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Manoeuvres de diversion - Page 13

  • La carte postale du jour...

    "...là où la légèreté nous est donnée, la gravité ne manque pas."

    - Maurice Blanchot

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    Je me souviens de mettre les pieds chez Sounds comme presque toutes les semaines, ça doit être l'été 1990, un bel après-midi d'ailleurs, il fait beau c'est sûr, et comme toujours j'ai l'impression de pénétrer dans une grotte où le disquaire se cache derrière un comptoir qui me paraît disproportionné par rapport à la taille du lieu, comptoir qui laisse à peine entrapercevoir la tête de Jean-Marie, et là - avant même de prononcer le salut habituel - je reconnais cette voix qui m'est chère, celle de Peter Murphy, mais la chanson m'est inconnue, c'est Cuts you up, et je me sens comme sur un bateau ivre - il me faut ce disque.

    Je me souviens bien d'être allé voir un concert de Peter Murphy, cet ancien leader de Bauhaus, ce vrai dandy aux fausses poses de Bowie, c'était à la Salle du Faubourg, l'automne de la même année, mais d'avoir été un peu déçu - trop pop, trop propre peut-être ?

    Je me souviens aussi qu'avec le temps j'ai délaissé l'album Deep pour ce maxi composé de deux versions de Cuts you up et sa mélodie aguicheuse dont je ne me suis jamais lassé ainsi qu'une version alternative de la très belle ballade A strange kind of love, qui reste à ce jour mon titre favori de Peter Murphy.

     

    A strange kind of love
    A strange kind of feeling
    Swims through your eyes
    And like the doors
    To a wide vast dominion
    They open to your prize

    This is no terror ground
    Or place for the rage
    No broken hearts
    White wash lies
    Just a taste for the truth
    Perfect taste choice and meaning
    A look into your eyes

    Blind to the gemstone alone
    A smile from a frown circles round
    Should he stay or should he go
    Let him shout a rage so strong
    A rage that knows no right or wrong
    And take a little piece of you

    There is no middle ground
    Or that's how it seems
    For us to walk or to take
    Instead we tumble down
    Either side left or right
    To love or to hate

    https://www.youtube.com/watch?v=y3Cy7B9x0qk

     

    Si David Bosc déclare qu'il aime animer les choses anciennes, celles qu'on n'invente pas, à la faveur d'une brume de fiction - ce qu'il avait précédemment fait pour Claire Fontaine, son roman sur les dernières années de Courbet -, l'écrivain procède ici presque à l'inverse : il utilise un fait divers, un visage entraperçu dans le carnet d'un poète, pour inventer une chose nouvelle qui se déploie en toute liberté - cette chose est bien sûr ce beau roman dont le titre est tiré d'un poème de Mandelstam : Mourir et puis sauter sur son cheval. Pour ne pas gâcher une lecture qui a besoin autant d'attention que de virginité, il ne faudrait presque rien savoir de plus et ne plus rien dire ni écrire ; mais j'ajouterais quand même pour guider le curieux vers ce livre,  que celui-ci m'évoque la Métamorphose de Kafka ainsi que, moins connu - malheureusement -, le magnifique Gorgô de Claude Louis-Combet ; animalité et sensualité ; appétit de vivre, frénésie de liberté, besoin d'art et d'amour jusqu'à ce que l'aventure tourne à la dévoration... Car ce livre possède à la fois la gravité de la bonne littérature et la légèreté qui lui permet de s'envoler vers les sommets. Voilà, il faut le lire, maintenant.

    Extrait de Mourir et puis sauter sur son cheval, de David Bosc (publié aux éditions Verdier) : 

    "À l'aube, les arroseuses mouillent la poussière des rues ; elle reviendra avant midi cet empêchement de voir et de respirer que l'on croyait à demeure chez les porteurs de babouches et de sombrero. Poudre de briques, plâtre des murs et des plafonds ; on dit que trois cent mille bombes sont tombées sur la ville.

