-à-dire sans déranger les jeunes." Pierre Desproges

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    Je me souviens bien de la première fois où, regardant 120minutes sur MTV, j'ai vu le clip du titre Creep de Radiohead, d'avoir vaguement apprécié cette chanson et d'avoir instanément haï son chanteur tête à claque Thom Yorke. Je me souviens de lire dans un magazine, des années plus tard, que Paul McCartney aurait déclaré qu'il aurait aimé composer un aussi bon album qu'Ok Computer avec les Beatles, avis partagé par l'un des fondateurs du label Warp qui aurait rêvé signer ce groupe, ce qui va me faire irrémédiablement changé d'attitude envers le groupe à partir du début des années 2000. Je me souviens aussi, et pour cause, de finir nombre de mes soirées comme DJ en passant Paranoid Android, ondulant sur sa rythmique changeante, ses contretemps et ses passages solennels, bénissant la production magique de Nigel Godrich, hurlant à tue tête son texte parano-misanthropique, mes amies et amis faisant de même :

    "When I am king you will be first against the wall, With your opinion which is of no consequence at all"

    Si 1997 est l'année de parution d'Ok Computer, c'est aussi l'année de la sortie du premier roman de Matthieu Terrence - Fiasco -, petit bijou de nihilisme et mini chef-d'oeuvre d'autodérision, où son protagoniste, à défaut de devenir quelqu'un, va tout faire pour devenir rien... lecture (presque) obligatoire à chaque anniversaire (le mien donc) :

    "À force d'avoir mis de la distance entre moi et les autres, j'ai finit par me perdre de vue. Qu'advient-il de celui qui ne vit plus mais toise ses instincts ? Il mime la joie comme la détresse. Il évolue entre spleens et badinages, sur un équateur enneigé. Il n'a plus le moindre excès sur lequel s'appesantir. Seul subsiste le plaisir de raisonner. Interdit de séjour sur le territoire des certitudes, banni de ses propres sensations, il conjugue ses faits et gestes à la troisième personne du singulier. Reste pour lui à cultiver le vice, quoi qu'il arrive, de n'être là pour personne.
    Pour moi aussi le silence est devenu le jardin des vérités vénéneuses, l'amour le deuil d'un flirt, et les apparences le rouge que le néant s'est mis aux joues. Je n'ai cependant pas subi la flétrissure à laquelle j'aspire.
    En société j'ai su m'attirer la réprobation générale, mais cela n'a jamais valu le dégoût d'un proche. J'ai procédé à quelques attentats à l'aide des "coups de fusil" de phrases définitives. On s'en remettait vite. La conversation clopinait un temps avant de repartir. Je faisais de l'esprit parce que je manquais de coeur.
    J'ai quitté des soirées sans mot dire, après avoir vidé un bain moussant dans l'aquarium du salon. Je me suis battu à mains nues avec des parts de gâteaux manquant de moelleux. J'ai fait mon courrier à table, en plein dîner, Je suis resté immobile lors de nombreuses pendaisons de crémaillère. J'ai parlé seul la plupart du temps. J'ai demandé à ma voisine si elle n'avait pas été présentoir à bijoux dans une vie antérieure. J'ai dragué les soeurs de mes hôtes avant de les emmener dans les toilettes sous le nez de leurs parents. J'ai croisé des ex en compagnies d'anciens copains et je n'en revenais pas de m'en contrefoutre à ce point.
    Et puis, souvent, je suis rentré chez moi écoutant dans le noir "Memory" de Barbara Streisand.
    Force m'est de constater que je n'ai tué personne. Albator m'a encore dit hier que je m'y prenais mal si mon but était de la voir s'empoisonner à cause moi. "C'est toi le poison et l'accoutumance a eu lieu." Je ne l'aurai pas plus sevrée que mise en overdose.
    En fait, je m'en veux plus encore de n'avoir décidé personne à venir me régler mon compte, de n'avoir pas été assez ignoble ni assez aimé pour qu'on me tire dessus, de n'avoir été qu'insolent quand j'aurais dû être une ordure."