     Un gamin d'une quinzaine d'années est assis dans la vitrine crevée d'un marchand de livres d'occasion. Le bâtiment menace ruine, il a perdu son toit et son dernier étage, les occupants ont été évacués. Dans son costume de laine, avec une cravate qui ressemble à la ceinture d'un vieux peignoir, le bonhomme est en pleine lecture. Il a le pied sur une pile bien ordonnée - son premier choix - tandis que tous les autres livres, au sol et jusque sur le trottoir, s'étalent, se chevauchent et font les écailles d'un dragon terrassé. Il y a là comme une sécession et la guerre s'en trouve repoussée à mille lieues, au diable.

     - Dis, c'est un miroir ou un trou de serrure ?

     - Hein ?

     - Dans ton bouquin, tu regardes vivre les autres ou tu ne vois partout que toi ?"

  • La carte postale du jour...

    "Dans les derniers temps il portait des lunettes noires, s'habillait comme un personnage de film de science-fiction d'aujourd'hui, genre Terminator, avec des blousons de cuir. Et puis il était devenu plus silencieux, il tendait à l'immobilité."

    - Federico Fellini, à propos de Pier Paolo Pasolini

    jeudi 31 décembre 2015.jpg

    Je me souviens d'avoir découvert La Femme en même temps que Fauve dans une émission de Pascale Clark (sur France Inter), en mars 2013, d'avoir été intrigué puis séduit par les premiers, d'avoir moins accroché sur les seconds aussi, mais c'est que Le Femme vient de Biarritz, et que Biarritz me ramène toujours au film des frères Larrieu, Les derniers jours de la fin du monde, que j'ai vu sept fois déjà sans me lasser, alors j'y ai entrevu un signe peut-être...

    Je me souviens bien que Jack du magasin de disques Dig It m'avait fièrement mis ce disque sous le nez alors que je claquais trop d'argent pour d'autres jolies galettes de vinyle, mais que j'avais passé mon tour et que, finalement, n'arrivant plus à l'obtenir, j'avais du musarder sur internet pour trouver ce grandiose Psycho Tropical Berlin (toujours écouter son disquaire sinon les regrets sont éternels).

    Je me souviens aussi d'avoir joué le titre Saisis la corde lors d'une soirée dédiée à Ian Curtis et Joy Division, il y a presque un an maintenant (c'était en mai, évidemment) et que l'ami Pascal Gravat m'avait demandé qui était ce groupe et l'avait trouvé génial - parce que c'est clair que ce mélange de surf-pop moderne et de new-wave débridée a tout pour plaire, surtout ce titre qui me hante depuis des mois - It's time to Wake up (2023) -, me faisant penser à Death In Vegas dans ses grands moments, bien que la Femme reste unique en son genre, bien sûr.

    Tu dors encore à mes côtés
    Les deux soleils sont levés
    Comme chaque matin j'ai de la chance
    J'ai mes deux reins et je suis vivante
    Toujours ensemble pour la journée
    Toujours, toujours
    Toi mon survivant

    Une nouvelle a commencé
    Dans ton corps une puce électronique
    Volontaire obligatoire
    Moi et toi contre les autres
    Toujours, toujours
    C'est la faute aux autres,
    La faute aux autres
    Ce qui s'est passé t'a rendu plus fort
    Ce qui s'est passé

    C'est vrai ce que l'on dit de l'autre côté
    L'herbe est verte le vent est rouge
    Il y a onze ans j'ai rencontré
    Une chose très rare bien gardée
    Contre sa peau je resterai
    Amour amour outre Atlantique
    Transgénital, transgénital,
    Transgénital, transgénital,
    Transgénital, transgénital,
    Transgénital,
    Tu reçois sur ton psychique

    Je veux rentrer chez moi
    (California)
    2023 (2023)
    Je veux rentrer chez moi
    (California)
    2023 (2023)

    Tout le monde se fait tuer
    Pour être leurs esclaves
    La silly cause
    La guerre était finie
    Mata Hari

    Vous allez mourir
    Vous allez mourir
    J'ai dit la vérité
    La vérité
    2023

    2023

    Trois mots sur les vents

     https://www.youtube.com/watch?v=iMDwrnLrdgs

    En rangeant mes bibliothèques (comprendre : en essayant de faire de la place - pas facile), je tombe sur ce livre acheté lors de mes débuts à la librairie le Rameau d'Or, en avril ou mai 2010. Je connais un peu son auteur pour avoir lu un de ses polars avec beaucoup de sexe (s/m), des révolutions dans des banlieues forcément glauques (merci les clichés), des groupuscules d'extrême-droite etc. et puis le nom de son auteur me ramène à Céline Leroy qui va bien j'espère (mais n'a certainement aucun lien de parenté), mais dans le fond : impossible de me rappeler de quoi traite (dans le détail) ce Physiologie des lunettes noires. Alors je décide de le relire. Céline (Louis Ferdinand cette fois) a dit un jour que l'avantage des petits livres est que s'ils vous tombent des mains, ils ne vous cassent pas les pieds. C'est le cas de ce petit livre avalé en une heure à peine et qui permet d'en apprendre sur son auteur, lecteur de Michel Clouscard (on n'est pas beaucoup malheureusement), citant Cioran, et grand amateur de soul, détestant les éditions de Minuit et la new-wave (zut pour moi). On tentera d'oublier sa vision misérable de la femme d'aujourd'hui, que l'auteur décrit comme des "adorables visages, ces silhouettes amies de l'espace, ces avant-bras veloutés, les lunettes de soleil remontées dans les cheveux, ces seins qui pointent sous les petits hauts" et que "tout ça soit en fait un atroce concentré de soumission, de calculs plus ou moins conscients, de néo-puritanisme bien-pensant, de fascisme de la tolérance obligatoire, de bovarysme avec l'électronique communicationnelle embarquée à bord, d'assistance psychanalytique à vie comme on a des assistances respiratoires." Systématiser la femme à "tout ça", ça sent surtout le quinqua' qui vit mal son âge... communiste hédoniste (il s'en réclame tout au long de son livre), on imagine l'écrivain manger du saucisson avec ses amis en laissant tomber la cendre de cigarette au sol pendant que bobonne fait la vaisselle ; une certaine idée de la révolution des mœurs, c'est bien dommage mais passons. Car il y a fort heureusement de belles pages sur Bukowski dans ce livre, de beaux passages sur Audrey Hepburn, et puis il y a un amour sincère de la littérature, de la langue, de la phrase. On appréciera les anecdotes sur les années 80, la Russie d'alors et l'émission Lunettes noires pour nuits blanches d'Ardisson, où j'ai vu Alan Vega (Suicide), un soir de 1989, interpréter la chanson Surrender dans un playback aussi majestueux que comique. Mais me voilà perdu... bref, tout ça pour dire que parfois on ne sait plus trop pourquoi on avait acheté un livre, et que la meilleure façon de le savoir, c'est de le relire.

     

    Extrait de Physiologie des lunettes noires, de Jérôme Leroy (publié aux éditions Mille et une nuits) :

    "- Swann portait des lunettes noires ?

     - Aucune idée. Il faudrait trouver le temps de relire Proust avant la guerre ethnique sur fond de réchauffement climatique. Cela ne va pas être évident.

     - Il parait que ce n'est pas sûr, le réchauffement climatique.

     - Ben voyons, comme si le capitalisme n'allait pas tenter jusqu'au bout de nier l'autocide planétaire qu'il a mis en place. On se demande pourquoi d'ailleurs. Ils n'auront pas de tribunal de Nuremberg pour leur demander des comptes. D'abord parce qu'ils seront morts comme les autres, ces cons, et en plus que, si tribunal il y avait, on ne trouverait pour y siéger que des bonobos tristes, des scorpions dopés aux radiations et des rats amusés.

     - On dirait du La Fontaine.

     - Du Lautréamont plutôt. Lautréamont est un auteur de la fin du monde qui ne le savait pas : "L'aigle, le corbeau, l'immortel pélican, le canard sauvage, la grue voyageuse, éveillés, grelottant de froid, me verront passer à la lueur des éclairs, spectre horrible et content. Ils ne sauront ce que cela signifie. Sur la terre, la vipère, l'œil gros du crapaud, le tigre, l'éléphant ; dans la mer, la baleine, le requin, le marteau, l'informe raie, la dent du phoque polaire, se demanderont quelle est cette dérogation à la loi de la nature."