  • La carte postale du jour ...

    "J'ai cherché en vain, dans la mer sans fond des plaisirs comme dans les profondeurs de la connaissance, une place où jeter l'ancre. J'ai senti la force presque irrésistible avec laquelle un plaisir tend la main à l'autre plaisir ; j'ai senti la sorte de fausse exaltation qu'il peut faire naître ; j'ai senti aussi l'ennui, le déchirement qui le suit. J'ai goûté les fruits de l'arbre de la connaissance et bien souvent, j'ai éprouvé la joie de les déguster. Mais cette joie était seulement dans l'instant de la connaissance et ne laissait aucune marque profonde derrière elle. C'est comme si je n'avais pas bu à la coupe de la sagesse, mais était tombé dedans." - Soren Kierkegaard (1835)

    jeudi 29 mai 2014.jpg

    Je me souviens, quoiqu'imprécisement, perdre peu à peu le goût de la nouveauté, ce sentiment exaltant qui, de mon adolescence jusque dans le courant des années 2000, suscita en moi une passion sincère et parfois immodérée pour des artistes ou groupes peu ou pas du tout connus, avec ce désir de les faire découvrir à mon entourage mais pas seulement, sentiment qui se transorma succinctement en méfiance et finalement en désintérêt total, ce qui ne m'empêche pas, de temps à autre, de laisser sa chance à un groupe, un disque, comme ici, celui des Warpaint. Je me souviens à la première écoute avoir pensé que des disques que j'adore -  Mezzanine de Massive Attack, Heaven or Las Vegas de Cocteau Twins ou Disintegration de The Cure - portaient en eux le germe de cette musique qui suinte l'ennui, cet ennui de l'adolescence, celui du film Lost in translation de Sofia Coppola (que je n'aime pas trop), me laissant perplexe, angoissé presque, avec cette question lancinante : j'aime ou j'aime pas ?!? Je me souviens aussi d'avoir souvent souri devant la naïveté des textes anglophones, mais qui fonctionnent si bien avec ce genre de musique, et de noter quand même que ce disque était produit par Flood, assistant de Martin Hannett pour le premier album de New Order, Movement, et producteur d'un grand nombre de groupes et d'albums qui ont compté à un moment donné (pour moi), comme le premier album de Nick Cave, le premier Nine Inch Nails ou encore le merveilleux et peut-être sous-estimé Seventh Tree de Goldfrapp, donnée non négligeable qui me permet d'écouter avec une certaine bienveillance ce disque de Warpaint, surtout quand Theresa Becker Wayman fredonne de manière presque apathique sur l'excellent titre Feeling allright

    "My mind is made of simple thoughts, I'm going up to start this day, Soon you see me now".

    Forte impression aussi avec ce nouveau livre de Vila-Matas, rédigé pendant et autour de son passage à la Documenta 13 de Kassel. Une fois de plus lire le Barcelonais ce n'est pas simplement lire de la littérature, c'est lire LA littérature. Récit en forme de tour de babel, Vila-Matas brille toujours plus sous cette forme journalistique que par ses romans ; clin d'oeil à Kafka, Borges, Benjamin, Duchamp etc. et donc bien sûr aussi à l'imposture (littéraire de préférence), c'est un écrivain angoissé par la peur de s'ennuyer qui se "livre" ici, et accomplit un travail brillant, une réflexion exemplaire sur le monde de l'art, et la fonction de l'écrivain.

    "Moi, je savais pourquoi j'avais accepté mais il n'était pas question de l'avouer. Outre l'originalité et le côté littéraire de la manière dont j'avais été invité, j'avais accepté parce que je n'avais jamais pensé que ce qu'on m'avait proposé serait un jour à ma portée - comme si on m'avait invité à jouer dans mon équipe de football préférée : quelque chose que, ne serait-ce qu'à cause de mes soixante-trois ans très récents, on ne me proposerait jamais plus -, et aussi parce que, depuis quelque temps, depuis que je m'étais remis d'un collapsus provoqué par ma vie dissolue, je faisais l'expérience d'un rétablissement sur tous les plans et, au sein de ce processus, mon écriture s'était ouverte à d'autres arts que la littérature. Autrement dit, la matière littéraire avait cessé de m'obséder et j'avais ouvert le jeu à d'autres disciplines."