     - Effectivement...

    "

     

     

  • La carte postale du jour...

    Vous qui prétendez que des bêtes poussent des sanglots de chagrin, que des malades désespèrent, que des morts rêvent mal, tâchez de raconter ma chute et mon sommeil.

    Arthur Rimbaud, extrait de Matin (1873)

     

    vendredi 26 décembre 2015.jpg

    Je me souviens que cette pochette de disque m'a posé comme principal souci de ne pas me photographier moi-même, à cause de son effet miroir.Je me souviens bien d'avoir immédiatement pensé à certains groupes en écoutant ce disque des danois de Vår ; à Joy Division en premier lieu, à Cure (période Faith), à Siglo XX, à Tunnelvision, à d'autres danois bien sûr (Sort Sol et De Må Være Belgiere), à In The Nursery et Death In June des débuts, et aux nombreux clichés qui découlent de ce style quelque part entre le post-punk le plus sombre et le néofolk le plus martial, avec cette obsession pour un idéal jeune et fier (guerrier), ce bouillonnement colérique et romantique à la fois, cette tension qui oscille entre une forme d'extase et un désespoir total, transpirant une tragédie désirée, et puis cette sobriété d'expression qui, au final, saisit l'auditeur.

    Je me souviens aussi d'avoir été enthousiasmé par la production, le son même de ce disque, la maturité qui s'en dégage - surtout lorsque j'ai vu la photo des membres du groupes qu'on croirait encore en pleine adolescence et qui sont pourtant les auteurs accidentels d'une bande son probable des livres de Mishima ou Jean Genet, ceux qui portent en eux une charge homo-érotique puissante, comme sur le charismatique et enlevé Pictures of Today / Victorial, l'un des temps fort de No One Dance Quite Like My Brothers :

    https://www.youtube.com/watch?v=jAFZ0LXuq4A

    Il y a plusieurs beaux et bons livres qui vont paraître à la rentrée de janvier 2016, mais s'il fallait en retenir un tout particulièrement (ou pour l'instant) alors cela serait probablement Martin, de Bertrand Schefer. J'y ai retrouvé cette fausse simplicité que j'avais apprécié dans l'un de ses précédents livres, Cérémonie. Une écriture dite "plate", qui ne l'est pas, évidement, mais dont la forme - sobre -, sert en définitive le fond. Il ne lui faut pas plus de quatre-vingt pages pour dresser le magnifique et tragique portrait d'une amitié de jeunesse que le temps a usé jusqu'à la moelle et que les trajectoires différentes font qu'elle se perd de vue jusqu'à devenir même un produit de pure fiction. Mais cela serait trop bête ici de divulgacher l'histoire et l'enjeu de ce livre qui est profondément émouvant ; qui n'a pas, un jour, voyant au loin une très ancienne connaissance - ou même ce qu'on dénommait "ami" par le passé -, changé de trottoir ou simulé ne pas reconnaître la personne, par peur d'un silence embarrassant, à cause de cet inévitable éloignement, du temps qui a passé et que l'on ne compte plus en année mais en décennie. Et c'est justement ce dont traite Martin, où le narrateur du livre ne veut pas ternir un passé idéalisé, voir fonctionnalisé (par l'écrit et le cinéma), par un présent et un réel par trop décevant. Il n'y aura pas de rencontres ni de retrouvailles, mais que des non-évènements, des non-rencontres et autant de non-retrouvailles... Ce livre sonne juste, c'est chose rare, et l'effet est proche de celui que m'avait procuré par exemple la lecture de Suicide d'Édouard Levé, ou celle de Ce que j'appelle oubli de Laurent Mauvignier, c'est dire (trop, peut-être... mais aussi pas assez tant ce livre est fort).

    Extrait de Martin, de Bertrand Schefer (à paraître en janvier 2016 aux éditions POL) :

    "Je n'ai pas voulu voir qu'il fallait passer à autre chose, je me suis accroché à la jeunesse qui s'enfuyait, que Martin avant figée dans son refus et son déni de tout, et tout est parti en miettes en m'explosant à la figure, parce que celui qui refusait de s'engager et de bouger se détruisait finalement plus vite que nous. Et maintenant j'avais pris sa place, un jour comme celui-ci : j'avais dans les yeux de sa mère dit adieu pour lui à son père. Lui pas revu depuis dix ans ou quinze peut-être, mais avant cela pas revu ce qu'on appelle vraiment depuis vingt ans, lui dont j'avais parlé aux uns et aux autres, des semaines, des mois, des années, dans le secret et en public, dont j'avais ravivé le souvenir chez nos anciens camarades acteurs, dans le contexte brutal et indifférent du cinéma, où tout devient un jour ou l'autre instrument de promotion et de réussite, lui errant sans rien peut-être mort ou fou sans retour, Rimbaud blasé sans œuvre, sur les routes, ailleurs, aura servi de ressort à cette comédie dont je dois maintenant supporter l'échec."

     

     

     

  • La carte postale du jour...

    Le remords ne prouve pas le crime ; il dénote seulement une âme facile à subjuguer.

    - Sade, Les infortunes de la vertu

    dimanche 20 décembre 2015.jpg

    Je me souviens que cet album de Coil a été la bande son de mon installation dans les combles du squat des Épinettes, à la fin '89, durant ce qui m'est apparu comme un hiver excessivement rude (probablement à cause des trous dans le mur et de l'absence de chauffage), avec ce titre d'ouverture génial - Anal Staircase -, "hit" homo-érotique dans nos soirées du Midnight, avec une boucle samplée du Sacre du Printemps de Stravinski - grand.

    Je me souviens bien qu'en réécoutant Horse Rotorvator récemment j'ai été étonné de ne pas le trouver particulièrement vieilli - au contraire même -, l'album garde toute sa radicalité originale, sa fraîcheur, son étrangeté, ovni musical inclassable, un peu comme le disque de Psychic Tv, Dreams less sweet.

    Je me souviens aussi que l'une des plus belles chansons de Coil - Ostia (The death of Pasolini) - figure sur ce disque et que cela reste l'une de mes ballades favorites des années 80 avec Fall apart de Death In June et The Orchids de Psychic TV...

     

     There's honey in the hollows
    And the contours of the body
    A sluggish golden river
    A sickly golden trickle
    A golden, sticky trickle

    You can hear the bones humming
    You can hear the bones humming
    And the car reverses over
    The body in the basin
    In the shallow sea-plane basin

    And the car reverses over
    And his body rolls over
    Crushed from the shoulder
    You can hear the bones humming
    Singing like a puncture
    Singing like a puncture

    Killed to keep the world turning
    Killed to keep the world turning
    Killed to keep the world turning

    Throw his bones over
    The white cliffs of Dover
    And into the sea, the sea of Rome
    And the bloodstained coast of Ostia

    Leon like a lion
    Sleeping in the sunshine
    Lion lies down
    Lion lies down
    Out of the strong came forth sweetness
    Out of the strong came forth sweetness

    Throw his bones over
    The white cliffs of Dover
    And murder me in Ostia
    And murder me in Ostia
    The sea of Rome
    And the bloodstained coast

    And the car reverses over
    The white cliffs of Dover
    And into the sea, the sea of Rome

    You can hear the bones humming
    You can hear the bones humming
    You can hear the bones humming

    Throw his bones over
    The white cliffs of Dover
    And into the sea, the sea of Rome

    And murder me in Ostia 

    https://www.youtube.com/watch?v=ytoXrheqZbg

     