  • La carte postale du jour ...

    "La récente histoire berlinoise récapitule le basculement de la modernité dans un monde post-politique organisé par des images. "

    - Francesco Masci, L'ordre reigne à Berlin (Allia 2013)

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    Je me souviens de mon premier contact avec Berlin durant les années 80 par le film Moi, Christiane F. ... 13 ans, droguée, prostituée, et des quelques titres de Bowie qui y sont utilisés, dont Heroes, qui reste l'un de mes favoris de toute sa carrière, son audition m'évoquant ainsi Berlin, Berlin m'évoquant à son tour Bowie.. Je me souviens de découvrir dans un reportage diffusé par Arte ces images de Neubauten recevant la visite, après leur premier concert à Berlin-Est en décembre 1989, la visite donc du ministre français Fritz Lang ainsi que du dramaturge Heiner Müller, dans les backstage ! Je me souviens aussi ma surprise quand je découvre que pour cet ensemble musical composé pour un documentaire sur Berlin - disque que je considère comme l'un des meilleurs du groupe Einstürzende Neubauten - un de mes passages favoris de L'Ange de l'Histoire de Walter Benjamin a été utilisé, convenant en effet parfaitement avec l'atmosphère mélancolique que peut dégager parfois cette Babylone des temps post-modernes :

    "Ein Engel ist darauf dargestellt, der aussieht, als wäre er im Begriff, sich von etwas zu entfernen, worauf er starrt. Seine Augen sind aufgerissen, sein Mund steht offen und seine Flügel sind ausgespannt. Der Engel der Geschichte muß so aussehen. Er hat das Antlitz der Vergangenheit zugewendet. Wo eine Kette von Begebenheiten vor uns erscheint, da sieht er eine einzige Katastrophe, die unablässig Trümmer auf Trümmer häuft und sie ihm vor die Füße schleudert. Er möchte wohl verweilen, die Toten wecken und das Zerschlagene zusammenfügen. Aber ein Sturm weht vom Paradiese her, der sich in seinen Flügeln verfangen hat und so stark ist, daß der Engel sie nicht mehr schließen kann. Dieser Sturm treibt ihn unaufhaltsam in die Zukunft, der er den Rücken kehrt, während der Trümmerhaufen vor ihm zum Himmel wächst. Das, was wir den Fortschritt nennen, ist dieser Sturm.“

    J'ai visité Berlin à plusieurs reprises depuis le début des années 90, j'ai vu changer cette ville austère et grise - surtout l'hiver! - en capitale post-moderne colorée et cosmopolite, mais j'ai surtout adoré revisiter son histoire récente, et surtout la période dite "Die Wende" (le Tournant) à travers la chronique "Une année allemande" (Actes Sud 1990) de Cees Nooteboom, infatiguable randonneur urbain, voyageur impénitent et observateur érudi. Avec "L'ordre règne à Berlin" de Francesco Masci (Allia 2013), ce livre de Nooteboom est l'un de mes favoris sur Berlin Babylon.