     Le livre consacré à Tony Duvert que publie Gilles Sebhan, et que j'ai lu il y a plus d'un mois déjà, m'a demandé une longue digestion, et me laisse une étrange impression, comme un malaise que je qualifierais de constant. D'ailleurs Jérôme Lindon, directeur des éditions de Minuit - qui publieront tout l'œuvre de Duvert entre 1967 et 1989 -, ne s'y était pas trompé en publiant le premier roman - Récidive - du jeune écrivain, âgé alors de 22 ans : si le potentiel littéraire est là, la pornographie (aujourd'hui on dirait plus honnêtement la pédopornographie) y est fortement présente et, conscient du risque, décision est prise d'éditer ce livre à 712 exemplaires, sans l'annoncer à la presse, disponible uniquement sur souscription ou par le biais de libraires sélectionnés pour leur discrétion. Cette discrétion est aussi la marque de fabrique de Gilles Sebhan qui nous permet de nous approcher du monstre sans (trop de) danger. Biographie, recueil de lettres, de témoignages, de souvenirs, cet essai protéiforme nous fait entrer dans la vie même de Tony Duvert, avec ses tourments, ses passions ; écrivain compliqué, obsédé par la littérature et souvent détestable. Cela donne lieu à une impossibilité d'empathie qui nous tient à distance, mais le feu qui dévore l'auteur nous attire quand même... et puis Duvert est parfois drôle, quand il déclare à la presse, lors de la remise du Prix Médicis en 1973 : "J'ai trop mal aux fesses... pour... parler.". Sebhan le décrit comme adorant "jouer les gosses et le faisant avec le plus grand sérieux, si l'on y perçoit autre chose qu'un doigt levé dans une espèce de refus post-dada, une séquelle de l'esprit 68, un aphorisme annonçant de façon stupéfiante les grands hérauts du punk", mais un gosse qui fait face au refus et à l'incompréhension puisque Sebhan ajoute encore que "si l'on va au-delà de l'allusion à la sodomie qui était le fond scandaleux de ce prix, peut-être peut-on lire dans cette déclaration une impossibilité absolue, un dégoût et une douleur totale face à l'idée que quelque chose puisse être dit." Certaines lettres de Duvert font à la fois penser à Voltaire et à Céline ; il est parfois génial dans sa méchanceté, drôle dans l'ironie, plein d'esprit, de bons mots, mais une fois les années 70 passées, années de son succès et de son séjour au Maroc, voici venu le retour à l'ordre moral des années 80 et voilà un Tony Duvert perdu, hébété, bête solitaire, traquée, monstre vivant dans le renoncement ; commence alors une chute qui ne s'arrêtera qu'avec sa mort, en 2008. Reste ce livre qui fait l'effet d'un masque de Méduse, beau et terrifiant, ce Retour à Duvert écrit avec beaucoup de délicatesse et d'intelligence, qui ne cherche pas à réhabiliter un monstre, mais plutôt à discerner l'humanité dans toute sa fragilité sous les oripeaux et la face déformée par une vie de misère et de rejet - l'auteur le dit lui-même : "J’ai cherché avec ma lampe torche de biographe à chasser les ténèbres en plein jour, ces ténèbres d’aujourd’hui, et ce que je cherchais, j’en suis à présent certain, c’était toujours un homme." Impossible d'ailleurs de ne pas penser à Sade, alors que se presse un public conquis d'avance lors des expositions (la meilleure à Zurich en 2001/2002, la plus mauvaise à Paris l'année passée). Mais il manque le recul nécessaire pour appréhender l'œuvre de Duvert, qui sent encore le soufre. Et si je n'ai pas l'envie de découvrir les textes de Duvert, pourtant publiés dans l'une des maisons d'édition que j'affectionne particulièrement, j'ai découvert un écrivain intéressant : Gilles Sebhan, dont je vais me dépêcher d'acquérir les livres La Salamandre (sur Jean Sénac, le Pasolini d'Alger), Domodossola, le suicide de Jean Genet ou encore Mandelbaum ou le rêve d’Auschwitz.

    Extrait de Retour à Duvert, de Gilles Sebhan (publié aux éditions Le Dilettante) :

    "Car la misère n'est pas qu'un mot. Attirés par le mythe littéraire, écrit Duvert qui pense peut-être à celui qu'il a été, mille jeunes gens prometteurs tâtent de l'écriture : alors ils voient de tout près notre enfer. Nez roussi, âme souillée, humiliés, incrédules, ils changent précipitamment de chemin et rejoignent le siècle, là-haut, à la lumière : et leur nom disparaît à jamais des chiourmes de l'édition. Comme autrefois aux bancs de nage, ne tomberont dans cette nuit misérable que des ratés, des condamnés, des mercenaires, des dilettantes, des exclus et des bons à rien : venez, soyez des nôtres !

     La littérature, Duvert y a cru. Mais au début des années 90, sa vie se résume selon ses propres terme à cette suite vertigineuse : dettes, coupures, huissier, ultimatums. Plus d'électricité, plus de téléphone. Incapacité définitive à payer le loyer. Vente de sa collection de beaux livres. Demande régulière d'argent à ses rares amis ou connaissances. Quiconque l'approchait se voyait "taper", c'est du moins la réputation qu'il avait à cette époque, comme me l'a confié Michel Delon, spécialiste de Sade. "J'avais, disait-il en 1989, publié dans la Quinzaine un papier pour le bicentenaire de Diderot. J'y rapportais une page du Journal d'un innocent où le narrateur se gratte le cul en lisant Le Rêve d'Alembert. Il m'avait remercié de la référence, reproché de l'identifier, lui Duvert au Maroc, avec ce narrateur dans un pays du Maghreb non précisé, et proposer de nous rencontrer. Comme une attachée de presse de chez Gallimard m'avait dit qu'il était en demande permanente d'argent, j'avoue n'avoir pas donné suite. J'ai sans doute eu tort. Je serais d'autant plus disposé aujourd'hui à participer à une manifestation autour de son œuvre, en disant peut-être de lui ce que Bataille disait de Sade, il y a une façon de lui rendre hommage qui l'édulcore." 

  • La carte postale du jour...

    "No one here gets out alive" - Jim Morrison, An American Prayer

    dimanche 6 décembre 2015.jpg

    Je me souviens d'avoir été très sensible au fait que Ian McCulloch, le chanteur charismatique d'Echo & The Bunnymen, a toujours été grand fan de Jim Morrison - comme l'était un autre Ian (Curtis) avant lui d'ailleurs -, appréciant peut-être, comme le poète américain, des auteurs comme Nietzsche et Huxley, Rimbaud et Céline, ainsi que le cinéma Nouvelle Vague, surtout celui de Godard et de Truffaut.

    Je me souviens bien que leur reprise de People are strange boucle la carrière 80s des Bunnymen (qui se reformeront dix ans plus tard), alors que le film pour lequel ce titre avait été commandé, The Lost Boys (Génération perdue pour les pays francophones) était peut-être l'un des premiers longs métrages à lier l'adolescence au mythe érotique du vampire, comme le vantait d'ailleurs le slogan hédoniste qui accompagnait le film : "Sleep all day. Party all night. Never grow old. Never die. It’s fun to be a vampire" ; un bon gros teen-movie avec de jeunes vampires au look choucrouté gothico-heavy-metal ressemblant à celui du groupe The Cult (dont le chanteur, Ian Astbury, officiera en tant qu'ersatz de Jim Morrison sur la tournée de reformation des Doors, en 2002) ; sympathique navet dont on ne retient pas grand chose, sauf qu'il aura remis au goût du jour, à la fin des années 80 - et donc avant le Biopic qui leur sera dédié quelques années plus tard - la musique des Doors ainsi que Jim Morrison comme figure emblématique du rock.

    Je me souviens aussi que j'adore passer cette reprise des Doors par les Bunnymen dans mes soirées au Cabinet, à Genève, aux côtés d'autres reprises comme celle de Ashes to ashes de Bowie par Warpaint, A Forest des Cure par Bat for Lashes, Dear Prudence des Beatles par Siouxsie ou le Mother's little helper des Stones par mes favoris belges, Polyphonic Size...

    When you're strange
    Faces come out of the rain
    When you're strange
    No one remembers your name
    When you're strange
    When you're strange
    When you're strange

    People are strange when you're a stranger
    Faces look ugly when you're alone
    Women seem wicked when you're unwanted
    Streets are uneven when you're down

    https://www.youtube.com/watch?v=yUgRSmo50gE

     