    "En 1810, Mme de Staël déplorait l'absence à Berlin de monuments gothique, la ville ne lui paraissait pas assez ancienne. "On y voit rien de ce qui retrace les temps antérieurs." On ne peut plus en dire autant aujourd'hui, depuis deux siècles et surtout depuis cinquant ans, on a produit ici une telle quantité d'histoire que l'air en est comme saturé ; et je ne parle même pas de ce qu'on y a construit, mais surtour de ce qui a disparu, du pouvoir des lieux vides, de la force d'attraction des choses évanouies - places, ministères, bunkers du Führer, chambres de torture souterraines -, du no man's land de part et d'autre du mur, du banc de sable mortel entre deux murs que l'on appelait Todesstreifen, "couloir de la mort", de tous ces lieux où se sont engloutis hommes et souvenirs. Berlin est la ville du "non-être", de ce qui a été anéanti sous les bombes, rejeté ou mystérieusement interdit. Il n'en est pas de meilleur symbole que les traces de balles que l'on voit encore si souvent, de petits cavités, des endroits où manquent la pierre qui devrait y être, de l'absence, de même que les gens sont absents des stations de métro murées. On les traverse, et on se trouve soudaint dans un territoire hanté, un monde abandonné de ses habitants ou dévasté par la peste. Les quais sont vides, balayés d'une lumière fantomatique, de la rame on voit le prodigieux silence qui y règne, on sait que, si l'on descendait, on se retrouverait immédiatement changé en un très vieux monsieur, avec un journal de 1943 dans sa poche. Les bâtiments "anciens", comme le Reichstag ou le musée de Pergame, produisent une curieuse impression, il semble s'être échoué là par hasard, grands navires échappés de quelque ère préhistorique, qui ont apparemment du mal à se rappeler leur passé et leur fonction."

  • La carte postale du jour ...

    "La solitude ne m'est pas donnée, je la gagne. Je suis conduit vers elle par un souci de beauté. J'y veux me définir, délimiter mes contours, sortir de la confusion, m'ordonner." - Jean Genet, Journal d'un voleur (1949)

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    Je me souviens d'avoir mis un certain temps à comprendre que les albums de This Mortal Coil étaient en fait composés, pour une bonne partie, de reprises, et d'avoir associé ainsi pendant quelques années la chanson Song to the siren aux Cocteau Twins, alors que c'est un titre originalement composé par Tim Buckley, et Alone à This Mortal Coil alors qu'elle était de Colin Newman. Je me souviens quelle satisfaction j'ai eu quand j'ai retrouvé le nom de Colin Newman comme producteur des disques de Minimal Compact, Virgin Prunes ou encore Alain Bashung, d'avoir soudainement une nouvelle idole à ranger dans mon panthéon de musiciens et producteurs de génie. Je me souviens aussi d'avoir discuté longuement avec un ami fanatique de musique comme moi, par une belle soirée d'été du milieu des années 90, de toutes ces chansons fantastiques perdues sur des albums parfois moyens, et d'avoir évoqué Alone de Colin Newman, et m'être vaguement remémoré son texte

    "Alone, with too much generosity, A theatre mask of hostility attracts, Assaults occur, infrequently, And those who come, to conquer? Need strength, But damage accumulates, Still moving him to tears, Retained a sense of humour"

    J'ai retrouvé un peu de cette atmosphere, de cette force tranquille, de cette inquiétante étrangeté, dans le petit livre de Michael Ferrier qui évoque aussi des formes de solitude, le fait d'être exclu non pas dehors, mais en dedans. Kizu, en japonais, désigne en effet la fissure, mais aussi le trouble de l'âme :

    "Étrangement, je ne peux comparer ce vertige éprouver à côtoyer les lignes de l'abîme qu'à l'état amoureux, quand quelqu'un vous entre dans la peau et, quels que soient vos efforts et l'indifférence que cet être vous témoigne, n'en sortira pas. Les tentatives de ma raison ne pouvait rien contre le lent envahissement qui se propageait à tous les gestes de mon existence : dans le train, le métro, dans la rue, je pensais à elle. Au moindre évènement de ma vie quotidienne, elle se trouvait mêlée immédiatement et, même lorsque je l'oubliais pour quelques instants, je savais que c'était pour y mieux repenser quelques minutes après, qu'elle reviendrait plus forte, mieux armée, que je n'avais en fait cessé de songer à elle - sournoisement - que pour mieux la retrouver, plus fraîche, plus belle, plus noire. Je ne pouvais aller nulle part sans que son souvenir me hante, sa douleur et sa douceur formaient un fond indifférencié qui poussait chaque jour un peu plus loin son empire. Elle s'était logée au plus profond, m'accompagnait comme une ombre radieuse. La fêlure était en moi, elle ne me lâchait pas."