    L'histoire de Brady est si extraordinaire, qu'elle paraît être une fiction... Et pourtant, si : l'épopée carnavalesque de ce cinéma de quartier ouvert en 1956 et racheté par Jean-Pierre Mocky en 1994 (pour le revendre en 2011) est véridique - et drôle. À lui tout seul, le récit de Jacques Thorens - qui officia comme caissier et projectionniste dans les années 2000 -, donne à la fois un portrait incroyable d'une petite salle de quartier et de ses difficultés (le mot est faible) pour survivre, une petite bio' de Mocky lui-même (hilarant), une cartographie des nanars et du cinéma bis (horreur, western moussaka, taïwannerie martienne, ... avec un très petit budget) et de l'évolution des techniques cinématographiques sans parler d'un tableau des marginaux qui fréquentent le lieu. Car les spectateurs du Brady n'étaient pas beaucoup à être de vrais cinéphiles... avec la formule "double programme" établie dans les années 70, le cinéma propose deux films pour le prix d'un et attire dès lors les clochards qui viennent roupiller quelques heures au chaud - ou des homos qui viennent s'y rencontrer dans "les toilettes dont on ne revient pas". Mais lorsque le cinéma projette Baise-moi de Despentes et Coralie Trinh Thi, les clochards supportent assez mal la scène de viol qui les empêche de dormir et finit même par les terrifier après plusieurs jours ! Le Brady était un lieu hors-norme, ailleurs. Aujourd'hui on n'y passe plus Zorro et les trois mousquetaires, Le sadique aux dents rouges ou encore L'île de l'enfer cannibale, mais plutôt Mon Roi de Maïwenn (qui est une horreur tout de même, mais d'un autre genre), mais au moins : le cinéma existe encore. Un beau bras d'honneur au monde moderne dont ce livre est une extension jouissive en forme de doigt. 

     

    Extrait de Le Brady, cinéma des damnés, de Jacques Thorens (aux éditions Verticales) :

    "Quand je suis arrivé, la formule "deux films pour le prix d'un" avait toujours cours. Un Mocky, en alternance avec de l'horreur ou une série Z. Le spectateur qui se présentait vers 17 heures pouvait même en voir trois, car on en passait un autre pour une séance unique vers 20 heures.

     Le Brady a fini par être la dernière salle spécialisée dans le fantastique, la dernière à proposer du permanent et du double programme avec les copies d'époque qui circulaient encore. Un monument peu visité où l'on collectionnait l'obsolète. Expliquer chacune de ses particularités revenait à me plonger dans l'histoire des cinémas de quartier. Le Brady portait les traces de chacune de ses mutations : blaxploitation, giallo, kung-fu, western-spaghetti, porno, étrangleurs, bossus, femmes fouettées en prison, morts-vivants, lézards en plastique, érotico-cannibales, nazisploitation, j'en passe et des meilleures. J'observais les strates et les restes. Bien avant que Tarantino et d'autres relancent l'intérêt pour ce mauvais genre.

     L'Étrange festival ou une cinémathèque belge pouvaient appeler pour un renseignement, afin de savoir où dénicher une copie, mais ce n'est pas ça qui ramenait des spectateurs en nombre. En 1993, le Brady n'était plus seul, le tract de la première soirée des "vendredis du cinéma bis" à la Cinémathèque française précise : "dans le cadre d'un double programme, dans la tradition des défuntes salles de quartier".

     Gérard, notre programmateur, rêvait de ramener davantage de cinéphiles "classiques", pour pallier la défection des fantasticophiles, presque tous partis à la Cinémathèque ou dans les vidéoclubs. Certains considéraient que leur Brady était mort avec l'arrivée de Mocky. Gérard débusquait des films rares, quelques fois abîmés, qu'il faisait rénover par Christian le projectionniste - plus expérimenté que moi. Régulièrement les distributeurs ne se rappelaient même plus qu'ils avaient les droits de ces titres et encore moins l'existence de ces bobines égarées. Comme Jules César de Mankiewicz qui malheureusement avait mieux marché au Quartier latin, quand ils avaient récupéré la copie réparée par Christian.

     Au désespoir de Gérard, les cinéphiles n'avaient pas la réflexe d'aller au Brady. Les vieux homos, si.

     Aujourd'hui le titre à l'affiche c'est Sodome et Gomorrhe, un péplum.

    - Si bon ça. Y a soudoumie, une place, si vous plaît, dit Ahmid goguenard.

     Nos clients c'était plutôt ce genre-là."